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[ 2 mai 2025 ] Imprimer

Droit de la famille

Adoption coparentale : inefficacité de l’opposition de la mère à défaut de rétractation du consentement dans le délai légal

Manifestée à l’expiration du délai légal pour rétracter son consentement, l’opposition de la mère à l’adoption plénière de son enfant par son épouse ne lie pas le juge, qui doit seulement vérifier que les conditions légales de l’adoption de l’enfant sont remplies et la conformité de celle-ci à son intérêt. Ayant constaté que malgré la séparation de l’adoptante et de la mère de l’enfant, et l’opposition de celle-ci, l’adoption demandée était conforme à l’intérêt de l’enfant, c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation que la cour d’appel a en conséquence prononcé celle-ci.

Civ. 1re, 26 mars, n° 22-22.507

Un couple de femmes s’est marié le 3 septembre 2016. Le 11 décembre 2016, l’une d’elles a donné naissance à un enfant. Les conditions de sa conception ne sont pas précisées, mais il est fort probable que l’enfant a été conçu par AMP dans le cadre d’un projet parental commun. Par acte notarié du 3 juin 2019, la mère a consenti à l'adoption plénière de son enfant par son épouse, dont le prononcé a été sollicité par cette dernière le 3 septembre 2019. Après la séparation du couple, la mère de l’enfant s’est opposée à cette adoption. En première instance, le tribunal l’a néanmoins prononcée. En cause d’appel, la cour a également rejeté la demande de la mère tendant à voir retenir la rétractation de son consentement et confirmé en conséquence le prononcé de l’adoption. La mère a alors formé un pourvoi en cassation, soutenant que l’opposition du parent biologique à l’adoption plénière de son enfant par son conjoint équivaut à une demande de restitution de l’enfant, laquelle doit être accueillie de plein droit, quoique formulée postérieurement au délai de rétractation de deux mois, lorsque l’enfant n’a été ni placé en vue de l’adoption, ni recueilli par le conjoint qui refuse de le rendre. Dans cette perspective, elle fondait la thèse de son pourvoi sur l’ancien article 348-3 du Code civil en l’espèce applicable (art. 348-5 nouv.), en vertu duquel à l’expiration du délai légal de deux mois pour rétracter son consentement à l’adoption, le parent à l’égard duquel la filiation est établie peut encore demander la restitution de l'enfant lorsque celui-ci n'a pas été placé en vue d’une adoption, étant précisé que si la personne qui l'a recueilli refuse de le rendre, le parent peut saisir le tribunal qui apprécie, compte tenu de l'intérêt de l'enfant, s'il y a lieu d'en ordonner la restitution, ce qui rend caduc le consentement à l'adoption. Ainsi tentait-elle de s’opposer à l’adoption de son enfant, malgré l’expiration du délai légal pour rétracter son consentement, en assimilant son opposition à une demande de restitution, qui rend caduc le consentement. Mais la Cour de cassation n’est pas de cet avis. Réaffirmant le principe de l’irrévocabilité du consentement à l’adoption passé le délai légal de rétractation, elle précise que l’opposition tardive du parent ne peut s’analyser en une demande de restitution de l’enfant adopté par son conjoint. En effet, la restitution de l’enfant, qui suppose que ce dernier a été préalablement remis à un tiers, ne peut pour cette raison trouver à s’appliquer dans le cas de l’espèce de l’adoption de l’enfant du conjoint. Elle en déduit qu'à défaut d’avoir rétracté son consentement dans le délai légal, son opposition à l’adoption coparentale envisagée, qui ne peut être assimilée à une demande de restitution, ne lie pas le juge, qui doit seulement vérifier que les conditions légales de l'adoption de l'enfant sont remplies et si cette adoption plénière est conforme à son intérêt. Or en l’espèce, la cour d'appel a souverainement estimé que malgré la séparation de l'adoptante et de la mère de l'enfant, et l'opposition de celle-ci à l'adoption demandée, celle-ci, conforme à l'intérêt de l'enfant, devait être prononcée.

La Cour de cassation confirme ainsi l’application à l’adoption de l’enfant du conjoint du bref délai de rétractation du consentement à l’adoption (v. déjà Civ.1re, 11 mai 2023, n° 21-17.737; Civ.1re, 12 juill. 2023, n° 21-23.242), étant rappelé que la « voie de rattrapage » consistant dans la demande de restitution de l'enfant passé ce délai n'est pas offerte au parent ayant consenti à l'adoption de son enfant par son conjoint, le recueil comme le placement de l’enfant étant par hypothèse exclus dans le cas d’une adoption intrafamiliale (Civ. 1re, 12 juill. 2023, préc.). Cette exclusion ne figure pourtant pas dans la loi, d’où l’importance que la Cour la rappelle pour conforter l’inapplicabilité de l’article de l’article 348-5 al. 2 (anc. art. 348-3, al. 4, ici applicable), prévoyant la caducité du consentement en cas de restitution de l’enfant non placé, au cas de l’adoption de l’enfant du conjoint. Partant, l'opposition tardive du parent ne peut jamais être assimilée à une demande de restitution rendant caduc le consentement qu’il a émis. On peut ici regretter la sévérité de la solution rendue à l'égard de la mère qui ne pouvait donc plus revenir sur son consentement à l'adoption plénière de son enfant, acte grave s'il en est, sitôt le bref délai de 2 mois expiré. L'on se retrouve il est vrai dans le cas inédit d'un acte juridique unilatéral à la fois perpétuel et irrévocable, qui s’explique par le but initialement recherché par le biais de l’irrévocabilité du consentement passé le délai légal, règle à l'origine conçue pour les enfants abandonnés, dont l'intérêt était donc de bénéficier le plus rapidement possible de relations stables au sein d'une nouvelle famille. Le mécanisme est d'ailleurs similaire pour les enfants dépourvus de filiation et recueillis par l'Aide sociale à l’enfance. La problématique est en revanche tout à fait différente dans le cas de l'adoption de l’enfant du conjoint. Ici, l'adoption n'est pas une mesure de protection de l'enfance : l'enfant a déjà un parent qui s'occupe de lui. L'enjeu lié à la pérennité du consentement n'est donc pas le même. La rétractation n'a pas pour effet, comme dans les hypothèses précédentes, de retarder, voire d'empêcher, l'accueil de l'enfant par une nouvelle famille qui lui offrira un cadre stable et favorable à son développement, dont il est jusque-là dépourvu ; elle ferait uniquement obstacle à la création d'un second lien de filiation pour un enfant qui a déjà un parent avec lequel il vit. La raison d'être de l'irrévocabilité du consentement, une fois le délai légal expiré, ne se retrouve donc pas. Elle s’applique pourtant pleinement en cas d’adoption de l’enfant du conjoint, de nouveau intégrée par la Cour de cassation au champ d’application de l’article 348-5, al. 1 (anc. art. 348-3, al.3 ; v. déjà Civ. 1re, 11 mai 2023 et 12 juill. 2023, préc.), ce qui doit aussi être contesté à l’aune de l’inapplication à ce type d’adoption de l’alinéa suivant relatif à la restitution de l’enfant non placé, mais peut s'expliquer par plusieurs arguments. Premier argument, l’inapplication de cette disposition à l’adoption de l’enfant du conjoint aboutirait non pas à rendre le consentement révocable sans limite de temps, mais au contraire à le rendre immédiatement irrévocable, ce qui serait particulièrement inopportun. - Deuxième argument, la recodification opérée par l'ordonnance du 5 octobre 2022, dont il faut rappeler qu'elle opère à droit constant, lève toute ambiguïté textuelle. L'article 370 du Code civil dispose en effet aujourd'hui que les dispositions des chapitres I à III du présent titre sont applicables en principe à l’adoption de l’enfant du conjoint, partenaire ou concubin, sous réserve de dispositions particulières et de quelques exceptions (C. civ., art. 351352352-1 et 353). Le nouvel article 348-5 qui enferme désormais le droit de rétractation dans le délai de 2 mois ne faisant pas partie de ces exceptions, il s'applique nécessairement à l'adoption de l’enfant du conjoint. - Troisième argument, pour ce qui concerne les couples de femmes ayant eu recours à une AMP, la solution est en phase avec les évolutions législatives récentes qui visent à assurer "la pérennité des effets d'un projet parental, nonobstant la séparation [du couple]" (Civ. 1re, 11 mai 2023, préc.). En témoigne la reconnaissance conjointe anticipée mise en place par la loi de bioéthique n° 2021-1017 du 2 août 2021 pour les couples de femmes ayant recours à la PMA après l'entrée en vigueur du texte. La loi comporte également, à son article 6, IV, une disposition transitoire permettant pendant 3 ans aux couples de femmes ayant eu recours à une AMP à l'étranger avant la publication de la loi, de faire devant notaire une reconnaissance conjointe de l'enfant dont la filiation n'est établie qu'à l'égard de la femme qui a accouché (C. civ., art. 342-11) : celle-ci doit être réalisée avant le début de la PMA et elle établit le lien de filiation à l'égard de la femme qui n'a pas porté l'enfant, malgré l'éventuelle séparation du couple ; plus encore, la mère qui ferait obstacle à la remise de cette reconnaissance à l'officier d'état civil engagerait sa responsabilité (C. civ., art. 342-13, al. 3). En témoigne également, pour les PMA réalisées auparavant à l'étranger, l'article 9 de la loi n° 2022-219 du 21 février 2022 : ce texte permet à l'ex-compagne de la mère, malgré l'opposition de cette dernière, de demander à adopter l'enfant à condition de rapporter la preuve du projet parental commun, le tribunal prononçant l'adoption "s'il estime que le refus de la reconnaissance conjointe est contraire à l'intérêt de l'enfant et si la protection de ce dernier l'exige". Ce dispositif transitoire va extrêmement loin puisqu'il permet de prononcer l'adoption alors que la mère n'a jamais donné son consentement ; il fait donc produire des effets radicaux au "projet parental commun". La solution ici retenue par la Cour de cassation est nettement plus mesurée puisque la mère a par définition consenti, mais elle repose sur la même idée : en figeant son consentement initial à l’expiration du délai légal, les Hauts magistrats permettent que l'adoption soit prononcée au profit de son épouse avec laquelle la mère avait construit ce projet parental, malgré la rupture du couple et l'opposition qu'elle manifeste désormais. - Quatrième argument, il existe une "soupape de sécurité" qui permet de tempérer la rigueur de la solution pour le parent hostile à l’adoption envisagée : l'adoption ne sera prononcée que si elle est conforme à l'intérêt de l'enfant (pt 8 ; C. civ., art. 353-1 ; v. déjà, Civ. 1re, 12 juill. 2023, préc.). Le résultat est équilibré : si le parent a des raisons légitimes de s'opposer finalement à l'établissement de la filiation de son enfant à l'égard de l'autre membre du couple, le juge saura en tenir compte et refusera l'adoption. À noter cependant que comme le confirme la décision rapportée, la mésentente du couple et même sa séparation n’est pas considérée comme suffisante pour rejeter la demande d’adoption, les juges estimant le plus souvent que l’intérêt de l’enfant est de voir respecter l’engagement parental qui a été pris (v. déjà, Civ. 1re, 3 nov. 2021, n° 20-16.745).

Si la ratio legis de l'article 348-5 du Code civil ne se retrouve pas dans l'hypothèse de l'adoption de l'enfant du conjoint, du partenaire ou du concubin, d'autres solides arguments justifient donc que la Cour de cassation ait accepté de lui appliquer le texte.

Références :

■ Civ.1re, 11 mai 2023, n° 21-17.737 DAE, 30 mai 2023, note Merryl HervieuD. 2023. 949 ; ibid. 2024. 441, obs. M. Douchy-Oudot ; AJ fam. 2023. 337, obs. F. Eudier ; ibid. 302, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RTD civ. 2023. 606, obs. A.-M. Leroyer

■ Civ.1re, 12 juill. 2023, n° 21-23.242 DAE, 21 sept. 2023, note Merryl HervieuD. 2023. 1358 ; ibid. 2024. 700, obs. P. Hilt ; AJ fam. 2023. 421, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RTD civ. 2023. 858, obs. A.-M. Leroyer

■ Civ. 1re, 3 nov. 2021, n° 20-16.745 AJ fam. 2022. 43, obs. F. Berdeaux ; RTD civ. 2022. 107, obs. A.-M. Leroyer

 

Auteur :Merryl Hervieu


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