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[ 14 septembre 2011 ] Imprimer

Procédure pénale

Affaire dite des « emplois fictifs de la Ville de Paris » : retour sur une pièce en trois actes

Mots-clefs : Président de la république, Responsabilité pénale, Immunité, QPC, Comparution (dispense), Contradictoire

L’ancien président de la République Jacques Chirac va être jugé sans que sa comparution personnelle ne soit ordonnée, en la seule présence de ses avocats pour le représenter. Dalloz Actu Étudiant revient sur cette affaire dite des « emplois fictifs de la Ville de Paris » qui, au-delà de la polémique et des problèmes liés à la procédure, soulève aussi la question du statut pénal du chef de l’État.

Avant d’être ancien chef de l’État français, Jacques Chirac a été ancien maire de Paris et ancien président du RPR. C’est de cette époque, en partie, que datent les faits qui lui sont imputés aujourd’hui et pour lesquels il sera jugé devant le tribunal correctionnel de Paris. Il lui est en effet reproché d’avoir, au début des années 1990, fait salarier par la mairie de Paris qu’il dirigeait, plusieurs « chargés de mission » de complaisance, travaillant non pour ladite commune mais pour son parti politique, le RPR. Sont alors retenus à son encontre les chefs d’abus de confiance, de détournement de fonds publics et de prise illégale d’intérêts.

■ Le statut pénal du chef de l’État

Les faits sont donc supposés avoir été commis il y a plus de vingt ans. Si la procédure est encore en cours actuellement et que le jugement n’en est qu’à ses balbutiements, c’est que les faits n’ont été portés à la connaissance de la justice ou plutôt qu’elle ne s’en est saisie, qu’après que Jacques Chirac ait été élu à la présidence de la République, ce qui le faisait bénéficier, dès 1995, de l’immunité conférée au chef de l’État français par la Constitution.

Rappelons qu’avant la révision constitutionnelle du 23 février 2007, la Constitution de 1958 était floue quant à la responsabilité du chef de l’État à raison des actes étrangers à sa fonction. Un débat s’était alors élevé quant à la lecture qui devait être faite de l’ancien article 68 de la Constitution : la Haute Cour de justice était-elle compétente uniquement pour le cas de haute trahison ? Si le Conseil constitutionnel avait dans sa décision du 22 janvier 1999 répondu par la négative en admettant la compétence de la Haute Cour pour connaître de la responsabilité pénale du président pour les actes détachables de sa fonction, la Cour de cassation en décida tout autrement. Saisie en dernier ressort de l’affaire ici commentée, l’Assemblée plénière confirma la compétence exclusive de la Haute Cour de justice pour l’hypothèse de haute trahison et celle des juridictions de droit commun pour les autres cas (Ass. plén. 10 oct. 2001). Elle consacra un principe d’immunité temporaire : la responsabilité du président à raison des actes étrangers à sa fonction, c’est-à-dire des actes commis avant son élection ou au cours du mandat, est suspendue pendant toute la durée de son mandat. C’est cette interprétation qui fut retenue et qui donna lieu à la révision constitutionnelle de 2007 et à la rédaction de l’actuel article 67 : le chef de l’État ne peut ni être poursuivi ni être appelé comme témoin devant les juridictions de droit commun pendant toute la durée de son quinquennat. Ce n’est qu’un mois après la cessation de ses fonctions présidentielles, que les procédures civiles, pénales ou administratives peuvent mettre en cause la responsabilité de l’ancien chef de l’État.

Il aura donc fallu attendre juin 2007, fin du second mandat présidentiel, pour que Jacques Chirac redevienne un justiciable comme les autres et pour que la justice décide, fin 2007, de le mettre en examen, puis fin 2009 (contre les réquisitions du Parquet) de le renvoyer devant le tribunal correctionnel de Paris.

■ La QPC avortée

L’audience correctionnelle devait finalement se tenir début mars 2011, mais une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) fut soulevée par l’avocat d’un des coprévenus portant sur la constitutionnalité du report du point de départ du délai de prescription en matière d’infractions occultes (et notamment s’agissant du délit d’abus de confiance). Elle fut accueillie favorablement par le tribunal correctionnel qui décida de la transmettre par voie de conséquence à la Cour de cassation et de sursoir à statuer. Le 20 mai suivant la Cour de cassation, constatant néanmoins que n’étaient pas remplies les conditions de nouveauté ou de sérieux exigées par la loi organique, décida que la QPC litigieuse ne serait pas transmise au Conseil constitutionnel.

■ La dispense de comparution

C’est ainsi que l’affaire devait reprendre le lundi 5 septembre 2011. Cependant, trois jours avant l’audience le tribunal a reçu un rapport médical attirant l’attention dudit tribunal sur la vulnérabilité de l’ancien chef de l’État, vulnérabilité plaçant celui-ci « dans l’incapacité d’évoquer son passé ». Jacques Chirac, enfermé dans le déni de sa maladie, souffrant d’anosognosie, ne serait pas en mesure de se présenter à son procès. À ce rapport était jointe une lettre émanant de l’ancien chef de l’État et faisant état de son souhait « que le procès aille à son terme » mais également du fait qu’il n’avait plus l’entière capacité de participer au déroulement des audiences...

La question posée au tribunal était donc celle de la comparution personnelle de l’ancien maire de Paris. L’article 411 du Code de procédure pénale permet en effet à un prévenu, quelle que soit la peine encourue, de demander à être jugé en son absence, en étant représenté au cours de l’audience par son avocat. Le tribunal aurait pu :

– demander une contre-expertise comme l’y invitait l’une des parties civiles. La défense de Jacques Chirac n’y était d’ailleurs pas hostile… ;

– ou, estimant la présence de l’ancien chef de l’État nécessaire, ordonner le renvoi de l’affaire à une audience ultérieure et la comparution personnelle de l’intéressé (art. 410-1 C. pr. pén.).

Finalement le président du tribunal a décidé de « dispenser » Jacques Chirac de comparaître en personne à l’audience. Le procès pourra aller jusqu’à son terme, dans le respect du principe du contradictoire puisque l’avocat de l’ancien président sera présent et entendu en lieu et place de son client (art. 411 al. 4 C. pr. pén.).

 

Références

Cons. const. 22 janv. 1999, n° 98-408 DC.

Ass. plén. 10 oct. 2001, n° 01-84.922, Bull. Ass. plén., n°11; D. 2001. 3365 ; D. 2002. 674 ; RFDA 2001. 1169.

V. « Rejet des QPC concernant les règles de prescription de l’action publique », Dalloz Actu Étudiant 27 mai 2011.

Sur la responsabilité présidentielle v. H. Portelli, Droit constitutionnel, 9e éd., Dalloz, coll. « HyperCours », 2011, n° 239 et s.

Abus de confiance

[Droit pénal]

« Fait par une personne de détourner, au préjudice d’autrui, des fonds, des valeurs, ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu’elle a acceptés à charge de les rendre, de les représenter ou d’en faire un usage déterminé. »

Détournement de fonds ou d’objets

[Droit pénal]

« Atteinte aux droits d’autrui sur une chose ou sur des fonds, au besoin par une appropriation, en abusant de la confiance donnée par autrui. Par exemple, détournement d’objets donnés en gage ou de fonds publics dont on est le dépositaire. »

Prise illégale d’intérêts

[Droit pénal/Droit administratif]

« Naguère dénommée ingérence. Fait, pour une personne dépositaire de l’autorité publique (fonctionnaire, par ex.) ou investie d’un mandat électif public (conseiller municipal, par ex.) ou chargée d’une mission de service public, de prendre ou de conserver un intérêt quelconque dans une activité, voire dans une seule opération, sur laquelle elle dispose du fait de sa fonction d’un pouvoir personnel ou partagé de surveillance ou de décision, ou qu’elle a la charge de gérer ou de payer. Ce serait le cas, par exemple, d’un entrepreneur membre d’une municipalité et auquel serait attribué un marché de travaux publics de sa commune. Pour des raisons pratiques, quelques dérogations limitées sont prévues pour les communes de moins de 3 500 habitants.

En outre, les fonctionnaires quittant leurs fonctions ne peuvent prendre ou recevoir une participation par travail, conseil ou capitaux pendant un délai de 3 ans dans une entreprise privée avec laquelle ils ont eu un lien résultant du contrôle ou de la surveillance de l’entreprise, de la passation de contrats ou d’avis sur les contrats passés avec l’entreprise ou encore de la proposition à l’autorité compétente, de décisions relatives à des opérations réalisées par l’entreprise.

La transgression de ces dispositions constitue un délit passible d’emprisonnement et d’amende.

Par ailleurs, en matière communale, sont illégales les délibérations du conseil municipal auxquelles aurait pris part l’un de ses membres intéressé à une affaire délibérée, si sa participation a exercé une influence déterminante sur le vote intervenu. »

Immunité du président de la République

[Droit constitutionnel]

« Principe selon lequel un président de la République ne peut être l’objet de procédures judiciaires pendant l’exercice de son mandat. Suspend celles-ci qui pourront être reprises à l’issue de ce dernier (cf. Jacques Chirac). »

Juridiction de droit commun

[Procédure (principes généraux)]

« Tribunal normalement compétent, sauf lorsqu’un texte spécial exclut expressément cette compétence. »

[Procédure pénale]

« Les juridictions pénales de droit commun sont le tribunal de police, le tribunal correctionnel, la cour d’appel et la cour d’assises. »

Prescription de l’action publique

[Procédure pénale]

« Principe selon lequel l’écoulement d’un délai (10 ans pour les crimes, 3 ans pour les délits, 1 an pour les contraventions) entraîne l’extinction de l’action publique et rend de ce fait toute poursuite impossible.

Il existe aussi des délais spéciaux parfois plus longs (30 ans pour les crimes de terrorisme par ex.), parfois plus courts (3 mois pour les délits de presse par ex.).

Ces délais peuvent être interrompus par des actes de poursuite ou d’instruction, anéantissant le délai déjà écoulé ou suspendus en cas d’obstacles de droit ou de fait à leur écoulement. Il en est ainsi des procès-verbaux dressés dans le cadre de l’enquête préliminaire qui interrompent le délai de la prescription ou d’une demande d’autorisation de poursuite adressée à la chambre à laquelle appartient un parlementaire qui suspend son écoulement. »

Contradictoire (Principe du)

[Procédure (principes généraux)]

« Principe essentiel, bien que non formulé pendant longtemps par la loi, commandant toutes les procédures.

Il implique la liberté pour chacune des parties de faire connaître tout ce qui est nécessaire au succès de sa demande ou de sa défense. Il impose que toute démarche, toute présentation au juge d’une pièce, d’un document, d’une preuve par l’adversaire soit portée à la connaissance de l’autre partie et librement discutée à l’audience. Le respect du principe du contradictoire est la condition indispensable de la liberté de la défense. Le juge doit en toutes circonstances observer et faire observer le principe de la contradiction ; il ne peut retenir dans sa décision que les explications qu’il a recueillies contradictoirement et ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu’il a relevés d’office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations. »

Question prioritaire de constitutionnalité

[Droit constitutionnel]

« Procédure issue de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008; s’applique depuis 2010

À l’occasion d’une instance en cours (administrative, civile ou pénale), une partie peut soulever un moyen tiré de ce qu’une disposition législative applicable au litige ou à la procédure ou qui constitue le fondement des poursuites, porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit. La question de constitutionnalité doit être examinée en priorité par rapport à une éventuelle question de conventionnalité. Si elle n’est pas dépourvue de caractère sérieux et si cette disposition n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances, la juridiction saisie doit statuer sans délai sur sa transmission au Conseil d’État ou à la Cour de cassation selon le cas. La haute juridiction saisie se prononce alors, dans un délai de 3 mois, sur le renvoi au Conseil constitutionnel. Si ce dernier déclare la disposition non conforme à la Constitution, elle est abrogée. »

Tribunal correctionnel

[Procédure pénale]

« Formation du tribunal de grande instance compétente en matière de délit pénal. »

Lexique des termes juridiques 2012, 19e éd., Dalloz, 2011.

■ Constitution du 4 octobre 1958

Ancien article 68

« Le Président de la République n'est responsable des actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions qu'en cas de haute trahison. Il ne peut être mis en accusation que par les deux assemblées statuant par un vote identique au scrutin public et à la majorité absolue des membres les composant ; il est jugé par la Haute Cour de Justice.

Les membres du Gouvernement sont pénalement responsables des actes accomplis dans l'exercice de leurs fonctions et qualifiés crimes ou délits au moment où ils ont été commis. La procédure définie ci-dessus leur est applicable ainsi qu'à leurs complices dans le cas de complot contre la sûreté de l'État. Dans les cas prévus au présent alinéa, la Haute Cour est liée par la définition des crimes et délits ainsi que par la détermination des peines telles qu'elles résultent des lois pénales en vigueur au moment où les faits ont été commis. »

Article 67

« Le Président de la République n'est pas responsable des actes accomplis en cette qualité, sous réserve des dispositions des articles 53-2 et 68.

Il ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de témoigner non plus que faire l'objet d'une action, d'un acte d'information, d'instruction ou de poursuite. Tout délai de prescription ou de forclusion est suspendu.

Les instances et procédures auxquelles il est ainsi fait obstacle peuvent être reprises ou engagées contre lui à l'expiration d'un délai d'un mois suivant la cessation des fonctions. »

Code de procédure pénale

Article 410-1

« Lorsque le prévenu cité dans les conditions prévues par le premier alinéa de l'article 410 ne comparaît pas et que la peine qu'il encourt est égale ou supérieure à deux années d'emprisonnement, le tribunal peut ordonner le renvoi de l'affaire et, par décision spéciale et motivée, décerner mandat d'amener ou mandat d'arrêt.

Si le prévenu est arrêté à la suite du mandat d'amener ou d'arrêt, il est fait application des dispositions de l'article 135-2. Toutefois, dans le cas où la personne est placée en détention provisoire par le juge des libertés et de la détention, elle doit comparaître dans les meilleurs délais, et au plus tard dans le délai d'un mois, devant le tribunal correctionnel, faute de quoi elle est mise en liberté. »

Article 411

« Quelle que soit la peine encourue, le prévenu peut, par lettre adressée au président du tribunal et qui sera jointe au dossier de la procédure, demander à être jugé en son absence en étant représenté au cours de l'audience par son avocat ou par un avocat commis d'office. Ces dispositions sont applicables quelles que soient les conditions dans lesquelles le prévenu a été cité.

L'avocat du prévenu, qui peut intervenir au cours des débats, est entendu dans sa plaidoirie et le prévenu est alors jugé contradictoirement.

Si le tribunal estime nécessaire la comparution personnelle du prévenu, il peut renvoyer l'affaire à une audience ultérieure en ordonnant cette comparution. Le procureur de la République procède alors à une nouvelle citation du prévenu.

Le prévenu qui ne répondrait pas à cette nouvelle citation peut être jugé contradictoirement si son avocat est présent et entendu. Le tribunal peut également, le cas échéant, après avoir entendu les observations de l'avocat, renvoyer à nouveau l'affaire en faisant application des dispositions de l'article 410-1.

Lorsque l'avocat du prévenu qui a demandé à ce qu'il soit fait application des dispositions du présent article n'est pas présent au cours de l'audience, le prévenu est, sauf renvoi de l'affaire, jugé par jugement contradictoire à signifier.

Ce Tribunal participe à l’émergence du droit administratif. Dans un premier temps le Tribunal des conflits statue sur de nombreux conflits positifs. »

 

Auteur :C. G.


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