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Droit des obligations
Clauses abusives : la personne morale est un consommateur comme un autre
La qualité de non-professionnel peut être reconnue à une personne morale et s’apprécie au regard du rapport direct du contrat conclu avec son activité, et non avec celle de son représentant légal.
Une SCI, ayant pour activité la location de biens immobiliers, avait fait appel à une société de construction pour édifier un hangar. Après la survenance d’un certain nombre de désordres, la SCI avait assigné le constructeur qui, pour atténuer sa responsabilité, lui avait opposé une clause limitative figurant dans les conditions générales de marché. La SCI lui avait alors opposé en retour le caractère abusif de cette clause.
Tout en condamnant le constructeur pour ses manquements contractuels, la cour d’appel limita toutefois cette condamnation au motif que le créancier n’avait pas la qualité de non-professionnel au sens de l’article L. 132-1 ancien du Code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 (art. L. 212-1), qui sanctionne les clauses abusives dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs. Or la SCI n’avait pas, selon les juges du fond, la qualité de non-professionnel car bien qu’elle eût pour objet la location de biens immobiliers, son gérant était également celui d’une société ayant pour objet la réalisation de travaux de maçonnerie générale et de gros œuvre, de sorte que la SCI, en sa qualité de personne morale, ne pouvait se prévaloir des dispositions de l’article L. 132-1 ancien du Code de la consommation sur les clauses abusives.
La Cour de cassation censure ce raisonnement. Sans se prononcer sur le statut de la SCI, elle juge qu’une personne morale est un non-professionnel, au sens du texte précité, « lorsqu’elle conclut un contrat n’ayant pas de rapport direct avec son activité professionnelle » et que « la qualité de non-professionnel d’une personne morale s’apprécie au regard de son activité et non de celle de son représentant légal ».
La décision rapportée rappelle avec force l’effectivité de la protection des professionnels par le droit de la consommation lorsque ces derniers doivent être considérés comme des consommateurs, soit parce qu’ils concluent des actes hors du champ de l’exercice de leur profession (par exemple un commerçant qui contracte pour ses besoins personnels ou familiaux), soit parce qu’ils contractent pour les besoins de leur profession, mais en dehors de leur domaine habituel ou spécifique d’intervention. En effet, dès l’origine, la loi comme la jurisprudence ont admis le principe de l’application des dispositions relatives à l’élimination des clauses abusives à certains professionnels, dans ce cas assimilés à des consommateurs, dont la conception extensive traduite par le syntagme « non-professionnels » (L. 10 janv. 1978, anc. art.35 ; L. 1er févr. 1995 ; C. consom., anc. art. L. 132-1 ; v. M. Paisant, D. 1995, chron.99, spéc. n° 17) partait de l’idée juste selon laquelle les personnes qui contractent pour les besoins de leur profession mais en dehors de leur champ habituel d’intervention sont de ce fait placés dans une situation de faiblesse justifiant une protection similaire à celle dont bénéficient les consommateurs. Elle souligne avec la même vigueur que la protection des non-professionnels, jadis réservée aux seules personnes physiques (CJCE 22 nov. 2001, n° C-541/99 et C-542/99), contre les clauses abusives, s’étend également aux personnes morales (Civ. 1re, 15 mars 2005, n° 02-13.285).
Les notions de professionnel, de consommateur comme de non-professionnel étant moins catégorielles que fonctionnelles, reste néanmoins à s’entendre sur les conditions auxquelles une personne morale non-professionnelle peut prétendre au bénéfice de la protection contre les clauses abusives ; en effet, sa seule qualité de « non-professionnelle » ne peut suffire à justifier sa protection, notamment parce qu’on ne peut déduire du seul fait qu’elle contracte dans un domaine qui ne lui est pas habituel sa position de faiblesse, encore moins son éventuelle dépendance à l’égard de son cocontractant, même spécialiste.
C’est tout l’intérêt de la décision rapportée de faire le choix, dans le silence légal et face aux tergiversations jurisprudentielles, d’un critère clair de définition de la personne morale non-professionnelle, qui tient dans le rapport du contrat conclu par la personne morale avec son activité professionnelle. Ce critère du rapport direct est préféré à celui, plus large, du critère de compétence, qui était également susceptible d’être retenu. Rappelons en effet que la question s’était posée dans les mêmes termes pour tenter de définir la notion de non-professionnel personne physique, et qu’une réponse identique y avait finalement été apportée : jugé inapproprié à saisir avec pertinence la faiblesse concrète du professionnel, le critère initialement choisi de sa compétence professionnelle par rapport à l’activité contractuelle ayant donné lieu à la clause litigieuse (Civ. 1re, 28 avr. 1987, n° n° 85-13.674) a été progressivement délaissé au profit du critère, jugé plus précis et plus efficace, du rapport direct liant l’acte conclu à la profession exercée (Civ. 1re, 24 janv. 1995, n° n° 92-18.227 ; Civ. 1re, 3 janv. 1996, n° 93-19.322 ; Civ. 1re, 30 janv. 1996, n° 93-18.684).
Cependant, concernant les personnes morales non-professionnelles, un doute subsistait en jurisprudence, les juges revenant parfois au critère de compétence qui semblait abandonné. Ainsi, dans une décision du 4 février 2016 (n° 14-29.347), les juges ont relevé que « la SCI, promoteur immobilier, étant un professionnel de l’immobilier mais pas un professionnel de la construction, la cour d’appel a pu retenir que celle-ci devait être considérée comme un non-professionnel vis-à-vis du contrôleur technique en application de l’article L. 132-1 ancien du Code de la consommation » (Contra, Com. 1re, 3 déc. 2013, n° 12-26.416, retenant le critère du rapport direct). L’ordonnance du 14 mars 2016 visée dans la solution parut en outre soutenir ce retour en arrière en définissant le non-professionnel comme « toute personne morale qui agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole », ainsi l’appréciation semblait-elle bien devoir porter, comme auparavant, sur sa sphère de compétence. Enfin, le débat a été paradoxalement relancé avec la loi du 21 février 2017 (n° 2017-203), qui a modifié la définition précédente pour corriger la maladresse de ses termes qui semblaient exclure du champ de la protection contre l’abus les personnes morales à but non lucratif (associations, syndicats, etc.), au bénéfice principal des sociétés commerciales. Le législateur a alors réécrit le texte pour conférer la qualité de non-professionnel, sans distinction ni davantage de précision à « toute personne morale qui n’agit pas à des fins professionnelles ». Revenait donc au juge, en vertu de son pouvoir souverain d’appréciation en la matière, de définir les critères à retenir en conséquence. Relancé, le débat est ici tranché en faveur du critère du rapport direct avec l’activité professionnelle de la personne morale. La Haute cour précise en outre que la qualité de non-professionnel d’une personne morale s’apprécie au regard de son activité et non de celle de son représentant légal, personne physique dont la qualité ne méritait donc pas, en toute logique, d’être prise en compte.
Civ. 3e, 17 oct. 2019, n° 18-18.469
Références
■ Fiches d’orientation Dalloz : Clause abusive
■ CJCE 22 nov. 2001, n° C-541/99 et C-542/99 : D. 2002. 90, obs. C. Rondey ; ibid. 2929, obs. J.-P. Pizzio ; RTD civ. 2002. 291, obs. J. Mestre et B. Fages ; ibid. 397, obs. J. Raynard ; RTD com. 2002. 404, obs. M. Luby ; Rev. UE 2015. 434, étude P. Bourdon
■ Civ. 1re, 15 mars 2005, n° 02-13.285 P : D. 2005. 1948, note A. Boujeka ; ibid. 887, obs. C. Rondey ; ibid. 2836, obs. S. Amrani-Mekki et B. Fauvarque-Cosson ; RTD civ. 2005. 393, obs. J. Mestre et B. Fages ; RTD com. 2005. 401, obs. D. Legeais ; ibid. 2006. 182, obs. B. Bouloc ; Rev. UE 2015. 434, étude P. Bourdon ; ibid. 473, étude B. Vincendeau
■ Civ. 1re, 28 avr. 1987, n° 85-13.674 P : D. 1987.455, obs. J.-LAubert ; ibid. 1993. 87, note G. Nicolau
■ Civ. 1re, 24 janv. 1995 , n° 92-18.227 P: D. 1995. 327, note G. Paisant ; ibid. 229, obs. P. Delebecque ; ibid. 310, obs. J.-P. Pizzio ; RTD civ. 1995. 360, obs. J. Mestre
■ Civ. 1re, 3 janv. 1996, n° 93-19.322 P: D. 1996. 228, note G. Paisant ; ibid. 325, obs. D. Mazeaud ; RTD civ. 1996. 609, obs. J. Mestre
■ Civ. 1re, 30 janv. 1996, n° 93-18.684 P: D. 1996. 228, note G. Paisant ; ibid. 325, obs. D. Mazeaud ; RTD civ. 1996. 609, obs. J. Mestre
■ Civ. 3e, 4 févr. 2016, n° 14-29.347 P : Dalloz Actu Étudiant, 7 mars 2016 ; D. 2016. 639, note C.-M. Péglion-Zika ; ibid. 2017. 375, obs. M. Mekki ; ibid. 539, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJDI 2016. 623, obs. F. Cohet ; RDI 2016. 290, obs. B. Boubli ; AJCA 2016. 200, obs. S. Carval
■ Com. 3 déc. 2013, n° 12-26.416.
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