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Procédure pénale
Banderoles sur les balcons, fleurissent, fleurissent, Banderoles sur les balcons, en GAV placé
Il y a quelques semaines, une jeune femme a été placée en garde à vue pour outrage au Chef de l'État. On lui reprochait d'avoir mis sur sa maison une banderole reprenant la Une de Charlie Hebdo du 29 janvier avec une caricature d'Emmanuel Macron. Sur la banderole on pouvait lire : « Macronavirus, à quand la fin ? ».
Le jour même, le procureur de la République de Toulouse, Dominique Alzéari, confirmait qu’une enquête avait été ouverte pour outrage à personne dépositaire de l’autorité publique et confiée à la direction départementale de la sécurité publique (DDSP). Quelques jours plus tard, tous ses colocataires sont à leur tour convoqués au commissariat.
L’affront allégué au Chef de l’État par les autorités policières et judiciaires valait-il une garde à vue ? L’actualité nous donne l’occasion de revenir sur les infractions d’offense ou d’outrage envisageable lorsqu’elles ont pour cible le premier magistrat de France.
■ L'offense à Chef de l'État
Deux infractions existaient antérieurement dans la législation pénale.
La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse réprimait en premier lieu l'offense à Chef d'État étranger (art. 36). Mais, la Cour européenne des Droits de l’Homme ayant jugé que la définition de l'incrimination était contraire à l'article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH 25 juin 2002, Colombani c/ France, n° 51279/99), cette disposition a été abrogée par la loi du 9 mars 2004.
La loi de 1881 incriminait en second lieu spécifiquement l'offense au Président de la République (art. 26). Cette disposition fut pareillement éliminée de notre législation en 2013 (L. n° 2013-711 du 5 août 2013) à la suite d’une condamnation de la France pour violation, là encore, de la liberté d'expression. Dans cette affaire, le requérant avait été condamné pour lui avoir brandi un petit écriteau comportant la mention « Casse toi pov'con ! » et condamné à 30 € d'amende avec sursis (CEDH 14 mars 2013, Eon c/ France, n° 26118/10).
Faute d’incrimination spéciale contre les invectives et autres nasardes à l’encontre du Chef de l’État, reste le recours possible aux infractions de droit commun dont la qualification indiquée par le procureur dans cette affaire : le délit d’outrage à personne dépositaire de l’autorité publique.
■ L’outrage.
Suivant la définition du professeur R. Vouin (Droit pénal spécial, 1988, Dalloz, n° 428), l'outrage s'entend de toute expression dont la signification menaçante, diffamatoire ou injurieuse, est propre à diminuer l'autorité morale de la personne investie d'une des fonctions de caractère public définies par la loi (Cass., ch. réunies, 17 mars 1851). Si Plusieurs textes répriment l’outrage (outrage aux magistrat, V. C. pén., art. 434-24, outrage public de l'hymne national ou du drapeau tricolore, V. C. pén., art. 433-5-1), la qualification donnée par le procureur fait référence à l’article 433-5 alinéa 2 du Code pénal qui dispose que « Constituent un outrage (…) les paroles, gestes ou menaces, les écrits ou images de toute nature non rendus publics ou l'envoi d'objets quelconques adressés à une personne chargée d'une mission de service public, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de sa mission, et de nature à porter atteinte à sa dignité ou au respect dû à la fonction dont elle est investie. Lorsqu'il est adressé à une personne dépositaire de l'autorité publique, l'outrage est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 € d'amende ».
Il ne fait nul doute que le Président de la République peut être considéré comme « personne dépositaire de l'autorité publique ». Reste que la loi, en énonçant les moyens par lesquels l’outrage doit être exprimé pour être une infraction pénale, introduit des conflits de qualification avec diffamation ou injure publique envers un serviteur de l'État. En effet, l'article 433-5 restreint le délit d'outrage « aux écrits ou images non rendus publics ». Les outrages par écrits ou par images qui font l'objet d'une publicité devraient ménager l'application de la loi du 29 juillet 1881 et des infractions qui recèlent un outrage telles que la diffamation ou injure publique envers un serviteur de l'État. Néanmoins, la jurisprudence reconnaît que les articles 433-5 et 434-24 du Code pénal n'excluent pas en toute hypothèse la publicité de l'outrage. La distinction repose sur le but le message portant atteinte à la réputation de l'agent public. Si la communication s'adressait au public, il y a diffamation ou injure publique. Si elle s'adressait à l'intéressé, il y a outrage. Ainsi la Chambre criminelle affirme que les expressions diffamatoires ou injurieuses proférées publiquement par l'un des moyens énoncés à l'article 23 de la loi susvisée sur la liberté de la presse, contre une personne chargée d'une mission de service public ou dépositaire de l'autorité publique à raison de ses fonctions ou à l'occasion de leur exercice, sans être directement adressées à l'intéressé, n'entrent pas dans les prévisions de l'article 433-5 du Code pénal incriminant l'outrage, et ne peuvent être poursuivies et réprimées que sur le fondement des articles 31 et 33 de ladite loi (Crim. 29 mars 2017, n° 16-82.884).
En l’espèce, on admettra qu’accrocher banderoles et pancartes aux fenêtres ou aux balcons des maisons permet davantage une communication publique d’un avis politique que de s’adresser directement au Président de la République. L’infraction d’outrage est dès lors très discutable dans sa matérialité.
■ L’injure
Une dernière qualification était sans doute envisageable, et plus conforme au principe de légalité : l’injure. L’article article 29 loi sur la presse dernier alinéa dispose que « Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait est une injure ». L’article 33 de la loi de 1881, par renvoi à l’article 31, punit l'injure à raison de leurs fonctions ou de leur qualité, des personnes revêtues d'un caractère public dont, le Président de la République. L’infraction est punie d'une amende de 12 000 euros. L’injure publique peut notamment se réaliser « par des placards ou des affiches exposés au regard du public » (art. 23).
La comparaison à un virus est assurément peu flatteuse et l’expression est, à n’en pas douter, injurieuse. Mais au-delà de l’appréciation du caractère injurieux ou non des termes de la banderole, cette affaire toulousaine appelle deux remarques :
- La première est relative à la garde à vue. D’abord la nécessité de la mesure interroge. Quoiqu’en présence de raisons plausibles de soupçonner la personne d’avoir commis une infraction, la contrainte n’est pas toujours nécessaire. Rappelons que la garde à vue « doit constituer l'unique moyen de parvenir à l'un des objectifs énumérés par la loi: notamment, permettre l'exécution des investigations, garantir la présentation de la personne devant le procureur de la République, empêcher que la personne ne modifie les preuves, empêcher des pressions sur des témoins ou les victimes, empêcher que la personne ne se concerte avec des coauteurs ou complices, garantir la cessation de l'infraction ». En l’espèce, on comprend mal en quoi le placement en garde à vue répondait aux exigences posées. La jeune femme avait, lors de la première intervention des forces de l’ordre, accepté de retirer la banderole et décliné son identité. Dans le cas où une personne fait des déclarations ou répond aux questions de l'officier de police judiciaire spontanément ou librement, le recours à l’audition libre semble plus pertinent (C. pr. pén., art. 61-1; sur le contrôle de la nécessité de la mesure de garde à vue, V. Crim. 7 juin 2017, n° 16-87.588 ; Crim. 28 mars 2017, n° 16-85.018).
Si les raisons qui justifient la nécessité de la garde à vue restent obscures, la proportionnalité de la mesure laisse encore plus dubitatif. Le recours discutable à la qualification d’outrage au détriment de celle d’injure permet de réaliser un détournement de procédure. Punie d’une simple peine d’amende, l’injure publique ne permet pas de recourir à une mesure de garde à vue. On rappellera en effet que, parmi les critères légaux permettant de recourir à cette mesure privative de liberté, un critère de gravité de l’infraction est posé à l'article 62-2 du Code de procédure pénale : ainsi, seule peut être placée en garde à vue « une personne à l'encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d'une peine d'emprisonnement ».
- La seconde remarque est relative à la liberté d’expression et singulièrement à l’exercice de cette liberté en matière politique
Rappelons que dans l’affaire Eon c/ France, la juridiction européenne a rappelé que l'article 10, § 2, de la Convention EDH « ne laisse guère de place à des restrictions à la liberté d'expression dans le domaine politique » et « qu'un homme politique s'expose inévitablement et consciemment à un contrôle attentif de ses faits et gestes par les citoyens et doit, par conséquent, montrer une plus grande tolérance vis-à-vis des critiques à son égard ». La cour s’était également montré sensible au fait que les ces propos constituaient une « impertinence satirique » dès lors qu’ils reprenaient une expression déjà tenue par le Président de la République lui-même quelques mois auparavant. « …La Cour considère que sanctionner pénalement des comportements comme celui qu'a eu le requérant en l'espèce est susceptible d'avoir un effet dissuasif sur les interventions satiriques concernant des sujets de société qui peuvent elles aussi jouer un rôle très important dans le libre débat des questions d'intérêt général sans lequel il n'est pas de société démocratique ».
Un tel raisonnement pourrait être reproduit ici. Apposer une banderole à caractère politique sur la façade d'une maison reprenant la Une d’un journal satirique, en temps de confinement, n’est que l’expression d’un libre débat dans une société démocratique. L’état d’urgence sanitaire actuel ne saurait justifier une atteinte à la liberté d’expression. Des poursuites pour injure ou d’outrage ne répondraient à aucun « besoin social impérieux » susceptible de justifier cette restriction.
Références
■ CEDH 25 juin 2002, Colombani c/ France, n° 51279/99 : AJDA 2002. 1277, chron. J.-F. Flauss ; RSC 2003. 116, obs. J. Francillon.
■ CEDH 14 mars 2013, Eon c/ France, n° 26118/10 : Dalloz Actu Étudiant, 21 mars 2013 ; Dalloz Actualite, 19 mars 2013, obs. O. Bachelet ; D. 2013. 968, obs. S. Lavric, note O. Beaud ; rfda 2013. 576, chron. h. Labayle, F. Sudre, X. Dupre de Boulois et L. Milano ; ibid. 594, chron. N. Droin ; Constitutions 2013. 257, obs. D. de Bellescize
■ Cass., ch. réunies, 17 mars 1851 : DP 1851. 1. 869
■ Crim. 29 mars 2017, n° 16-82.884 P : AJDA 2017. 1205 ; D. 2017. 818 ; AJ pénal 2017. 278, note D. Luciani-Mien ; Légipresse 2017. 245 et les obs. ; ibid. 386, Étude A. Serinet ; RSC 2018. 105, obs. E. Dreyer
■ Crim. 7 juin 2017, n° 16-87.588 P : D. 2017. 1557, chron. G. Guého, E. Pichon, B. Laurent, L. Ascensi et G. Barbier ; AJ pénal 2017. 403, obs. G. Roussel ; RSC 2017. 765, obs. F. Cordier
■ Crim. 28 mars 2017, n° 16-85.018 P : D. 2017. 1339, note S. Pellé ; ibid. 1557, chron. G. Guého, E. Pichon, B. Laurent, L. Ascensi et G. Barbier ; ibid. 1676, obs. J. Pradel ; AJ pénal 2017. 353, obs. J. Andrei
■ Crim. 7 juin 2017, n° 16-87.588 P : D. 2017. 1557, chron. G. Guého, E. Pichon, B. Laurent, L. Ascensi et G. Barbier ; AJ pénal 2017. 403, obs. G. Roussel ; RSC 2017. 765, obs. F. Cordier
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