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[ 26 juin 2024 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

CEDH : pas de droit à l’aide médicale à mourir

Une interdiction générale et extraterritoriale du recours à l’aide médicale à mourir n’entraîne pas une violation du droit au respect de la vie privée protégé à l’article 8 de la conv. EDH, art. En l’absence d’un consensus européen, et étant donné que le recours à l’aide médicale à mourir soulève des questions éthiques et morales extrêmement sensibles, les États membres bénéficient d’une marge d’appréciation considérable.

CEDH 13 juin 2024, Daniel Karsai c/ Hongrie, n° 35312/23 [en anglais]

Le requérant est un avocat hongrois, souffrant d’une maladie neurodégénérative inévitablement fatale à un stade avancé. Il risque, à terme, d’être « emprisonné dans son propre corps sans aucune perspective de libération autre que la mort ». Il exprime la volonté de pouvoir bénéficier d’une aide à mourir, au cas où son état deviendrait insupportable. Or, l’aide médicale à mourir (AMM) et l’euthanasie volontaire font l’objet d’une interdiction générale et extraterritoriale selon la loi hongroise. Le requérant saisit la Cour européenne des droits de l’homme, contestant cette interdiction.

■ La Conv. EDH et l’aide médicale à mourir

Rappelons que la Convention européenne des droits de l’homme n’inclut pas, expressément, de droit à l’AMM. La requête est examinée sous l’angle de l’article 8, du droit à la protection de la vie privée. La CEDH considère que l’accès à l’AMM est lié à des aspects fondamentaux du respect de la vie privée, de l’intégrité physique, mentale, et de la dignité humaine et rend l’article 8 applicable (v. aussi CEDH 29 avr. 2002, Pretty c/ Royaume-Uni, n° 2346/02).

L’article 2 § 1 de la Convention énonce que la mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement. La Cour de Strasbourg a toutefois déjà admis que le droit à la vie au sens de l’article 2 n’interdit pas le recours à l’aide médicale à mourir, à condition que celle-ci soit accompagnée de garanties appropriées et suffisantes pour prévenir les abus et assurer le respect du droit à la vie (v. CEDH, gd. ch. 5 juin 2015, Lambert et autres c/ France, n° 46043/14).

■ Examen du fond

La Cour examine la conformité de l’interdiction générale et extraterritoriale du suicide assisté avec le respect du droit de la vie privée. Une ingérence, portant atteinte ou limitant le droit au respect de la vie privée emporte violation, sauf si elle est prévue par la loi (1), poursuit un but légitime (1), et est nécessaire et proportionné au but poursuivi (3). Les deux premières conditions sont respectées : l’interdiction est prévue par la loi, et poursuit des objectifs légitimes tels que la protection de la vie des personnes vulnérables, et la protection de la morale (pts. 137 et 138). La question principale est donc la proportionnalité. La Cour cherche à savoir « si un juste équilibre a été ménagé entre l’intérêt du requérant à pouvoir mettre fin à ses jours (…), et les buts légitimes poursuivis par la législation (…) ».

Les États membres jouissent en la matière d’AMM d’une marge d’appréciation dont il est essentiel d’établir la portée. La Cour effectue à cette fin une analyse de droit comparé, et des traités internationaux pertinents. Elle constate qu’il n’y a pas de consensus parmi les États du Conseil de l’Europe sur la question de l’AMM. Les traités internationaux, tels que la Convention d’Oviedo, ne prévoient pas non plus de recours à l’euthanasie volontaire (v. pt. 143). L’affaire soulevant des questions éthiques et morales extrêmement sensibles, la CEDH accorde une large marge d’appréciation aux États membres.

■ Proportionnalité

Demeure la question de savoir si un juste équilibre a été ménagé entre les intérêts concurrents, en considérant la marge d’appréciation étatique.

La Cour observe que l’assistance médicale à mourir implique des risques d’abus et d’erreur. Cette pratique est interdite dans la majorité des États membres du Conseil de l’Europe. Dès lors, une interdiction, même extraterritoriale, ne saurait être qualifiée d’inhabituelle ou d’excessive. De surcroît, la CEDH considère qu’il ne lui appartient pas de déterminer le seuil de risque acceptable pour un recours à l’AMM.

Rappelons que l’article 8 crée des obligations positives et négatives à la charge de l’État. Il s’agit de protéger (obligations positives) et de ne pas porter atteinte (obligation négative) aux droits et libertés consacrées par la Convention. Il incombe en l’espèce à l’État de protéger la dignité humaine du requérant. Or, il n’est nullement établi que le requérant ne pourrait bénéficier de soins palliatifs adéquats, ni qu’il ne pourrait faire l’objet d’une sédation palliative pour soulager la souffrance de fin de vie (pt. 154). La Cour conclut donc que les autorités nationales « n’ont manqué à aucune obligation positive pouvant découler de l’article 8 concernant les soins palliatifs » (pt. 158).

Néanmoins, la Cour rappelle que la Convention est un instrument vivant qui doit toujours s’interpréter à la lumière des conditions actuelles. Cela signifie qu’elle doit procéder à un réexamen constant, en considérant l’évolution des sociétés européennes et des normes internationales (v. not. CEDH 31 janv. 2023, Y. c/ France, n° 76888/17, § 91).

Il n’y a pas de violation de l’article 8 de la Convention.

■ Interdiction de la discrimination

Les patients dont la survie dépend d’un traitement médical peuvent faire le choix de mettre fin à leur traitement, et d’ainsi mourir. Or, tel n’est pas le cas pour le requérant, le recours à l’AMM étant interdit. Le requérant affirme qu’effectuer une telle distinction est discriminatoire (Conv. EDH, art. 14).

La Cour de Strasbourg estime que la différence de traitement entre ces deux groupes est raisonnablement justifiée. Le fait d’arrêter un traitement assurant la survie d’un individu résulte de son droit de refuser un traitement médical. Il ne s’agit pas d’un droit à une mort médicalement assistée.

La non-violation de l’article 14 est conclue.

Références :

■ CEDH 29 avr. 2002, Pretty c/ Royaume-Uni, n° 2346/02 AJDA 2003. 1383, note B. Le Baut-Ferrarese ; D. 2002. 1596, et les obs. ; RDSS 2002. 475, note P. Pédrot ; RSC 2002. 645, obs. F. Massias ; RTD civ. 2002. 482, obs. J. Hauser ; ibid. 858, obs. J.-P. Marguénaud.

■ CEDH, gd. ch. 5 juin 2015, Lambert et autres c/ France, n° 46043/14 : DAE, 10 juin 2015, note V. B AJDA 2015. 1124 ; ibid. 1732, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2015. 1625, et les obs., note F. Vialla ; ibid. 2016. 752, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; AJ fam. 2015. 364, obs. A. Dionisi-Peyrusse.

■ CEDH 31 janv. 2023, Y. c/ France, n° 76888/17 AJDA 2023. 1344, note C. Grossholz ; D. 2023. 239, et les obs. ; ibid. 400, point de vue B. Moron-Puech ; ibid. 2024. 891, obs. REGINE ; AJ fam. 2023. 168, obs. L. Brunet ; ibid. 70, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; AJCT 2023. 376, obs. P. Jacquemoire ; RTD civ. 2023. 332, obs. J.-P. Marguénaud.

 

Auteur :Egehan Nalbant

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