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Introduction au droit
Annulation d’une location financière : le refus judiciaire d’évaluer le montant de l’indemnité d’occupation faute de preuve suffisante constitue un déni de justice
En vertu de l’article 4 du Code civil, le juge ne peut refuser d’indemniser un préjudice, certain dans son principe, en se fondant sur l’insuffisance des preuves fournies par les parties ; en refusant d’évaluer le montant de l’indemnité d’occupation due au bailleur après l’annulation d’un contrat de location, motif pris de la carence probatoire des parties, le juge commet un déni de justice.
Com. 11 déc. 2024, n° 23-10.028
Les restitutions sont de nouveau à l’honneur dans cette décision publiée au Bulletin rendue le 11 décembre 2024 par la chambre commerciale de la Cour de cassation. Le 5 décembre dernier, la troisième chambre civile avait déjà eu l’occasion de préciser que la créance de restitution due au vendeur, laquelle inclut la valeur de jouissance, n’est pas subordonnée à l’absence de mauvaise foi ou de faute de celui-ci (Civ. 3e, 5 déc. 2024, n° 23-16.270). Dans la présente décision, le principe de la restitution étant acquis, c’est son évaluation qui posait question, invitant la Cour à préciser les contours de l’office du juge saisi d’une demande de fixation d’une indemnité de jouissance.
Au cas d’espèce, un preneur assigne son bailleur en nullité du contrat de location financière les liant, ainsi que le fournisseur du matériel financé en nullité des bons de commande. Une fois ces contrats annulés, le bailleur demande, en contrepartie de la jouissance du bien occupé par le preneur après l’annulation de la convention, le versement d'une indemnité d'occupation. En cause d’appel, sa demande est rejetée, faute d’avoir été « explicitée en son quantum, ni assortie d’explications suffisantes ».
Devant la Cour de cassation, le bailleur invoque alors une violation de l’article 4 du Code civil, qui interdit au juge de refuser de faire droit à une demande indemnitaire fondée en son principe au motif de l'insuffisance des éléments de preuve qui lui sont fournis par les parties. Adhérant à la thèse du pourvoi, la chambre commerciale casse la décision des juges du fond au visa du célèbre article 4 du Code civil, dont il résulte que le juge ne peut, sans commettre un déni de justice, refuser de statuer sur une demande dont il admet le bien-fondé en son principe au motif de l’insuffisance des preuves fournies par une partie. Or en l’espèce, la cour d’appel a refusé d'évaluer l’indemnité de jouissance, pourtant fondée en son principe (C. civ., art. 1352-3 ; adde, Ch. mixte, 9 nov. 2007, n° 06-19.508), en raison de la carence probatoire de l’appelant. Pour ce motif, elle a débouté le bailleur de sa demande visant à obtenir le versement de l’indemnité de jouissance qui lui était due et dont les juges du fond étaient tenus de fixer le montant. S’étant soustraite à son obligation d’évaluation du dommage, qui s’infère de son obligation de statuer, la cour d’appel a violé le texte susvisé.
Par cet arrêt publié rendu au visa de l’article 4 du Code civil, qui fonde depuis 1804 la prohibition du déni de justice, la Cour de cassation rappelle aux juridictions du fond qu’elles ne peuvent échapper à l’obligation, incompatible avec cette interdiction, d'évaluer un préjudice dont elles ont par ailleurs constaté l'existence, motif pris de la carence probatoire des parties (v. déjà, Civ. 2e, 2 juill. 2020, n° 19-16-100). L’article 4 du Code civil oblige en effet le juge à trancher le litige qui lui est soumis, même en l’absence d’éléments de preuve relatifs à ce litige. La Cour de cassation reprend ici les termes d’un arrêt de principe de 1993, qui exprimait déjà fermement cette interdiction : « le juge ne peut refuser de statuer en se fondant sur l’insuffisance des preuves qui lui sont fournies par les parties » (Civ. 2e, 21 janv. 1993, n° 92-60.610).
En matière civile, le refus du juge d’évaluer un dommage en raison de l’incomplétude des éléments de preuve versés aux débats caractérise un déni de justice, du moins lorsque la certitude du préjudice est acquise (Civ. 2e, 17 mars 1993, n° 91-17.345 : en refusant d’évaluer le montant d’un dommage dont elle constatait l’existence dans son principe, une cour d’appel a violé l’art. 1382 anc. (1240) du Code civil ; comp. Civ. 3e, 2 juin 2016, n° 15-18.836 : absence de déni de justice en cas de rejet d’une demande en paiement fondé sur l’absence d’éléments suffisants pour apprécier l’étendue du préjudice subi, en raison de la carence répétée des demandeurs dans l’administration de la preuve). Motivée par le refus des juges du fond d’exercer leur office, la cassation de leur décision était donc prévisible, ce qui explique sans doute le laconisme de sa formulation : « le juge ne peut refuser d’indemniser un préjudice, certain dans son principe, en se fondant sur l’insuffisance des preuves fournies par les parties ». En effet, lorsque seul le montant de la créance reste à fixer, le juge est tenu d’y procéder, sans pouvoir se soustraire à cette obligation d’évaluation du dommage en se fondant sur la carence probatoire des parties (Civ. 2e, 11 mai 2017, n° 16-16.106, le juge devant à cette fin, s’il y a lieu, surseoir à statuer pour faire les comptes entre les parties). En l’espèce, la cour d’appel ne pouvait donc prendre prétexte du fait que le bailleur n’avait pas déterminé le montant de l’indemnité réclamée pour refuser de faire droit à sa demande alors que sa créance indemnitaire était certaine dans son principe et que la tâche de procéder à son évaluation lui revenait, en application de l’article 4.
À noter enfin qu’en pratique, pour pallier la carence probatoire des parties, le juge n’a souvent d’autre choix que d’ordonner une expertise sur laquelle s’appuyer pour procéder à l’évaluation du dommage et échapper ainsi au grief du déni de justice.
Références :
■ Civ. 3e, 5 déc. 2024, n° 23-16.270 : DAE, 22 janv. 2025, note Merryl Hervieu, D. 2024. 2166
■ Ch. mixte, 9 nov. 2007, n° 06-19.508 : D. 2007. 2955, obs. V. Avena-Robardet ; AJDI 2008. 47
■ Civ. 2e, 2 juill. 2020, n° 19-16-100 : DAE, 18 sept. 2020, note Merryl Hervieu, Rev. prat. rec. 2020. 12, obs. O. Cousin, M. Draillard, E. Joly et R. Laher
■ Civ. 2e, 21 janv. 1993, n° 92-60.610
■ Civ. 2e, 17 mars 1993, n° 91-17.345
■ Civ. 3e, 2 juin 2016, n° 15-18.836 : RDI 2016. 480, obs. F. Garcia
■ Civ. 2e, 11 mai 2017, n° 16-16.106 : D. 2017. 1133
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