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Droit de la responsabilité civile
Atteinte au droit de propriété : son seul constat ne suffit pas !
Mots-clefs : Civil, Biens, Propriété, Atteinte, Réparation, Indemnisation, Conditions, Responsabilité civile, Faute, Préjudice
Pour être obtenue, la réparation par équivalent de l’atteinte au droit de propriété dépend de la caractérisation d’une faute commise par son auteur et d’un préjudice subi par sa victime.
Les propriétaires d’une parcelle de terrain avaient assigné les propriétaires d’un immeuble situé sur une parcelle voisine en dénégation d’une servitude de passage sur leur fonds, ainsi qu’en réparation de l’atteinte ainsi causée à leur droit de propriété. Pour accueillir leur demande, notamment celle en indemnisation, la cour d’appel retint que la seule atteinte à leur droit de propriété, même sans autre préjudice démontré, justifiait une condamnation.
Les juges du fond reprenaient ainsi une solution déjà admise en jurisprudence, à propos d’une voie de fait, selon laquelle la seule constatation d’une atteinte au droit de propriété ouvre droit à réparation (Civ. 3e, 9 sept. 2009, n° 08-11.154) et ce, indépendamment des préjudices particuliers dont il appartient aux demandeurs de justifier, la seule constatation d’une voie de fait ouvrant droit à réparation.
La Cour de cassation censure cette décision au motif qu’en statuant ainsi, sans relever une faute imputable à leurs voisins ni un préjudice subi par les propriétaires du fonds enclavé, la cour d’appel a violé le nouvel article 1240 du Code civil (anc. art. 1382). Autrement dit, l’atteinte à un droit de propriété ne constitue un fait générateur de responsabilité qu’à la condition d’être fautive et de causer un préjudice, conformément aux exigences traditionnelles de la responsabilité civile.
Faut-il y voir un revirement par rapport à la décision précitée de septembre 2009 ? Cela reste incertain. En vérité, la conclusion dépend de l’interprétation retenue de la précédente décision.
Celle-ci peut être lue sans surprise ni inconfort si l’on considère que, matériellement, toute voie de fait entraîne ipso facto un préjudice consistant en une perte de jouissance (V. Civ. 3e, 16 févr. 1994, n° 92-70.276) ; en ce sens, sa simple constatation ouvre droit à réparation en ce qu'elle laisse présumer à la fois la faute, le préjudice et le lien de causalité. Si l'on suit cette interprétation, la portée de la solution rendue en 2009 se situe sur un plan seulement probatoire sans modifier, en matière d’atteinte au droit de propriété, les conditions traditionnellement exigées en matière de responsabilité civile. Il est à noter, néanmoins, que la rédaction de son attendu s’inspirait très nettement des termes de ceux rendus en matière de droits au respect de la vie privée (Civ. 1re, 5 nov. 1996, n° 94-14.798; Civ. 3e, 25 févr. 2004, n° 02-18.081), selon lesquels « la seule constatation d’une atteinte à la vie privée ouvre droit à réparation ».
L’analyse des juges du fond était, en l’espèce, inspirée de cette approche, elle-même influencée par un mouvement plus général de subjectivisation du droit de la responsabilité civile, dont la doctrine a parfois pu constater comme contester l’émergence (G. Viney, Introduction à la responsabilité, LGDJ, 3e éd., n° 56-2). Prolongeant les solutions rendues en matière de droits de la personnalité, la décision de 2009 aurait alors, en cas d’atteinte au droit de propriété, marqué un véritable infléchissement des conditions de la responsabilité civile, sans prendre celles-ci en considération, la seule atteinte au droit subjectif de propriété ouvrant en elle-même un droit à réparation (V. P. Jourdain, « Les droits de la personnalité à la recherche d'un modèle » ; Gaz. Pal., 19 mai 2007.52).
Quoiqu’il en soit, la Cour de cassation marque ici un retour à la tradition, exigeant, outre une atteinte au droit de propriété, la démonstration d’une faute et d’un préjudice effectivement subi. Précisions d’ailleurs que, même en 2009, la mise à l’écart des principes traditionnels n'était déjà pas radicale dès lors qu’il fallait bien s'en remettre aux règles relatives au préjudice pour fixer l'étendue de la réparation (V. P. Jourdain, préc.).
Il convient également de relever qu’après avoir rappelé la possibilité de réparer les atteintes au droit de propriété sur le fondement de la responsabilité civile, à l’effet d’éviter l’automatique sévérité de la réparation en nature (Civ. 3e , 5 oct. 2017, n° 16-21-243), la Cour transforme, en l’espèce, cette possibilité en obligation.
Les justifications d’une telle solution sont que d’une part, techniquement, la responsabilité délictuelle peut très bien servir de fondement à la sanction des atteintes portées au droit de propriété, comme elle intervient, plus généralement, pour assurer la réparation de la violation d’autres droits subjectifs ; et que d’autre part, en opportunité, elle permet de sanctionner mais sans automatisme drastique voire injustifié, les atteintes susceptibles d’être portées au droit de propriété.
Droit fondamental mais avant tout historique, le droit de propriété n’en reste pas moins confronté aux principes tout aussi ancrés dans notre droit de la responsabilité civile délictuelle.
Civ. 3e, 18 janv. 2018, n° 16-20.563
Références
■ V. Fiches d’orientation Dalloz : Servitude (notion), Servitude (régime) et Voie de fait.
■ Civ. 3e, 9 sept. 2009, n° 08-11.154 P : AJDA 2009. 1639 ; D. 2009. 2220, obs. G. Forest ; ibid. 2010. 49, obs. P. Brun et O. Gout ; AJDI 2010. 329, obs. R. Hostiou ; ibid. 113, chron. S. Gilbert ; ibid. 2011. 111, chron. S. Gilbert ; RDI 2009. 583, obs. C. Morel.
■ Civ. 3e, 16 févr. 1994, n° 92-70.276 : D. 1995. 156, obs. P. Carrias.
■ Civ. 3e , 5 oct. 2017, n° 16-21-243 : Dalloz Actu Étudiant, 8 nov. 2017.
■ Civ. 1re, 5 nov. 1996, n° 94-14.798 P : D. 1997. 403, note S. Laulom ; ibid. 289, obs. P. Jourdain ; RTD civ. 1997. 632, obs. J. Hauser.
■ Civ. 3e, 25 févr. 2004, n° 02-18.081 P : D. 2004. 1631, obs. C. Caron ; ibid. 2005. 749, obs. N. Damas ; AJDI 2004. 370, obs. Y. Rouquet ; RTD civ. 2004. 482, obs. J. Hauser ; ibid. 729, obs. J. Mestre et B. Fages.
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