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Droit des obligations
Clauses abusives : le critère du rapport direct à l’épreuve du contrat de maîtrise d’œuvre
Si le contrat a un rapport direct avec l'activité professionnelle du maître de l'ouvrage, celui-ci ne peut être considéré comme un non-professionnel dans ses rapports avec le maître d'œuvre, peu important ses compétences techniques dans le domaine de la construction, de sorte que les dispositions relatives aux clauses abusives ne sont pas applicables.
Civ. 3e, 25 mai 2023, n° 21-20.643 B
Une société d’hôtellerie avait confié à un architecte l’extension de son domaine hôtelier. Quatre autres intervenants avaient participé à l’opération. L’hôtelier avait résilié le contrat de maîtrise d’œuvre ainsi que ceux qui le liaient avec deux constructeurs, lesquels avaient ensuite été placés en liquidation judiciaire. Se plaignant de désordres et de retards, la société d’hôtellerie avait assigné l’architecte et le liquidateur des deux sociétés liquidées en indemnisation de ses préjudices. En application de la clause d'exclusion de solidarité figurant au contrat d'architecte, la cour d’appel condamna l’architecte non pas in solidum avec les autres responsables des dommages, mais uniquement à raison de sa part contributive aux dommages. La société d’hôtellerie reprochait aux juges du fond d’avoir prononcé une telle condamnation alors « que l'exclusion de l'obligation in solidum de l'architecte en cas de dommage auquel il a contribué par son manquement contractuel, crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, notamment lorsqu'il a été chargé d'une mission de maîtrise d'œuvre d'exécution comme en l'espèce (…), en permettant à l'architecte de limiter les conséquences de sa responsabilité contractuelle et en faisant peser sur le maître d'ouvrage non professionnel le risque d'insolvabilité des coauteurs du dommage auquel l'architecte a contribué par ses manquements contractuels, de sorte qu'une clause prévoyant une telle exclusion est abusive et doit être réputée non écrite ». Par un motif de pur droit, la Cour de cassation juge la décision des juges du fond légalement justifiée au regard du critère prétorien du rapport contractuel direct avec l’activité professionnelle du cocontractant, qu’elle applique au contrat de maîtrise d’œuvre en l’espèce conclu. Dans cette perspective, elle rappelle que les dispositions de l'article L. 132-1 du Code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, selon lesquelles sont réputées non écrites parce qu'abusives les clauses des contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, ne s'appliquent pas aux contrats de fourniture de biens ou de services qui ont un rapport direct avec l'activité professionnelle exercée par le cocontractant (Civ. 1re, 24 janv. 1995, n° 92-18.227 ; Com. 1er juin 1999, n° 96-21.138). En l’espèce, la cour d'appel a constaté que l’hôtelier avait conclu un contrat de maîtrise d'œuvre pour étendre l'hôtel qu'il exploitait. Le contrat ayant un rapport direct avec son activité professionnelle, l’hôtelier ne pouvait être considéré comme un non-professionnel dans ses rapports avec le maître d'œuvre, peu important ses compétences techniques dans le domaine de la construction, en sorte qu’il ne pouvait demander à bénéficier des dispositions précitées.
Rappel du principe de protection du « non-professionnel » - Le droit de la consommation prévoit la protection des professionnels lorsque ces derniers peuvent être considérés comme des consommateurs, soit parce qu’ils concluent des actes hors du champ de l’exercice de leur profession (par exemple, un commerçant qui contracte pour ses besoins personnels ou familiaux), soit parce qu’ils contractent pour les besoins de leur profession, mais hors de leur domaine habituel ou spécifique d’activité. Ainsi, en l’espèce, le maître de l’ouvrage, exerçant la profession d’hôtelier, n’était pas coutumier des contrats de maîtrise d’œuvre que seuls concluent habituellement les professionnels de la construction. Or dès l’origine, la loi comme la jurisprudence ont admis le principe de l’application des dispositions relatives à l’élimination des clauses abusives à certains professionnels, dans ce cas assimilés à des consommateurs, dont la conception extensive traduite par le syntagme « non-professionnels » (L. 10 janv. 1978, anc. art. 35 ; L. 1er févr. 1995 ; C. consom., anc. art. L. 132-1) part de l’idée juste selon laquelle les professionnels qui contractent pour leurs besoins privés ou à des fins professionnelles mais hors de leur champ habituel d’intervention sont de ce fait placés dans une situation de faiblesse justifiant une protection similaire à celle dont bénéficient les consommateurs. La protection des non-professionnels, jadis réservée aux seules personnes physiques (CJCE 22 nov. 2001, aff. C-541/99 et C-542/99), contre les clauses abusives, a en outre été étendue aux personnes morales (Civ. 1re, 15 mars 2005, n° 02-13.285). La précision est en l’espèce importante, l’hôtelier, maître de l’ouvrage, étant une personne morale.
Critères de protection du « non-professionnel » - Les notions de professionnel, de consommateur comme de non-professionnel étant moins catégorielles que fonctionnelles, reste néanmoins à s’entendre sur les conditions auxquelles un non-professionnel peut prétendre au bénéfice de la protection contre les clauses abusives ; en effet, sa seule qualité de « non-professionnel » ne peut suffire à justifier sa protection, notamment parce qu’on ne peut déduire du seul fait qu’il contracte hors de son cadre professionnel sa position de faiblesse, encore moins son éventuelle dépendance à l’égard de son cocontractant. Dans le silence légal, deux critères de qualification sont apparus en jurisprudence : celui de la compétence du contractant, puis celui du rapport direct entre le contrat conclu et la profession qu’il exerce. Ce dernier est désormais privilégié, indépendamment de la compétence du cocontractant, comme le rappelle ici la Cour.
Réitération du critère du rapport direct - Un critère de définition du non-professionnel s’est progressivement ancré en jurisprudence. Il tient dans l’absence de rapport direct du contrat conclu avec l’activité professionnelle de celui qui demande à bénéficier de la législation consumériste, dont le droit des clauses abusives. Ce critère du rapport direct suppose d’apprécier le lien de connexité entre le contrat conclu et la profession exercée. Dans cette perspective, constater l’existence d’un simple rattachement entre l’acte passé et la profession considérée ne suffit pas, ce lien pouvant n’être qu’indirect et partant, insuffisant à justifier l’exclusion de la protection contre l’abus. Il convient plus précisément de rechercher si le contrat conclu contribue directement à l’établissement, l’exercice ou le développement de l’activité du professionnel considéré. Ce n’est qu’à la condition que ce lien entre le contrat et la profession soit suffisamment distendu et indirect que le professionnel peut être traité, dans le rapport contractuel, comme un consommateur. Partant, l’existence d’un rapport direct entre le contrat et la profession exercée, tel qu’il fut en l’espèce caractérisé, justifie de priver le professionnel du bénéfice de la législation contre les clauses abusives. La Cour de cassation l’a notamment affirmé en matière de contrat d’entreprise (Civ. 1re, 24 janv. 1995, préc.), comme elle le rappelle ici pour juger que le contrat de maîtrise d’œuvre avait un rapport direct avec l’activité d’hôtellerie du maître d’ouvrage.
Exclusion du critère de la compétence - L’exclusivité du critère du rapport direct justifie de délaisser le critère concurrent de la compétence, qui suppose autrement d’apprécier si le rapport contractuel concorde avec les savoirs et connaissances, notamment techniques, du cocontractant (Civ. 1re, 28 avr. 1987, n° 85-13.674). La Cour confirme ici l’indifférence à ce critère jadis employé, tiré des compétences propres au contractant professionnel, et la prévalence du critère du rapport direct (v. déjà, Civ. 3e, 17 oct. 2019, n° 18-18.469 ; Civ 1re 31 août 2022, n° 21-11.097). La limite du critère tiré de la compétence provient de son inadéquation aux nombreux cas dans lesquels les contrats conclus entre des professionnels également compétents traduisent néanmoins d’importantes inégalités économiques, exploitées aux dépens des professionnels les plus faibles. Par exemple, il est évident qu’un contrat de distribution conclu entre un grand constructeur informatique et l’un de ses revendeurs met en présence des contractants intervenant dans le même domaine d’activité mais dont les forces économiques sont disproportionnées. Inversement, deux contractants peuvent avoir des compétences propres à leurs domaines respectifs d’activité sans que, ipso facto, l’on puisse en déduire un déséquilibre de puissance économique et la nécessité de protéger le contractant le plus faible. Ainsi, en l’espèce, la compétence technique du maître de l’ouvrage dans le domaine de la construction est jugée indifférente, l’existence d’un rapport direct entre le contrat de maîtrise d’œuvre qu’il a conclu à l’effet d’étendre son domaine hôtelier et son activité professionnelle étant suffisante à l’exclure de la protection des clauses abusives.
Validité de la clause d’exclusion de l’obligation in solidum - En vertu de ce critère du rapport direct, qui s’apprécie donc uniquement en fonction du lien objectif direct unissant le contrat conclu à l’activité professionnelle considérée, la qualité de non-professionnel du maître de l’ouvrage ne pouvait en l’espèce être retenue. Sa protection contre l’abus s’en trouvait donc exclue. Ainsi la Cour de cassation pouvait-elle confirmer la validité de principe des clauses d’exclusion de la solidarité dans le cadre du recours entre coobligés à la dette née d’un contrat de maîtrise d’œuvre (Civ. 3e, 7 mars 2019, n° 18-11.995). Les clauses du contrat de maîtrise d’œuvre élusives de la responsabilité solidaire et in solidum ne sont toutefois valides qu’à la condition que la responsabilité du maître d’œuvre soit recherchée sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun. Autrement dit, ce type de clause ne s’applique que lorsque la responsabilité de l’architecte est recherchée sur le fondement du droit commun de l’action en contribution à la dette exercée par les locateurs d’ouvrage les uns contre les autres (Civ. 3e, 19 mars 2013, n° 11-25.266 ; 14 févr. 2019, n° 17-26.403 ; 17 oct. 2019, n° 18-17.058).
Références :
■ Civ. 1re, 24 janv.1995, n° 92-18.227 P : D. 1995. 327, note G. Paisant ; ibid. 229, obs. P. Delebecque ; ibid. 310, obs. J.-P. Pizzio ; RTD civ. 1995. 360, obs. J. Mestre.
■ Com. 1er juin 1999, n° 96-21.138
■ CJCE 22 nov. 2001, aff. C-541/99 et C-542/99 : D. 2002. 90, obs. C. Rondey ; ibid. 2929, obs. J.-P. Pizzio ; RTD civ. 2002. 291, obs. J. Mestre et B. Fages ; ibid. 397, obs. J. Raynard ; RTD com. 2002. 404, obs. M. Luby ; Rev. UE 2015. 434, étude P. Bourdon.
■ Civ. 1re, 15 mars 2005, n° 02-13.285 P : D. 2005. 1948, note A. Boujeka ; ibid. 887, obs. C. Rondey ; ibid. 2836, obs. S. Amrani-Mekki et B. Fauvarque-Cosson ; RTD civ. 2005. 393, obs. J. Mestre et B. Fages ; RTD com. 2005. 401, obs. D. Legeais ; ibid. 2006. 182, obs. B. Bouloc ; Rev. UE 2015. 434, étude P. Bourdon ; ibid. 473, étude B. Vincendeau.
■ Civ. 1re, 28 avr. 1987, n° 85-13.674 P : Rev. UE 2015. 473, étude B. Vincendeau.
■ Civ. 3e, 17 oct. 2019, n° 18-18.469 P : DAE, 28 nov. 2019, note M. Hervieu ; D. 2019. 2331, note S. Tisseyre ; ibid. 2020. 353, obs. M. Mekki ; ibid. 624, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJ contrat 2019. 546, obs. Y. Picod.
■ Civ. 1re, 31 août 2022, n° 21-11.097 B : DAE, 19 sept. 2022, note M. Hervieu ; D. 2022. 1556 ; ibid. 2023. 616, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; Rev. prat. rec. 2022. 19, chron. R. Bouniol ; JT 2022, n° 257, p. 9, obs. X. Delpech.
■ Civ. 3e, 7 mars 2019, n° 18-11.995
■ Civ. 3e, 19 mars 2013, n° 11-25.266 : RDI 2013. 316, obs. B. Boubli.
■ Civ. 3e, 14 févr. 2019, n° 17-26.403 P : D. 2019. 382 ; RDI 2019. 214, obs. B. Boubli ; AJ contrat 2019. 255, obs. G. Cattalano.
■ Civ. 3e, 17 oct. 2019, n° 18-17.058 : RDI 2019. 631, obs. J. Roussel.
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