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Procédure civile
Compétence juridictionnelle : une réponse attendue à une question sérieuse
Saisie d’un litige qui présente à juger, soit sur l’action introduite, soit sur une exception, une question de compétence soulevant une difficulté sérieuse et mettant en jeu la séparation des ordres de juridiction, la Cour de cassation peut renvoyer l’affaire au Tribunal des conflits et suspendre l’instance jusqu’à le tribunal y réponde.
Un syndicat de communes avait conclu avec une société spécialisée, en sa qualité d’ « éco-organisme agréé », une convention de prise en charge de la gestion de déchets diffus spécifiques ménagers. Après qu’un litige relatif à l’exécution de la convention eut opposé les deux contractants, la société avait, conformément à ce que prévoyait le contrat en pareille hypothèse, saisi un juge de l’ordre judiciaire aux fins d’annuler le titre exécutoire émis contre elle par le syndicat. Ce dernier avait alors soulevé une exception d’incompétence au profit de la juridiction administrative.
Pour ordonner le renvoi de l’affaire au Tribunal des conflits, la Cour de cassation commence par rappeler qu’en vertu de l’article 35 du décret n° 2015-233 du 27 février 2015 relatif au Tribunal des conflits et aux questions préjudicielles, lorsqu’elle se trouve saisie d’un litige qui présente à juger, soit sur l’action introduite, soit sur une exception, une question de compétence soulevant une difficulté sérieuse et mettant en jeu la séparation des ordres de juridiction, elle peut renvoyer au Tribunal des conflits le soin de décider sur cette question de compétence et suspendre en conséquence l’instance jusqu’à la décision de ce tribunal.
Elle rappelle ensuite qu’aux termes de l’article L. 541-10-4 du Code de l’environnement, toute personne physique ou morale qui fabrique, importe ou introduit sur le marché national des produits chimiques pouvant présenter un risque significatif pour la santé et l’environnement, est tenue de prendre en charge ou de faire prendre en charge par des sociétés spécialisées, techniquement et financièrement, la collecte et le traitement des déchets ménagers desdits produits et qu’il résulte également de l’article R. 543-232 du même code que l’obligation de collecte séparée des déchets ménagers issus de tels produits pesant sur ceux qui les mettent sur le marché ayant adhéré à un organisme agréé est assurée par la mise en place, en collaboration avec les collectivités territoriales et les distributeurs, d’un dispositif de collecte desdits déchets sur des points d’apport volontaire qui couvre l’ensemble du territoire national, ainsi que par la prise en charge des coûts supportés par les collectivités territoriales et leurs groupements pour la collecte séparée.
En conséquence et enfin, elle considère qu’en l’espèce, la convention litigieuse ayant bien été conclue en application de ces dispositions destinées, notamment, à décharger des coûts de gestion de ces déchets les collectivités territoriales chargées d’assurer le service public de collecte et de traitement des déchets des ménages, conformément aux dispositions de l’article L. 2224-13 du Code général des collectivités territoriales, le litige présente à juger une question de compétence soulevant une difficulté sérieuse, dès lors que, nonobstant la clause attributive de compétence au profit de la juridiction judiciaire stipulée dans la convention, celle-ci pourrait revêtir un caractère administratif tant en raison de son objet qu’en raison de ses clauses.
Créé sous la Seconde République (Constitution de 1848, art. 89) à l’effet de trancher « les conflits d’attribution entre l'autorité administrative et l'autorité judiciaire » et ainsi, de garantir l’effectivité de la loi des 16 et 24 août 1790 sur l’organisation judiciaire ayant consacré la séparation des autorités judiciaires et administratives (art. 13 : « Les fonctions judiciaires sont distinctes et demeureront toujours séparées des fonctions administratives. Les juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler, de quelque manière que ce soit, les opérations des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions. »), le Tribunal des conflits fut, sous le Second Empire (1852), supprimé, et son rôle, alors exercé par le Conseil d’État. Le Tribunal fut toutefois, vingt ans après, rétabli, en raison de la conversion du système de justice retenue auquel le Conseil d’État était soumis (absence de souveraineté des décisions du Conseil d’État, celles-ci devant recevoir l’approbation du chef de l’État) en celui de justice déléguée (L. du 24 mai 1872), ce nouveau régime obligeant les juges du Palais-Royal, statuant désormais souverainement, à abandonner leur ancienne compétence, que devait alors retrouver le Tribunal des conflits pour régler ceux susceptibles de survenir entre juges judiciaires et administratifs.
Quatre types de conflits sont dévolus au Tribunal : le conflit positif, le conflit négatif, le conflit de décisions et, enfin, le conflit sur renvoi, ici illustré.
Le conflit sur renvoi connaît lui-même deux déclinaisons :
■ le conflit sur renvoi en prévention d'un conflit négatif, qui naît lorsqu'une juridiction, de l’ordre administratif ou judiciaire, a, par une décision qui n'est plus susceptible de recours, décliné sa compétence. Toute juridiction appartenant à l'autre ordre de juridiction et qui se trouve saisie du même litige mais considère que celui-ci relève bien du premier ordre saisi, doit surseoir à statuer et renvoyer au Tribunal des conflits le soin de déterminer l’ordre de juridiction compétent ;
■ le conflit sur renvoi d'une juridiction statuant souverainement qui, comme dans l’affaire rapportée, naît lorsque la Cour de cassation, ou le Conseil d’Etat, sont saisis d'un litige qui présente, à juger, soit sur l'action introduite, soit sur une exception, une difficulté sérieuse de compétence susceptible de troubler la séparation des deux ordres de juridiction.
Civ. 1re, 10 avr. 2019, n° 18-16.514
Références
■ Fiche d’orientation Dalloz : Tribunal des conflits
■ Dalloz Actu Étudiant, Focus sur la réforme du Tribunal des conflits, 15 nov. 2013
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