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[ 2 décembre 2019 ] Imprimer

Droit de la famille

Casuistique familiale : les droits du parent d’intention

La QPC visant à contester l’absence de droit du parent d’intention, après sa séparation avec le parent biologique, au maintien de ses relations avec l’enfant et à l’octroi d’un droit de visite ne donne pas lieu à renvoi.

Il n’y a pas lieu de transmettre au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité posée, à propos de l’article 371-4 du Code civil, par l’ex-compagne de la mère biologique d’un enfant élevé en commun durant leur relation. Celle-ci dénonçait les lacunes de ce texte, qui ne prévoit pas d'obligation, pour le parent d'intention, de maintenir ses liens avec l'enfant qu'il a élevé et qui symétriquement, ne lui confère pas de droit de visite et d'hébergement de principe. 

C’est en ce sens que vient de se prononcer la première chambre civile, au motif que la question posée ne présentait pas un caractère sérieux

Celle-ci se déclinait en trois sous-questions : 

Premièrementl’article 371-4 du Code civil, en ce qu’il n’oblige pas le parent de fait de maintenir ses liens avec l’enfant qu’il a pourtant élevé, ne porte-t-il pas atteinte à l’exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant, garantie par les dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 ?

Deuxièmement, cet article, qui laisse donc le juge libre de conférer un droit de visite au parent d’intention, contrairement à ce qui est prévu pour l’enfant issu d’un mariage entre deux personnes de même sexe, ayant fait l’objet d’une adoption, et qui opère ainsi une distinction entre les enfants, fondée sur la nature de l’union contractée par le couple parental, méconnait-il le principe d’égalité tel que garanti par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ?

Troisièmement, ce texte, qui permet la rupture irrémédiable de la relation antérieurement nouée entre l’enfant et son parent d’intention, sans qu’un motif grave ne la justifie, méconnait-il le droit à la vie familiale normale de l’enfant et de son parent de fait garanti par le dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 ? 

La Cour de cassation y répond invariablement par la négative. 

En premier lieu, elle juge que la disposition contestée ne saurait porter atteinte à l'exigence constitutionnelle de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant dès lors qu'elle fonde les décisions relatives aux relations personnelles que l'enfant entretient avec un tiers, parent ou non, sur le seul critère de son intérêt propre. La rédaction du second alinéa du texte en témoigne : « Si tel est l’intérêt de l’enfant, le juge aux affaires familiales fixe les modalités des relations entre l'enfant et un tiers, parent ou non, en particulier lorsque ce tiers a résidé de manière stable avec lui et l'un de ses parents, a pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation, et a noué avec lui des liens affectifs durables ». L’autorité parentale ayant « pour finalité l’intérêt de l’enfant » (C. civ., art. 371-1, al. 1er), les père et mère de ce dernier, s’ils sont en droit de contrôler ses fréquentations, essentiellement « pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité » (C. civ., art. 371-1), ne peuvent néanmoins s’opposer au développement ou entraver le maintien de certaines de ses relations, notamment avec leurs anciens conjoints ou concubins, s’il en va de son intérêt. Ainsi seul l’intérêt de l’enfant doit-il guider ses parents et, le cas échéant, le juge aux affaires familiales, dans leur décision de conférer ou de refuser à un tiers, parent ou non, un droit de visite et d’hébergement

La Cour ajoute, en deuxième lieu, que ce texte n'opère en lui-même aucune distinction, entre les enfants, fondée sur la nature de l'union contractée par un couple de même sexe, cette distinction résultant d'autres dispositions légales selon lesquelles la création d'un double lien de filiation au sein d'un couple homosexuel implique, en l'état du droit positif, l'adoption de l'enfant par le conjoint de son père ou de sa mère. En vérité, la distinction réside dans la qualité de parent ou de tiers du bénéficiaire du droit de visite : alors qu’en cas de séparation, le droit de visite du parent non gardien de l’enfant est de droit (Civ. 1re, 14 mars 2006, n° 04-19.527), il est seulement facultatif pour le tiers, qu’il ait un lien de parenté de droit (tante, sœur, etc. ; contra, pour les grands-parents, C. civ., art. 371-4 ; Civ. 1re, 1er déc. 1982, n° 81-14.627; Civ. 1re, 14 janv. 2009, n° 08-11.035), ou de fait (parent d’intention, ou beau-parent) avec l’enfant. 

Cela étant, la distinction étant fondée sur la différence objective des liens entre l’enfant et le demandeur au droit de visite (lien de filiation ou lien de parenté, notamment d’intention), l’atteinte au principe d’égalité est exclue. En outre, l’octroi d’un droit de visite au parent d’intention est indifférent à son identité de sexe avec le parent biologique de l’enfant comme à la nature de leur relation (maritale ou libre) jadis entretenue (Civ. 1re, 13 juill. 2017, n° 16-24.084). 

En troisième lieu, l'article 371-4 du Code civil, qui tend, en cas de séparation, à concilier l'intérêt supérieur de l'enfant et le maintien des liens de celui-ci avec l'ancienne compagne ou l'ancien compagnon de sa mère ou de son père, lorsque des liens affectifs durables ont été noués, ne saurait méconnaître le droit de mener une vie familiale normale. En effet, l’octroi d’un droit de visite à l’ancien parent de fait n’a plus rien d’exceptionnel (v. contra, anc. art. 371-4, al. 2) ; son refus pourra néanmoins être prononcé, dans l’intérêt de l’enfant, dans le cas où l’ex-compagne est, depuis la séparation, devenue une étrangère pour l’enfant (Civ. 1re, 23 oct. 2013, n° 12-20.560) ou a fortiori, compte tenu du climat passionnel et déraisonnable existant entre les ex-compagnes (Paris, 5 juin 2014). Face à la multiplication et à la banalisation des recompositions familiales, le législateur a ainsi entendu favoriser le maintien des liens jadis noués entre l’enfant et celui ou celle ayant un temps partagé sa vie et contribué à son équilibre affectif et à sa sécurité matérielle, à la seule condition, au demeurant essentielle, que la poursuite de ces liens soit dans son intérêt. La volonté de promouvoir la continuité de ces liens est d’ailleurs confortée par les décisions prononcées à cette fin dans le cadre des délégations-partages de l’autorité parentale : rappelons que soit le père soit la mère peut présenter une demande de délégation de son autorité parentale afin de partager celle-ci avec un tiers, qui est souvent celui ou celle avec laquelle le parent vit en couple ; or non seulement cette mesure peut être décidée lorsque le parent et son conjoint ou concubin sont de même sexe (Civ. 1re, 24 févr. 2006, n° 04-17.090), mais surtout, celle-ci ne cesse pas automatiquement en cas de séparation, laquelle ne justifie pas en soi la remise en cause de la délégation-partage qui avait pu, dans l’intérêt de l’enfant, être autrefois prononcée (Civ. 1re, 4 janv. 2017, n° 15-28.230). 

Civ. 1re, QPC, 6 nov. 2019, n° 19-15.198 P

Références

■ Civ. 1re, 14 mars 2006, n° 04-19.527 P : D. 2006. 881, obs. I. Gallmeister ; ibid. 2007. 2192, obs. A. Gouttenoire et L. Brunet ; AJ fam. 2006. 202, obs. F. Chénedé ; RTD civ. 2006. 300, obs. J. Hauser ; ibid. 549, obs. J. Hauser

■ Civ. 1re, 1er déc. 1982, n° 81-14.627 P

■ Civ. 1re, 14 janv. 2009, n° 08-11.035 P : D. 2009. 372, obs. V. Egéa ; ibid. 1918, obs. A. Gouttenoire et P. Bonfils ; AJ fam. 2009. 128, obs. M. Brusorio-Aillaud ; RTD civ. 2009. 309, obs. J. Hauser

■ Civ. 1re, 13 juill. 2017, n° 16-24.084 P : Dalloz Actu Étudiant, 20 sept. 2017 ; D. 2017. 1528 ; ibid. 2018. 528, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 641, obs. M. Douchy-Oudot ; AJ fam. 2017. 478, obs. M. Saulier

■ Civ. 1re, 23 oct. 2013, n° 12-20.560 : D. 2014. 1171, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 1787, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; AJ fam. 2013. 705, obs. G. Vial ; RTD civ. 2014. 106, obs. J. Hauser

■ Paris, 5 juin 2014

■ Civ. 1re, 24 févr. 2006, n° 04-17.090 P : D. 2006. 897, et les obs., note D. Vigneau ; ibid. 876, point de vue H. Fulchiron ; ibid. 1139, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 1414, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; AJ fam. 2006. 159, obs. F. Chénedé ; RDSS 2006. 578, obs. C. Neirinck ; RTD civ. 2006. 297, obs. J. Hauser

■ Civ. 1re, 4 janv. 2017, n° 15-28.230 : D. 2017. 1727, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; ibid. 2018. 641, obs. M. Douchy-Oudot ; AJ fam. 2017. 297, obs. A. Machez

 

Auteur :Merryl Hervieu

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