Actualité > À la une

À la une

[ 15 septembre 2025 ] Imprimer

Droit des obligations

Cautionnement : limite à la force probante du constat d’huissier pour la preuve de l’obligation d’information annuelle

Dans un arrêt rendu le 18 juin 2025, la chambre commerciale de la Cour de cassation revient sur la preuve de l’exécution par le créancier professionnel de son obligation d’information annuelle de la caution. Elle précise que cette preuve ne peut être valablement apportée par un constat d’huissier, malgré l’efficacité attachée à ce procédé, lorsque le nom de la caution n’est pas mentionné dans la liste d’envoi groupé des lettres d’information concernées.

Com. 18 juin 2025, n° 23-14.713

Après avoir récemment clarifié la durée de l’obligation d’information annuelle du créancier professionnel à l’égard de la caution (Civ. 2e, 30 avr. 2025, n° 22-22.033), la Cour de cassation se penche cette fois sur la preuve de l’exécution de cette obligation, confirmant la rigueur croissante de son appréciation en jurisprudence (v. not. Civ. 1re, 25 mai 2022, n° 21-11.045). Elle précise en effet que le créancier professionnel ne peut valablement rapporter la preuve de la bonne exécution de son obligation par un constat d’huissier lorsque le document produit, portant sur un envoi groupé de la lettre d’information annuelle, ne mentionne pas clairement le nom de la caution concernée parmi ses destinataires.

Au cas d’espèce, une banque consent à une société, le 10 novembre 2017, un prêt de 45 000 €. L’opération est garantie par le cautionnement d’une personne physique. La débitrice principale rencontre des difficultés de trésorerie, à la suite desquelles elle est placée en liquidation judiciaire. Sa caution est alors assignée en paiement par la banque. La garante oppose alors au créancier une mauvaise exécution de son obligation annuelle d’information, telle qu’elle était prévue par l’ancien article L. 313-22 du Code monétaire et financier en l’espèce applicable, couvrant le montant du principal et des intérêts, des commissions et des frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l’année précédente. Ainsi la caution poursuit-elle la déchéance du droit aux intérêts de la banque. 

En cause d’appel, sa demande est rejetée à l’appui des constats d’huissier versés par la banque, prouvant que celle-ci a contrôlé la réalité de l’envoi groupé, par le prestataire chargé de leur délivrance, des lettres d’information aux cautions concernées. 

Devant la Cour de cassation, la caution poursuivie en paiement reproche aux juges du fond de considérer ainsi que ces éléments de preuve suffisent à justifier l’effectivité de l'information délivrée aux cautions, et d’en avoir déduit le respect par la banque de son obligation d'information annuelle, sans rechercher si son nom figurait distinctement dans les « listings » d’envoi des lettres d’information concernées. 

Le moyen du pourvoi délimite ainsi le problème en l’espèce soulevé, qui ne porte pas sur la charge de la preuve mais sur les modes de son administration. La question du fardeau de la preuve n’est plus, en effet, discutée : il est acquis en jurisprudence que la preuve de l’exécution du devoir d’information incombe au créancier professionnel, auquel il revient de justifier qu’il a effectivement adressé à la caution l’information annuelle qui lui est due, sans qu’il lui soit toutefois nécessaire d’établir, au surplus, que la caution l’a effectivement reçue (v. Civ.1re, 25 févr. 1997, n° 94-19.685). L’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 et son nouvel article 2302 laisse inchangée cette solution, qui circonscrit l’objet de la preuve à l’émission de la lettre d’information, sa réception en étant soustraite. En revanche, la force probante des éléments de preuve fournis par la banque prête ici à discussion. La production des constats d’huissier soulève en effet une difficulté, née du fait qu’ils actaient la transmission de lettres d’information à la caution appelée en garantie, sans que le nom de celle-ci ne fût clairement mentionné. La société chargée de leur délivrance avait en effet procédé à un envoi groupé, sans différencier les destinataires de cette information annuelle. Or si des constats d’huissier devraient en principe permettre de justifier l’envoi de la lettre d’information annuelle, rien ne permet, au cas d’espèce, de prouver que la caution avait bien été destinataire de cet envoi groupé, faute d’avoir été désignée dans le listing. Au cœur du pourvoi formé, cet argument est favorablement accueilli par la Cour qui casse, pour défaut de base légale, la décision de la cour d’appel, laquelle aurait dû vérifier « si le nom de M. [B] figurait dans les listings d’envoi des lettres d’information aux cautions » (pt n° 6). Dans cette hypothèse, malgré la valeur probatoire attachée aux constats d’huissier, il reste un doute sur l’effectivité de la délivrance de l’information à la caution elle-même : dans le contexte d’un envoi groupé, la bonne exécution de la transmission de l’information oblige donc à contrôler au sein du listing d’envoi la mention de chaque destinataire. À ce titre, la Cour d’appel de renvoi aura la tâche de vérifier que figure bien sur les constats d’huissier versés aux débats le nom de la caution poursuivie. En tout état de cause, l’attention de la pratique est ainsi appelée sur cette limite apportée à la force probante d’un constat d’huissier, a priori inattaquable : les listes d’envois groupés doivent mentionner, in extenso, le nom de l’ensemble des destinataires concernés, sans quoi le constat d’huissier versé aux débats n’aura pas la force suffisante à prouver la bonne exécution de l’obligation annuelle d’information.

L’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 ayant unifié le droit applicable à l’obligation d’information due à la caution ne modifie en rien la portée de la solution rapportée. Le nouvel article 2302 reprend en effet l’économie des textes préexistants et, notamment, de l’ancien article L. 313-22 du Code monétaire et financier. Rendue sur son fondement, la solution de l’arrêt du 18 juin 2025 nous semble donc parfaitement transposable en droit nouveau, d’autant plus que l’article 2302 s’applique même aux contrats conclus avant le 1er janvier 2022 pour les informations postérieures à cette date.

Dont acte : les créanciers professionnels – principalement les banques – chargés de se pré-constituer la preuve de l’envoi de leur obligation d’information annuelle ne peuvent s’abriter derrière la force probatoire d’un constat d’huissier : s’il porte sur un envoi groupé, cet élément de preuve ne pourra valablement remplir son rôle qu’à la condition que la caution concernée y apparaisse clairement comme destinataire.

Références :

■ Civ. 2e, 30 avr. 2025, n° 22-22.033 DAE, 27 mai 2025, A vos copies D. 2025. 828

■ Civ. 1re, 25 mai 2022, n° 21-11.045 : D. 2022. 1036 ; ibid. 1724, obs. J.-J. Ansault et C. Gijsbers

■ Civ.1re, 25 févr. 1997, n° 94-19.685 : D. 1997. 319, obs. J. Penneau ; RDSS 1997. 288, obs. L. Dubouis ; RTD civ. 1997. 434, obs. P. Jourdain ; ibid. 924, obs. J. Mestre

 

Auteur :Merryl Hervieu


  • Rédaction

    Directeur de la publication-Président : Julien Tanguy

    Directrice des éditions : 
    Caroline Sordet
    N° CPPAP : 0122 W 91226

    Rédacteur en chef :
    Maëlle Harscouët de Keravel

    Rédacteur en chef adjoint :
    Elisabeth Autier

    Chefs de rubriques :

    Le Billet : 
    Elisabeth Autier

    Droit privé : 
    Sabrina Lavric, Maëlle Harscouët de Keravel, Merryl Hervieu, Caroline Lacroix, Chantal Mathieu

    Droit public :
    Christelle de Gaudemont

    Focus sur ... : 
    Marina Brillié-Champaux

    Le Saviez-vous  :
    Sylvia Fernandes

    Illustrations : utilisation de la banque d'images Getty images.

    Nous écrire :
    actu-etudiant@dalloz.fr