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À vos copies !
Libertés fondamentales - droits de l'homme
Exposition de cadavres humains et dignité humaine
Chaque mois, retrouvez le commentaire d’une décision de justice issue de l’actualité jurisprudentielle.
Ce mois-ci, Dalloz Actu Étudiant vous propose de commenter l’arrêt Civ. 1re, 16 sept. 2010, FS-P+B+R+I, n° 09-67.456, sur l’exposition de cadavres humains.
Arrêt
« Attendu que la société E. (la société) avait organisé, dans un local parisien et à partir du 12 février 2009, une exposition de cadavres humains "plastinés",ouverts ou disséqués, installés, pour certains, dans des attitudes évoquant la pratique de différents sports, et montrant ainsi le fonctionnement des muscles selon l'effort physique fourni ; que les associations "Ensemble contre la peine de mort" et "Solidarité Chine", alléguant un trouble manifestement illicite au regard des articles 16 et suivants du code civil, L. 1232-1 du code de la santé publique et 225-17 du code pénal, et soupçonnant par ailleurs au même titre un trafic de cadavres de ressortissants chinois prisonniers ou condamnés à mort, ont demandé en référé la cessation de l'exposition, ainsi que la constitution de la société en séquestre des corps et pièces anatomiques présentés, et la production par elle de divers documents lui permettant de justifier tant leur introduction sur le territoire français que leur cession par la fondation ou la société commerciale dont elle prétendait les tenir ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal de la société, tel qu'exposé au mémoire en demande et reproduit en annexe :
Attendu qu'il n'y a pas lieu de se prononcer sur ce moyen, qui ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
Et sur le second moyen du même pourvoi :
Attendu que la société fait grief à l'arrêt attaqué (Paris, 30 avril 2009) d'avoir dit y avoir lieu à référé et de lui avoir fait interdiction de poursuivre l'exposition des corps et pièces anatomiques litigieuse, alors, selon le moyen :
1°/ que la formation des référés n'est compétente pour prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent pour faire cesser un trouble que si celui-ci est manifestement illicite, c'est-à-dire d'une totale évidence, consistant en un non-respect caractérisé de la règle de droit ; que sa compétence doit, dès lors, être exclue en cas de doute sérieux sur le caractère illicite du trouble invoqué ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui, d'une part, a procédé à un véritable débat de fond sur le sens qu'il convenait de donner à l'article 16-1-1 du code civil et sur son éventuelle applicabilité au cas d'espèce et qui, d'autre part, a rappelé les termes des fortes divergences qui opposaient les parties sur l'origine licite ou non des corps litigieux, n'a pas tiré les conclusions qui s'évinçaient de ses propres constations en estimant qu'elle était en présence, non d'un doute sérieux sur le caractère illicite du prétendu trouble invoqué, mais d'une violation manifeste de ce même article 16-1-1, justifiant qu'il y ait lieu à référé, et a violé, de ce fait, l'article 809 du code de procédure civile ;
2°/ que le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort et les restes des personnes décédées, y compris les cendres de celles dont le corps a donné lieu à crémation, doivent être traités avec respect, dignité et décence ; qu'en l'espèce, pour déterminer si les corps exposés avaient été traités avec respect, dignité et décence, la cour d'appel a recherché s'ils avaient une origine licite et, plus particulièrement, si les personnes intéressées avaient donné leur consentement de leur vivant à l'utilisation de leurs cadavres ; qu'en se fondant sur ces motifs inopérants, tout en refusant, comme il lui était demandé, d'examiner les conditions dans lesquelles les corps étaient présentés au public, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 16-1-1du code civil ;
3°/ que, par ailleurs, la cour d'appel, a expressément relevé que "le respect du corps n'interdisait pas le regard de la société sur la mort et sur les rites religieux ou non qui l'entourent dans les différentes cultures, ce qui permettait de donner à voir aux visiteurs d'un musée des momies extraites de leur sépulture, voire d'exposer des reliques, sans entraîner d'indignation ni de trouble à l'ordre public" ; que la juridiction d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 16-1-1 du code civil en ne recherchant pas, comme sa propre motivation aurait dû l'y conduire, si, précisément, l'exposition litigieuse n'avait pas pour objet d'élargir le champ de la connaissance, notamment grâce aux techniques modernes, en la rendant accessible au grand public de plus en plus curieux et soucieux d'accroître son niveau de connaissances, aucune différence objective ne pouvant être faite entre l'exposition de la momie d'un homme qui, en considération de l'essence même durite de la momification, n'a jamais donné son consentement à l'utilisation de son cadavre et celle, comme en l'espèce, d'un corps donné à voir au public a des fins artistiques, scientifiques et éducatives ;
4°/ qu'enfin celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver ; qu'en l'espèce, en ayant affirmé qu'il appartenait à la société E., défenderesse à l'instance en référé, de rapporter la preuve de l'origine licite et non frauduleuse des corps litigieux et de l'existence de consentements autorisés, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et a violé, de ce fait, l'article 1315 du code civil ;
Mais attendu qu'aux termes de l'article 16-1-1, alinéa 2, du code civil, les restes des personnes décédées doivent être traités avec respect, dignité et décence; que l'exposition de cadavres à des fins commerciales méconnaît cette exigence ;
Qu'ayant constaté, par motifs adoptés non critiqués, que l'exposition litigieuse poursuivait de telles fins, les juges du second degré n'ont fait qu'user des pouvoirs qu'ils tiennent de l'article 16-2 du code civil en interdisant la poursuite de celle-ci ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le moyen unique du pourvoi incident, tel qu'il figure au mémoire en défense et est reproduit en annexe :
Attendu qu'en ses trois branches le moyen ne tend qu'à contester l'appréciation souveraine portée parla cour d'appel sur l'opportunité d'ordonner les mesures sollicitées; qu'il ne peut donc être accueilli ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois principal et incident ; »
Travail préparatoire
C’est un arrêt promis à la plus large diffusion qu’a rendu le 16 septembre 2010 la première chambre civile de la Cour de cassation. Cela ressort de la mention « P+B+R+I » qui apparaît au fronton du texte, « lettrage » indiquant que l’arrêt, en plus d’être publié au Bulletin civil (lettre P), est également destiné à être reproduit dans le Bulletin d’information de la Cour de cassation (BICC, lettre B), mais encore à être mentionné au Rapport annuel de la Cour de cassation dans la partie consacrée à l’analyse de la jurisprudence marquante de l’année écoulée (lettre R), et enfin à être mis en ligne sur le site Internet de la Cour (www.courdecassation.fr - lettre I).
Il n’est donc pas difficile de deviner qu’il s’agit d’une décision importante. La diffusion sur le site Internet de la Cour de cassation indiquant précisément qu’elle était attendue : en effet, l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt proposé au commentaire avait fait grand bruit dans les médias dès le début du litige (sur le rappel des étapes précédentes de la procédure, v. infra).
Voyons de quoi il ressort en réalisant l’analyse de l’arrêt, c’est-à-dire la traditionnelle « fiche d’arrêt ».
■ Exposé des faits : Au cœur de l’hiver 2009, s’ouvre dans Paris une exposition de cadavres humains écorchés, soumis à une méthode moderne de conservation des tissus, et placés dans des positions variées permettant d’observer le fonctionnement des muscles lors de la pratique de différentes activités sportives. Deux associations de défense des droits de l’homme ont saisi le juge des référés, réclamant, d’une part, qu’il soit mis fin à la manifestation et, d’autre part, que les corps exposés soient placés sous séquestre et que la société organisatrice de l’exposition justifie leur provenance.
■ Procédure : La cour d’appel de Paris a fait interdiction à la société organisatrice de poursuivre l’exposition litigieuse. La défenderesse à l’instance forme alors un pourvoi en cassation, au soutien duquel elle articule deux moyens, seul le second étant examiné et divisé en quatre points :
– d’abord, la demanderesse au pourvoi reproche à la cour d’appel de n’avoir pas caractérisé une violation manifeste de la règle de droit nécessaire à la compétence du juge des référés ;
– ensuite, de s’être déterminée au regard du doute sur l’origine des corps et le consentement des personnes au lieu d’examiner leurs conditions d’exposition ;
– en outre, de n’avoir pas recherché si l’exposition répondait à des fins artistiques, scientifiques et éducatives préservant le respect du corps ;
– et enfin, d’avoir inversé la charge de la preuve en affirmant qu’il appartenait à la défenderesse à l’instance d’établir l’origine licite des corps litigieux et le consentement des personnes intéressées.
Les associations demanderesses à l’instance ont également formé un pourvoi (que l’on appelle « pourvoi incident » par opposition au « pourvoi principal »), reprochant à la cour d’appel de n’avoir pas ordonné les autres mesures qu’elles réclamaient. Cette critique est balayée de façon lapidaire par la Cour de cassation qui se borne à rappeler le pouvoir souverain des juges du fond en la matière. Une telle réponse permet d’écarter ce moyen du commentaire.
■ Problème de droit : C’est la question à laquelle la Cour de cassation répond dans l’arrêt. C’est pourquoi, pour formuler le problème de droit, il est impératif de prendre connaissance de la solution et de la comprendre.
Ici, on peut le formuler ainsi : une exposition de cadavres viole-t-elle l’exigence d’un traitement respectueux, digne et décent des restes de personnes décédées découlant de l’article 16-1-1, alinéa 2, du Code civil ?
■ Solution : La première chambre civile de la Cour de cassation rejette le pourvoi principal. Pour cela, elle énonce que l’exposition de cadavres à des fins commerciales méconnaît l’exigence posée par l’article 16-1-1, alinéa 2, du Code civil, selon laquelle les restes des personnes décédées doivent être traités avec respect, dignité et décence. Elle en conclut que la cour d’appel de Paris, ayant constaté que l’exposition litigieuse poursuivait des fins commerciales, n’a fait qu’user des pouvoirs qui lui sont reconnus par l’article 16-2 du Code civil en interdisant la poursuite de celle-ci.
Indications relatives au contexte de l’arrêt à commenter
L’appréciation critique de la solution retenue suppose de la mettre en perspective par rapport à l’ensemble du contexte juridique. S’agissant de l’arrêt proposé au commentaire, dans cette optique, il n’est pas inutile de connaître les motifs retenus par les juges du fond lors des précédentes étapes de la procédure. On les rappellera donc brièvement.
L’affaire a d’abord été portée devant le président du tribunal de grande instance de Paris statuant comme juge des référés (TGI Paris, 21 avr. 2009). Celui-ci a interdit la poursuite de l’exposition, retenant notamment que la protection accordée au corps de la personne vivante a été étendue par la loi du 19 décembre 2008 relative à la législation funéraire, et que « la commercialisation des corps porte une atteinte manifeste au respect qui leur est dû ».
Pour confirmer l’ordonnance de référé, la cour d’appel de Paris a choisi un fondement différent (Paris, 30 avr. 2009) : énonçant que la protection du cadavre n’exclut pas son utilisation à des fins scientifiques ou pédagogiques, elle ne se prononce pas sur la finalité de l’exposition ; elle approuve néanmoins son interdiction au motif que n’était pas rapportée la preuve de l’origine licite et non frauduleuse des corps et du consentement des personnes de leur vivant quant à l’utilisation de leur cadavre.
Élaboration du plan
On n’est pas en présence d’un arrêt dont la structure pourrait fournir les grands axes d’un plan. Ceux-ci doivent donc être recherchés par l’analyse de la solution dont on va essayer de dégager les idées forces.
En l’espèce, pour rejeter le pourvoi, la Cour de cassation se fonde sur le caractère commercial de l’utilisation des cadavres, qui suffit à établir une méconnaissance de l’article 16-1-1 du Code civil. En revanche, elle ne reprend pas du tout l’argument tiré de l’origine douteuse des corps, qui constituait pourtant le motif retenu par la cour d’appel pour confirmer l’interdiction de l’exposition.
On peut donc construire le plan du commentaire à partir de cette opposition entre :
– un argument péremptoire : le caractère mercantile de l’utilisation du corps humain ;
– et, un argument indifférent : la licéité douteuse de l’origine des corps.
Proposition de plan détaillé
Introduction
Avant d’exposer l’analyse de l’arrêt à commenter (v. supra, « Analyse de l’arrêt »), il faut introduire le sujet par une phrase d’accroche. Celle-ci peut être l’occasion de rappeler le contexte dans lequel intervient la décision commentée, notamment lorsque celui-ci n’est pas anodin : en effet, l’arrêt rendu le 16 septembre 2010 vient mettre un terme à un véritable feuilleton judiciaire…
Après avoir exposé la solution retenue par la Cour de cassation, au terme de votre analyse de l’arrêt, il n’est pas inutile de tenter de dégager, même brièvement, l’intérêt de l’arrêt : pourquoi mérite-t-il d’être commenté ? Ici, par exemple, l’arrêt précise la portée d’une règle de droit, le respect dû à la dépouille mortelle, énoncée par un texte récent, l’article 16-1-1 du Code civil, dont il s’agit, à notre connaissance, de la première application par la Cour de cassation.
L’introduction du commentaire d’arrêt s’achève par l’annonce du plan, c’est-à-dire les grands axes correspondant aux intitulés de vos grandes parties.
I. Argument péremptoire : le caractère mercantile de l’utilisation du cadavre
Chapeau – L’arrêt rendu par la première chambre civile le 16 septembre 2010 est une belle illustration de l’extension au cadavre du droit au respect du corps humain (A) qui se traduit concrètement par la condamnation de l’utilisation du cadavre à des fins commerciales (B).
A. L’extension au cadavre du droit au respect du corps humain
■ Le droit au respect du corps humain, proclamé par le législateur dans l’article 16-1 du Code civil (1re loi dite « bioéthique » n° 94-653 du 29 juill. 1994), ne précise pas la durée de la protection garantie par la loi. S’agissant d’un droit subjectif, le droit au respect de son corps est voué à disparaître avec la personnalité juridique (aptitude à être titulaire de droits subjectifs). Dès lors, le droit de la personne au respect de son corps devrait s’éteindre avec son titulaire à son décès. Fragilité du statut du cadavre illustrée dans l’affaire médiatique de l’exhumation du corps d’un comédien célèbre aux fins d'analyse génétique dans une recherche de paternité (Paris, 6 nov. 1997 ; solution caduque depuis la révision des lois bioéthiques par la loi du 6 août 2004, v. art. 16-11, al. 2 in fine, C. civ.).
■ Cette vulnérabilité du corps humain après la mort était critiquable : l’article 16-1 du Code civil protège le corps humain indépendamment de la personne (v. le contraste de formulation entre l’al. 1er et les al. 2 et 3 du texte). Contradiction avec l’encadrement par le droit de la sépulture, et surtout avec les dispositions visant à assurer le respect du cadavre de la personne qui décide de « faire don de son corps à la science » ou de ne pas interdire les prélèvements sur son cadavre. Le législateur a profité de la réforme de la législation funéraire pour compléter la protection du corps humain et étendre le droit au respect de ce dernier au-delà de la mort.
■ Le nouvel article 16-1-1 du Code civil résultant de la loi de 19 décembre 2008 était le fondement tout trouvé pour statuer sur la licéité de l’exposition litigieuse. La Cour de cassation s’empare de cette occasion qui lui était donnée d’appliquer le nouveau texte pour la première fois. Mais elle va plus loin, en précisant que la protection du cadavre interdit son utilisation à des fins commerciales.
B. La condamnation de l’utilisation du cadavre à des fins commerciales
■ Le droit de chacun au respect de son corps (art. 16-1, al. 1er, C. civ.) est garanti à travers la mise en œuvre de deux principes :
– l’inviolabilité du corps humain (art. 16-1, al. 2, et 16-3 C. civ.) ;
– et sa non-patrimonialité (art. 16-1, al. 3, et 16-5 C. civ.).
Le principe de non-patrimonialité impliquant que le corps est disponible, peut faire l’objet de conventions, tant que celles-ci n’ont pas pour effet de le faire entrer dans le marché économique. Le législateur n’a pas expressément affirmé la non-patrimonialité du cadavre ; mais la place choisie au sein du Code civil pour affirmer son respect laisse supposer que ce principe peut être transposé au cadavre.
■ En l’espèce, rappelant l’affirmation par la loi de l’exigence d’un traitement respectueux, digne et décent des restes des personnes décédées, la Cour de cassation énonce que l’exposition de cadavres à des fins commerciales viole cette exigence. C’est donc sur le principe désormais bien assis de la non-patrimonialité du corps humain que la Haute juridiction fonde l’interdiction de la manifestation : à l’instar de ce qui prévaut s’agissant du corps de la personne vivante, de ses éléments et produits, le corps de la personne décédée ne peut pas être utilisé dans une finalité marchande. La règle sous-tend déjà l’encadrement du prélèvement d’organes post mortem, qui « ne peut être effectué qu’à des fins thérapeutiques ou scientifiques » (art. L. 1232-1 CSP). La motivation de la Cour de cassation rejoint l’opinion exprimée par le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) dans un avis daté de janvier 2010, mais que le Comité a choisi de publier sur son site le 16 septembre 2010.
■ Précision sur la portée du respect dû au cadavre : il implique que celui-ci ne soit pas utilisé dans un but lucratif. Les termes de la solution laissent place à l’interprétation a contrario : le respect dû au cadavre ne serait pas méconnu par son utilisation à des fins scientifiques, pédagogiques, artistiques ? Cette interprétation rejoint l’opinion qu’avaient exprimée les juges du fond. Elle a le mérite de réserver le sort des vestiges humains présents dans les musées français, tout en ouvrant la voie à une série de questions délicates : comment tracer la frontière entre la finalité scientifique/ pédagogique et la finalité commerciale ? L’appréciation ne sera pas aisée.
II. Argument indifférent : la licéité douteuse de l’origine des corps
Chapeau – Le rejet du pourvoi en l’espèce ne doit pas masquer la réalité : la Cour de cassation procède à un « sauvetage » de l’arrêt d’appel (B) sans pour autant approuver sa motivation. Ce faisant, elle confirme que, pour l’utilisation du cadavre, le consentement de la personne est une condition nécessaire mais pas suffisante (A).
A. Le consentement, une condition nécessaire mais pas suffisante
■ Pour confirmer la mesure d’interdiction de l’exposition, la cour d’appel de Paris s’était fondée sur la défaillance de l’organisatrice à faire la preuve de l’origine licite des corps litigieux et du consentement des intéressés de leur vivant. Argumentation qui trouve un écho dans le contexte actuel où les vestiges humains sont parfois réclamés par leurs peuples d’origine désireux de leur donner une sépulture : ainsi, une loi a récemment été votée pour permettre la restitution à la Nouvelle-Zélande des têtes maories conservées par des musées français (L. no 2010-242 du18 mai 2010).
■ Tout en approuvant l’arrêt d’appel, la Cour de cassation ne reprend aucunement ce raisonnement. La raison en est simple : l’origine des corps fût-elle licite, le consentement des intéressés eût-il été recueilli de leur vivant, l’exposition litigieuse demeurerait attentatoire au respect dû au cadavre en raison de son but commercial. En effet, le principe de non-patrimonialité du corps humain ne tend pas à protéger la personne seulement contre les tiers, mais également contre elle-même et la tentation qu’elle pourrait avoir de faire un usage lucratif de son corps. À rapprocher de l’exigence d’une nécessité médicale en matière de dons d’éléments et de produits du corps, renforcée par la condition de gratuité (art. 16-6 C. civ.). Peu importe le consentement préalable d’une personne à l’exposition de son cadavre dès lors que celle-ci poursuit une finalité commerciale.
B. Le « sauvetage » de l’arrêt d’appel
■ Pour confirmer l’ordonnance du tribunal de grande instance, la cour d’appel s’était fondée uniquement sur le doute pesant sur l’origine des corps et l’existence des consentements. Elle ne s’était aucunement prononcée sur les fins poursuivies par l’exposition litigieuse, ce que lui reprochait justement le pourvoi (3°). Pourtant, pour rejeter le pourvoi, la Cour de cassation retient que les juges du second degré ont constaté que l’exposition poursuivait des fins commerciales. Importance de l’incise « par motifs adoptés non critiqués » : la Cour de cassation estime que la cour d’appel a repris à son compte les motifs retenus par le tribunal quant à l’utilisation commerciale des corps. On peut dénoncer le caractère artificiel de cette partie de la motivation.
■ L’artifice permet néanmoins d’écarter les autres critiques formulées par le moyen : dès lors que l’utilisation des corps à des fins commerciales a été constatée, la violation manifeste de l’article 16-1-1, alinéa 2, du Code civil est établie. Les conditions étaient donc réunies pour que le juge ordonne, en référé, l’interdiction de l’exposition, en application de l’article 16-2 du Code civil (mod. par L. du 19 déc. 2008). Et la Cour de cassation marque son refus de contrôler l’exercice par le juge du fond de son pouvoir de prendre les mesures propres à faire cesser l’atteinte : « n’ont fait qu’user des pouvoirs (…) ».
Références
■ Atteinte à la dignité de la personne
« Manquement à la considération due à la personne humaine, sous forme notamment de discriminations, de proxénétisme, de recours à la prostitution d’un mineur, de conditions abusives de travail ou d’hébergement, de bizutage, ou de violation de sépulture. »
« Pourvoi émanant de la partie défenderesse au pourvoi principal. Doit être présenté dans le délai de deux mois reconnu au défendeur pour déposer son mémoire en défense. Obéit aux mêmes règles que l’appel incident. »
Lexique des termes juridiques 2011, 18e éd., Dalloz, 2010.
■ V. « Le corps » , www.dalloz-fiches.fr.
■ « Le cadavre humain n'a pas de prix », Dalloz Actu Étudiant 1er oct. 2010.
■ Code civil
« Chacun a droit au respect de son corps.
Le corps humain est inviolable.
Le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l'objet d'un droit patrimonial. «
« Le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort.
Les restes des personnes décédées, y compris les cendres de celles dont le corps a donné lieu à crémation, doivent être traités avec respect, dignité et décence. »
« Le juge peut prescrire toutes mesures propres à empêcher ou faire cesser une atteinte illicite au corps humain ou des agissements illicites portant sur des éléments ou des produits de celui-ci, y compris après la mort. »
« Il ne peut être porté atteinte à l'intégrité du corps humain qu'en cas de nécessité médicale pour la personne ou à titre exceptionnel dans l'intérêt thérapeutique d'autrui.
Le consentement de l'intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n'est pas à même de consentir. »
« Les conventions ayant pour effet de conférer une valeur patrimoniale au corps humain, à ses éléments ou à ses produits sont nulles. »
« Aucune rémunération ne peut être allouée à celui qui se prête à une expérimentation sur sa personne, au prélèvement d'éléments de son corps ou à la collecte de produits de celui-ci. »
« L'identification d'une personne par ses empreintes génétiques ne peut être recherchée que dans le cadre de mesures d'enquête ou d'instruction diligentée lors d'une procédure judiciaire ou à des fins médicales ou de recherche scientifique ou d'identification d'un militaire décédé à l'occasion d'une opération conduite par les forces armées ou les formations rattachées.
En matière civile, cette identification ne peut être recherchée qu'en exécution d'une mesure d'instruction ordonnée par le juge saisi d'une action tendant soit à l'établissement ou la contestation d'un lien de filiation, soit à l'obtention ou la suppression de subsides. Le consentement de l'intéressé doit être préalablement et expressément recueilli. Sauf accord exprès de la personne manifesté de son vivant, aucune identification par empreintes génétiques ne peut être réalisée après sa mort.
Lorsque l'identification est effectuée à des fins médicales ou de recherche scientifique, le consentement exprès de la personne doit être recueilli par écrit préalablement à la réalisation de l'identification, après qu'elle a été dûment informée de sa nature et de sa finalité. Le consentement mentionne la finalité de l'identification. Il est révocable sans forme et à tout moment. »
■ Article L. 1232-1 du Code de la santé publique
« Le prélèvement d'organes sur une personne dont la mort a été dûment constatée ne peut être effectué qu'à des fins thérapeutiques ou scientifiques.
Ce prélèvement peut être pratiqué dès lors que la personne n'a pas fait connaître, de son vivant, son refus d'un tel prélèvement. Ce refus peut être exprimé par tout moyen, notamment par l'inscription sur un registre national automatisé prévu à cet effet. Il est révocable à tout moment.
Si le médecin n'a pas directement connaissance de la volonté du défunt, il doit s'efforcer de recueillir auprès des proches l'opposition au don d'organes éventuellement exprimée de son vivant par le défunt, par tout moyen, et il les informe de la finalité des prélèvements envisagés.
Les proches sont informés de leur droit à connaître les prélèvements effectués.
L'Agence de la biomédecine est avisée, préalablement à sa réalisation, de tout prélèvement à fins thérapeutiques ou à fins scientifiques. »
■ TGI Paris 21 avr. 2009, D. 2009. AJ. 1278 ; AJDA 2009-797.
■ Paris, 30 avr. 2009, D. 2009. AJ. 2019 ; ibid. 2010. Pan. 604, obs. Galloux et Gaumont-Prat ; Constit. 2010. 135, obs. Bioy ; RTD civ. 2009. 501, obs. Hauser.
■ Paris, 6 nov. 1997 ; D. 1998. 122, note Ph. Malaurie ; RTD civ. 1998. 87, obs. J. Hauser.
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