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Chuuuuuut ! Droit de se taire pour les fonctionnaires poursuivis disciplinairement
Le Conseil constitutionnel déclare contraire à la Constitution les dispositions qui ne prévoient pas pour les fonctionnaires poursuivis disciplinairement qu’ils doivent être informés de leur droit de se taire.
Cons. const. 4 oct. 2024, n° 2024-1105 QPC
■ Construction jurisprudentielle du droit de ne pas s’accuser et du droit de se taire
Le Conseil constitutionnel a dans un premier temps reconnu le principe selon lequel « nul n’est tenu de s’accuser » (2004-492 DC du 2 mars 2004), principe qui découle de l’article 9 de la DDH sur la présomption d’innocence (« Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi »).
Puis dans un second temps, le Conseil constitutionnel a affiné ce principe dans sa décision n° 2016-594 QPC du 4 novembre 2016, en déclarant pour la première fois que le droit de se taire découle du principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser. Il s’agissait dans cette décision de reconnaitre à une personne mise en cause dans le cadre d’une garde à vue du droit de se taire.
Le droit d’être informé du droit de se taire a ensuite été reconnu :
- à une personne mise en cause dans une affaire pénale (Cons. const. 4 mars 2020, n° 2020-886 QPC) ;
- à un mineur entendu par les services de la protection judiciaire de la jeunesse dans le cadre d’une procédure pénale en vue d’établir un rapport sur sa situation personnelle (Cons. const. 9 avr. 2021, n° 2021-894 QPC) ;
- aux personnes mises en examen comparaissant devant la chambre de l’instruction lorsque celle-ci était saisie d’une requête en nullité d’une mise en examen, du règlement d’un dossier d’information ou d’un appel à l’encontre d’une ordonnance de placement en détention provisoire (Cons. const. 9 avr. 2021, n° 2021-895/901/902/903 QPC) ;
- devant les juridictions appelées à connaître d’une demande de mainlevée d’une mesure de contrôle judiciaire ou d’une demande de mise en liberté (Cons. const. 18 juin 2021, n° 2021-920 QPC) ;
- devant le juge des libertés et de la détention appelé à statuer sur des mesures de contrôle judiciaire ou d'assignation à résidence dans le cadre de la procédure de convocation par procès-verbal (Cons. const. 30 sept. 2021, n° 2021-934 QPC) ;
- à la personne mise en examen devant le juge des libertés et de la détention appelé à statuer sur une mesure de détention provisoire dans le cadre d'une procédure d'instruction (Cons. const. 30 sept. 2021, n° 2021-935 QPC) ;
- à la personne mise en cause dans le cadre d’une enquête préliminaire lors d’un examen psychologique ou psychiatrique, au cours duquel elle peut être interrogée sur les faits qui lui sont reprochés (Cons. const. 25 févr. 2022, n° 2021-975 QPC) ;
- au notaire poursuivi dans le cadre d’une procédure disciplinaire (Cons. const. 8 déc. 2023, n° 2023-1074 QPC) ;
- à la personne mise en cause lorsqu’elle présente des observations ou des réponses écrites au juge d’instruction saisi d’un délit de diffamation ou d’injure (Cons. const. 17 mai 2024, n° 2024-1089 QPC) ;
- à un magistrat mis en cause dans le cadre d’une procédure disciplinaire (Cons. const. 26 juin 2024, n° 2024-1097 QPC) ;
- au fonctionnaire poursuivi devant le conseil de discipline (Cons. const. 4 oct. 2024, n° 2024-1105 QPC) ;
- aux magistrats financiers (Cons. const. 18 oct. 2024, n° 2024-1108 QPC);
- et enfin à la personne entendue par le JLD dans le cadre du "référé pénal environnemental" (Cons. const. 15 nov. 2024, n° 2024-1111 QPC).
Ainsi, le droit à être informé du droit de se taire est encore un droit jurisprudentiel en construction qui s’applique non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d’une punition. Le professionnel faisant l’objet de poursuites disciplinaires ne peut être entendu sur les manquements qui lui sont reprochés avant d’être informé du droit qu’il a de se taire.
Notre attention sera ici portée sur l’information des fonctionnaires de leur droit de se taire dans le cadre de poursuites disciplinaires.
■ L’information du fonctionnaire du droit qu’il a de se taire dans le cadre d’une procédure disciplinaire
Selon l’article L. 532-4 du code général de la fonction publique « Le fonctionnaire à l’encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée a droit à la communication de l’intégralité de son dossier individuel et de tous les documents annexes. / L’administration doit l’informer de son droit à communication du dossier. / Le fonctionnaire à l’encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée a droit à l’assistance de défenseurs de son choix. »
Devant le Conseil constitutionnel, il était reproché à ces dispositions et plus précisément à celles de l’alinéa 2 de ne pas prévoir de notification obligatoire du droit de se taire aux fonctionnaires qui font l'objet d'une procédure disciplinaire.
La consultation préalable du conseil de discipline est obligatoire lorsque le fonctionnaire fait l’objet d’une sanction disciplinaire autre que celle du premier groupe (avertissement, blâme ou exclusion de fonctions d’un maximum de trois jours).
Le Conseil constitutionnel rappelle que lors de sa comparution devant cette instance, le fonctionnaire peut être amené, en réponse aux questions qui lui sont posées, à reconnaître les manquements pour lesquels il est poursuivi disciplinairement. Ses déclarations ou ses réponses devant cette instance purement consultative sont ensuite susceptibles d’être portées à la connaissance de l’autorité investie du pouvoir de sanction.
Le Conseil constitutionnel en déduit que dès lors, en ne prévoyant pas que le fonctionnaire à l’encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée doit être informé de son droit de se taire, les dispositions contestées méconnaissent les exigences de l’article 9 de la Déclaration de 1789, elles doivent donc être déclarées contraires à la Constitution. Ainsi l’alinéa 2 de l’article L. 532-4 du code général de la fonction publique doit être abrogé. Toutefois, l’abrogation immédiate aurait pour effet de supprimer l’obligation pour l’administration d’informer le fonctionnaire poursuivi disciplinairement de son droit à communication du dossier (al. 2 de l’art. préc.). Le Conseil constitutionnel reporte donc au 1er octobre 2025 la date de l’abrogation de ces dispositions. Mais afin de faire cesser l’inconstitutionnalité constatée à compter de la publication de la décision, le Conseil constitutionnel décide que, jusqu’à l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi ou jusqu’à la date de l’abrogation de ces dispositions, le fonctionnaire à l’encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée doit être informé de son droit de se taire devant le conseil de discipline.
Ainsi lorsqu’un agent est informé par courrier de l’ouverture d’une procédure disciplinaire à son encontre, les droits mentionnés doivent être les suivants : droit d’être accompagné d’une personne de son choix, droit de consulter son dossier individuel et désormais, droit de se taire pendant la procédure.
V. également : DAE 1er juill. 2021, Focus sur, Le droit de se taire en droit pénal
Références
■ Cons. const. 2 mars 2004, n° 2004-492 DC : D. 2004. 2756, obs. B. de Lamy ; ibid. 956, chron. M. Dobkine ; ibid. 1387, chron. J.-E. Schoettl ; ibid. 2005. 1125, obs. V. Ogier-Bernaud et C. Severino ; RSC 2004. 725, obs. C. Lazerges ; ibid. 2005. 122, étude V. Bück ; RTD civ. 2005. 553, obs. R. Encinas de Munagorri
■ Cons. const. 4 novembre 2016, n° 2016-594 QPC : DAE 6 déc. 2016 ; D. 2017. 395, note A. Gallois
■ Cons. const. 4 mars 2020, n° 2020-886 QPC : D. 2021. 473, et les obs. ; ibid. 2022. 1228, obs. E. Debaets et N. Jacquinot
■ Cons. const. 9 avr. 2021, n° 2021-894 QPC : D. 2021. 699 ; AJ fam. 2021. 257, obs. L. Mary
■ Cons. const. 9 avr. 2021, n° 2021-895/901/902/903 QPC : AJ pénal 2021. 269 ; RSC 2021. 483, obs. A. Botton ; D. 2021. 699
■ Cons. const. 18 juin 2021, n° 2021-920 QPC : D. 2021. 1192 ; ibid. 1564, obs. J.-B. Perrier
■ Cons. const. 30 sept. 2021, n° 2021-934 QPC : D. 2021. 1768 ; AJ pénal 2021. 540, obs. S. Fucini ; RSC 2022. 419, obs. A. Botton
■ Cons. const. 30 sept. 2021, n° 2021-935 QPC : D. 2021. 1767 ; AJ pénal 2021. 540 ; RSC 2022. 419, obs. A. Botton
■ Cons. const. 25 févr. 2022, n° 2021-975 QPC : D. 2022. 690, note V. Tellier-Cayrol ; AJ fam. 2022. 110, obs. L. Mary ; RSC 2022. 419, obs. A. Botton
■ Cons. const. 8 déc. 2023, n° 2023-1074 QPC : D. 2023. 2196 ; AJFP 2024. 287, note J. Bousquet ; AJ pénal 2024. 49
■ Cons. const. 17 mai 2024, n° 2024-1089 QPC : DAE 17 juin 2024, note Sabrina Lavric ; D. 2024. 967 ; AJDA 2024. 1089
■ Cons. const. 26 juin 2024, n° 2024-1097 QPC : AJDA 2024. 1306 ; ibid. 1973, note M. Verpeaux ; D. 2024. 1239
■ Cons. const. 18 oct. 2024, n° 2024-1108 QPC : AJDA 2024. 1989
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