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Procédure pénale
« Chantage à la sextape » - Affaire Benzema : reconnaissance d’une provocation à l’infraction
Mots-clefs : Provocation à l’infraction, Atteinte au procès équitable, Loyauté des preuves, sextape, Chantage, Enquête
Porte atteinte au procès équitable et au principe de loyauté des preuves le stratagème qui en vicie la recherche par un agent de la force publique.
Tout le monde se souvient de l’affaire dite « du chantage à la sextape » dans laquelle le footballeur Mathieu Valbuena avait déposé plainte, s’estimant victime d’une tentative de chantage après avoir été contacté en juin 2015 par une personne prétendant détenir une vidéo intime dans laquelle il apparaissait. Le procureur de la République avait autorisé un officier de police judiciaire à se substituer au plaignant dans la négociation avec le prétendu maître chanteur. Se présentant sous un pseudonyme en qualité de représentant de Mathieu Valbuena, un enquêteur avait alors eu plusieurs conversations téléphoniques avec une personne agissant comme l’intermédiaire des malfaiteurs. Une information judiciaire avait été ouverte le 31 juillet 2015 et les principaux protagonistes interpellés le 13 octobre suivant. Et le 5 novembre 2015, Karim Benzema et un autre individu avaient été mis en examen pour association de malfaiteurs et complicité de tentative de chantage.
Par requêtes en date du 4 mai 2016, les mis en examens demandèrent l’annulation de pièces de la procédure, arguant notamment de la déloyauté de celle-ci dès lors que, selon eux, l’enquêteur qui s’était substitué à Mathieu Valbuena avait, sous couvert d’un pseudonyme, provoqué les malfaiteurs à commettre l’infraction de tentative de chantage. Par un arrêt du 16 décembre 2016, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Versailles rejeta cependant leurs requêtes, au motif que le policier était intervenu après le commencement de l’infraction, ses agissements ne pouvant dès lors s’apparenter à une opération de provocation policière.
Saisie par le pourvoi formé par les mis en examens contre cet arrêt, la chambre criminelle estime au contraire, dans son arrêt du 11 juillet 2017, qu’il y a bien eu provocation policière. Statuant au visa des articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et préliminaire du Code de procédure pénale, la Haute Cour rappelle en attendu que « porte atteinte au droit à un procès équitable et au principe de loyauté des preuves le stratagème qui en vicie la recherche par un agent de la force publique ». Elle estime alors que ces textes et ce principe ont été méconnus dès lors que, d’une part, l’enquêteur était intervenu sur ordre du parquet dans les négociations avec les auteurs de l’infraction supposée en s’entretenant plusieurs fois par téléphone avec eux et en se faisant passer pour un certain « Lukas », et d’autre part, que ces conversations, pour certaines interceptées, avaient conduit à l’interpellation des mis en cause.
En matière pénale, en principe la preuve est libre, comme l’indique l’article 427 du Code de procédure pénale aux termes duquel « hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve ». Mais cela ne signifie pas pour autant que tous les moyens soient permis puisque le principe de liberté connaît deux limites : la légalité (qui signifie que la recherche et l’administration de la preuve doivent se faire dans le respect de la loi) et la loyauté (qui interdit le recours à la ruse ou aux stratagèmes déloyaux). La loyauté, cependant, s’apprécie différemment selon la qualité de la personne qui apporte la preuve, et en réalité, seules les autorités publiques sont tenues de la respecter strictement (les parties privées, elles, pouvant apporter une preuve illicite ou déloyale à la seule condition que celle-ci soit débattue contradictoirement ; en revanche, dès lors que l’autorité publique participe à l’administration de la preuve illicite ou déloyale apportée par une partie privée, le principe de loyauté s’applique, V. récemment, dans l’affaire du « chantage au Roi du Maroc », Crim. 20 sept. 2016, n° 16-80.820).
Il était ici question d’une autorité publique et de l’hypothèse d’une provocation policière.
En la matière, pour savoir si le procédé est admis, la jurisprudence distingue entre la provocation à l’infraction (qui est interdite ; V. par ex. Crim. 11 mai 2006, n° 05-84.837. Crim. 9 août 2006, n° 06-83.219) et la provocation à la preuve (qui est permise ; V. par ex. Crim. 2 mars 1971, n° 70-91.810. Crim. 22 avr. 1992, n° 90-85.125. Crim. 30 avr. 2014, n° 13-88.162). Cela signifie qu’un agent de la force publique ne peut pas pousser un suspect à commettre une infraction qu’il n’aurait pas commise sans son intervention, ce qui implique de déterminer le rôle exact du policier aux fins de savoir si, par son intervention, il a ou non déterminé le passage à l’acte. Or il apparaît qu’en l’espèce l’enquêteur, qui avait pris l’initiative de certains appels, avait incité les suspects à commettre de nouvelles infractions, d’où la cassation.
Crim. 11 juill. 2017, n° 17-80.313
Références
■ Convention européenne des droits de l’homme
Article 6
« Droit à un procès équitable. 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès de la salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.
2. Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.
3. Tout accusé a droit notamment à:
a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu'il comprend et d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui;
b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense;
c) se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent;
d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge;
e) se faire assister gratuitement d'un interprète, s'il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l'audience. »
■ Crim. 20 sept. 2016, n° 16-80.820 P : Dalloz Actu Étudiant, 17 oct. 2016 ; D. 2016. 1863 ; Just. & cass. 2017. 206, rapp. N. Bonnal ; ibid. 223, concl. P. Lagauche ; AJ pénal 2016. 600, obs. C. Ambroise-Castérot ; RSC 2016. 797, obs. F. Cordier.
■ Crim. 11 mai 2006, n° 05-84.837 P: D. 2006. 1772 ; AJ pénal 2006. 354, note E. Vergès ; RSC 2006. 848, obs. R. Finielz ; ibid. 876, obs. J.-F. Renucci.
■ Crim. 9 août 2006, n° 06-83.219 P: D. 2006. 2348 ; ibid. 2007. 973, obs. J. Pradel ; AJ pénal 2006. 510, obs. C. Saas.
■ Crim. 2 mars 1971, n° 70-91.810 P.
■ Crim. 22 avr. 1992, n° 90-85.125 P: D. 1995. 59, note H. Matsopoulou ; Rev. sociétés 1993. 124, note B. Bouloc.
■ Crim. 30 avr. 2014, n° 13-88.162 P: Dalloz actualité, 12 mai 2014, obs. Fucini; D. 2014. 1042 ; ibid. 1736, obs. J. Pradel ; AJ pénal 2014. 374, obs. P. de Combles de Nayves ; RSC 2014. 577, obs. J. Francillon.
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