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Droit de la responsabilité civile
Aléa thérapeutique : la nécessité d’un risque accidentel
Il ne saurait être admis qu’un préjudice relève d’un aléa thérapeutique sans constater la survenance d’un risque accidentel inhérent à l’acte médical et qui ne pouvait être maîtrisé, sauf à violer l’article L. 1142-1, I du Code de la santé publique.
Civ. 1re, 25 mai 2023, n° 22-16.848 B
Après avoir subi une opération de l’épaule, réalisée par un chirurgien orthopédique, un patient présenta une lésion anormale. Sur avis d’une commission régionale de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux, il avait été indemnisé par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (l'ONIAM) à hauteur de 124 652,30 euros. L'ONIAM avait ensuite assigné le chirurgien et son assureur en remboursement des sommes versées. Cet organisme avait obtenu gain de cause en appel, la cour ayant retenu, sur la base d’une expertise médicale, que le préjudice ne pouvait résulter que d’une faute médicale. La juridiction du second degré a ainsi retenu qu'il importait peu que la source exacte de la lésion fût définie, dès lors que l'alternative présentée par les experts entre deux causes possibles, soit la faute de l’anesthésiste ou la faute du chirurgien, conduisait nécessairement à retenir la seconde d'entre elles : « dès lors que l'anesthésie n'a pu causer une telle lésion, seule une maladresse commise par le chirurgien au cours de l'intervention litigieuse doit être retenue ». Par ailleurs, aucun risque inhérent à l’intervention chirurgicale n’avait pu être établi par les experts ni, plus généralement, par la doctrine médicale. Devant la Cour de cassation, le chirurgien et son assureur reprochaient aux juges du fond d’avoir ainsi présumé la faute du professionnel de santé sans rechercher si la survenance d'un risque inhérent à son intervention, que le chirurgien ne pouvait maîtriser, ne permettait pas de l’exonérer de sa responsabilité au titre de l'aléa thérapeutique. La Cour de cassation rejette leur pourvoi.
En vertu de l’article L. 1142-1, I du Code de la santé publique, qui prévoit un régime de responsabilité pour faute des professionnels de santé, la Cour énonce que si la preuve de la faute du médecin à l’origine du dommage résultant de ses actes de prévention, de diagnostic ou de soins incombe, en principe, au demandeur, une présomption de faute est prévue en cas d’atteinte portée par un chirurgien, en accomplissant son geste chirurgical, à un organe ou un tissu que son intervention n'impliquait pas. Simple, cette présomption peut toutefois être renversée si le professionnel de santé parvient à établir l’existence d’un aléa thérapeutique, i. e. d’une anomalie rendant l'atteinte inévitable ou d'un risque accidentel inhérent à cette intervention, qui ne pouvait être maîtrisé, donc non imputable à la faute du praticien. Or en l’espèce, les juges du fond ont retenu que les experts n'avaient envisagé que deux mécanismes susceptibles d'expliquer la lésion de la victime : le premier, imputable à l'anesthésie, avait été exclu notamment en raison de l'étendue de l'atteinte ; le second, imputable à une maladresse commise par le chirurgien lors de l’intervention ; or s'ils n'expliquaient pas avec certitude l’origine d’une telle lésion, l'alternative présentée les obligeait à retenir la seconde éventualité. En outre, aucun risque n'avait été identifié pour expliquer la survenance d'une telle lésion. Enfin, l'étude de la littérature médicale ne rapportait pas de complication de ce type de sorte que l'atteinte était nécessairement due à une maladresse technique imputable au chirurgien. Ainsi la cour d'appel a-t-elle caractérisé la cause de l'atteinte et exclu la survenance d'un aléa thérapeutique.
Régime d’indemnisation des victimes d’accidents médicaux – La mise en place d’un système d’indemnisation des accidents médicaux fut une des grandes innovations de la loi du 4 mars 2002 (L. n° 2002-303 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé). Avant cette loi, la jurisprudence considérait que la réparation des conséquences de l’aléa thérapeutique n’entrait pas dans le champ des obligations dont le médecin était contractuellement tenu (Civ.1re, 8 nov. 2000, n° 99-11.735). L’absence de faute prouvée conduisait donc à considérer comme non réparable le dommage résultant d’un aléa thérapeutique. La loi du 4 mars 2002 ne postule pas davantage que la réparation de l’aléa thérapeutique incombe au médecin. Elle est cependant plus favorable aux victimes que la jurisprudence antérieure, dans la mesure où elle prévoit qu’un accident médical non fautif ouvre droit à réparation au titre de la solidarité nationale (CSP, art. L. 1142-1, II). Le titre III de la loi, ayant pour objet la réparation des risques sanitaires, a en effet créé un Fonds d’indemnisation pour les victimes d’accidents médicaux, d’affections iatrogènes et d’infections nosocomiales. Ce Fonds assure l’indemnisation des préjudices ne trouvant pas leur origine dans une faute médicale avérée et présentant un certain degré de gravité. Dans cette perspective, la loi a repris et en même temps modifié la jurisprudence existante en matière de responsabilité médicale. En effet, la procédure d’indemnisation varie selon que le professionnel de santé est ou non responsable, le Code de la santé publique ayant réaffirmé le principe jurisprudentiel de la responsabilité pour faute (CSP, art. L. 1142-1, I). Schématiquement, la loi institue une procédure d’indemnisation par l’assureur du professionnel responsable ; en revanche, en l’absence de responsabilité médicale, l’indemnisation de la victime résulte d’une procédure d’indemnisation analogue à celle des victimes du terrorisme et d’infractions. L’indemnisation du patient relève dans ce cas non de l’assurance privée mais de la solidarité nationale. L’indemnisation est alors versée par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (l'ONIAM), financé par la Sécurité sociale. C’est précisément pour obtenir la prise en charge de la dette indemnitaire de la victime par l’ONIAM que le chirurgien tenta, en l’espèce, de rapporter la preuve de son absence de faute en établissant celle d’un aléa thérapeutique.
Aléa thérapeutique : critères de l’irresponsabilité médicale – La responsabilité civile du professionnel de santé ne peut être engagée lorsque le dommage est attribué à un aléa thérapeutique. Cet aléa est caractérisé par l’impossibilité d’éviter l’anomalie apparue ou de maîtriser le risque survenu, rendant inévitable l’atteinte subie par la victime. Un premier critère d’imputabilité de l’atteinte à l’acte médical effectué est requis : l’accident médical doit être directement imputable à des « actes de prévention, de diagnostic ou de soins » (CSP, art. L. 1142-1), ce qui implique soit qu’il présente un caractère distinct de l’atteinte initiale, soit qu’il résulte de son aggravation (Civ. 1re, 24 mai 2017, n° 16-16.890 ; 14 nov. 2018, n° 17-18.687). Ce critère d’imputabilité est complété par un critère d’irrésistibilité : les conséquences dommageables de l’accident ne pouvaient être maîtrisées, donc évitées (Civ. 1re, 20 janv. 2011, n° 10-17.357). Un dernier critère, lié à l’anormalité du dommage, doit enfin être rempli : l’atteinte doit pouvoir être regardée comme anormale au regard de l’état du patient et de son évolution prévisible (Civ. 1re, 15 juin 2016, n° 15-16.824). L’anormalité résulte soit de la gravité du dommage subi par le patient, soit de la très faible probabilité de survenance du dommage (Civ.1re, 19 juin 2019, n° 18-20.883).
Absence de risque accidentel : exclusion de l’aléa thérapeutique - En l’espèce, la cour d’appel avait considéré que « la faible probabilité de la lésion ne résulte en réalité pas de la faible fréquence du risque de survenue d'une telle lésion dans le cadre de ce type de chirurgie, mais de la fréquence limitée d'une faute identique à celle commise par le chirurgien dans le cadre d'une intervention qui aurait dû exclure une telle erreur ». Autrement dit, la cause de l’anormalité (une probabilité faible) résidait en l’espèce non pas dans l’observation d’un risque accidentel inhérent à l’intervention pratiquée (aucun risque particulier n’avait été identifié) mais dans la commission d’une faute médicale. Les juges relèvent ainsi « la maladresse technique » à l’origine du dommage. La solution implique que la faute du professionnel de santé soit largement entendue, la lecture a contrario de la solution signifiant en effet que le dommage ne découlant pas d’un risque accidentel inhérent à l’acte médical et qui ne peut être maîtrisé est ipso facto imputable au médecin. En l’absence de risque d’accident médical susceptible de se réaliser lors de l’intervention, les conséquences dommageables de l’opération ne pouvaient donc être autrement expliquées que par la faute du chirurgien, en sorte que l’aléa thérapeutique devait être exclu et la responsabilité civile du praticien, retenue. Il est à noter que la jurisprudence avait déjà admis que la simple maladresse est constitutive d’une faute (Civ. 1re, 23 mai 2000, n° 98-19.869). Plus largement, il faut se demander si une faute technique, à l’instar de celle en l’espèce retenue, a été commise par le praticien.
Avant comme après la loi du 4 mars 2002, l’aléa thérapeutique fait donc l’objet d’une conception stricte. Pour qu’il soit retenu, il convient de réunir plusieurs critères, dont l’existence d’un risque de dommage, non détachable de l’acte médical et dont la survenance ne pouvait être empêchée.
Références :
■ Civ.1re, 8 nov. 2000, n° 99-11.735 P : D. 2001. 2236, et les obs., obs. D. Mazeaud ; ibid. 570, chron. Y. Lambert-Faivre ; ibid. 3083, obs. J. Penneau ; RDSS 2001. 54, note L. Dubouis ; RTD civ. 2001. 154, obs. P. Jourdain.
■ Civ. 1re, 24 mai 2017, n° 16-16.890 P : D. 2017. 1127 ; ibid. 1859, chron. S. Canas, C. Barel, V. Le Gall, I. Kloda, S. Vitse, J. Mouty-Tardieu, R. Le Cotty, C. Roth et S. Gargoullaud ; RTD civ. 2017. 674, obs. P. Jourdain.
■ Civ. 1re, 14 nov. 2018, n° 17-18.687
■ Civ. 1re, 20 janv. 2011, n° 10-17.357 P : DAE, 9 févr. 2011, note B. H ; D. 2011. 376, obs. I. Gallmeister ; RTD civ. 2011. 354, obs. P. Jourdain.
■ Civ. 1re, 15 juin 2016, n° 15-16.824 P : D. 2016. 1373 ; ibid. 2017. 24, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz.
■ Civ.1re, 19 juin 2019, n° 18-20.883 P : D. 2019. 1334 ; ibid. 2058, obs. M. Bacache, A. Guégan et S. Porchy-Simon ; ibid. 2020. 40, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ; RDSS 2019. 942, obs. P. Curier-Roche ; RTD civ. 2019. 602, obs. P. Jourdain.
■ Civ. 1re, 23 mai 2000, n° 98-19.869 P : D. 2000. 192, et les obs. ; RTD civ. 2000. 840, obs. P. Jourdain.
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