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La réforme du Tribunal des conflits
Le Tribunal des conflits est une juridiction paritaire instituée par la Constitution de 1848. Il a pour mission de résoudre les conflits de compétence entre les juridictions de l'ordre judiciaire et celles de l'ordre administratif. Jean-Louis Gallet, conseiller à la Cour de cassation, vice-président du Tribunal des conflits, a bien voulu répondre à nos questions sur le projet de réforme de cette juridiction proposé par le rapport remis à la garde des Sceaux en septembre 2013.
Quelles sont les raisons de la réforme du Tribunal des conflits ?
Ces raisons sont énoncées dans la lettre de mission de la garde des Sceaux me confiant la présidence du groupe de travail chargé de lui faire des propositions de réforme.
Les dispositions relatives au Tribunal des conflits remontent pour l’essentiel au xixe siècle, exception faite de la loi du 20 avril 1932 qui lui a donné compétence pour trancher au fond un litige ayant abouti à une contrariété de décisions rendues dans l’un et l’autre ordres de juridictions conduisant à un déni de justice, et du décret du 25 juillet 1960 qui a, notamment, organisé la prévention d’un conflit négatif et prévu la possibilité d’une saisine par les juridictions suprêmes en cas de difficulté sérieuse de compétence. On comprend, dès lors, que certaines sont devenues obsolètes. Tel est le cas, par exemple, des dispositions du décret du 26 octobre 1849 prévoyant que le ministre de la Justice peut adresser au président de la Section du contentieux du Conseil d’État un mémoire pour revendiquer une affaire qu’il estime ne pas appartenir au contentieux administratif.
Surtout, en ce qu’elles prévoient que le ministre de la Justice est membre de cette juridiction dont il assure la présidence, elles ne sont évidemment plus conformes aux principes qui régissent l’organisation judiciaire dans un pays démocratique, en particulier au principe de l’indépendance des juridictions par rapport au pouvoir exécutif et de non-ingérence de celui-ci dans l’activité juridictionnelle.
Enfin, ces dispositions, non codifiées et dispersées en plusieurs textes, sont difficilement accessibles, y compris pour les praticiens.
Toutes ces raisons rendent incontestablement opportune une réforme.
Quels sont les changements principaux prévus dans son organisation et dans son fonctionnement ?
Le changement essentiel est évidemment celui qui concerne la présidence du Tribunal des conflits. En effet, il est proposé que celle-ci ne soit plus assurée par le ministre de la Justice mais par l’un des membres de la juridiction appartenant, en alternance, tantôt au Conseil d’État tantôt à la Cour de cassation, comme c’est d’ailleurs actuellement le cas en pratique. Cette proposition normalise l’organisation et la composition du Tribunal des conflits.
La conséquence en est que la formation ordinaire du Tribunal des conflits est alors strictement paritaire et qu’il convient dès lors de prévoir la solution à un éventuel partage des voix. Plusieurs solutions ont été envisagées par le groupe de travail, au demeurant souvent évoquées dans les colloques ou articles consacrés à cette question.
L’imparité vient naturellement à l’esprit, consistant à adjoindre un ou trois membres supplémentaires à la formation habituelle. Mais elle a été écartée dans la mesure où, soit elle conférerait au membre supplémentaire un rôle déterminant de départiteur, soit elle poserait la question du choix, partant, de la légitimité de ce membre ou des trois membres supplémentaires appelés à siéger dans une situation de partage des voix.
De même, la voix prépondérante du président n’a pas été considérée comme une solution satisfaisante, étant peu compatible avec le fonctionnement normal d’une juridiction et susceptible de nuire à l’harmonie de la formation.
En définitive, le paritarisme et la parité nous sont apparus de l’essence même du Tribunal des conflits dont la mission est d’assurer la répartition des contentieux entre les deux ordres de juridictions. C’est pourquoi le groupe de travail préconise qu’en cas de partage des voix, une seconde délibération ait obligatoirement lieu, offrant la possibilité d’une évolution des opinions.
Dans l’hypothèse où ce partage égal des voix subsisterait, une formation élargie, comprenant, outre les membres de la formation ordinaire, deux membres du Conseil d’État et deux membres de la Cour de cassation, serait réunie pour statuer, après une nouvelle audience donnant lieu à de nouveaux travaux du rapporteur et du commissaire du gouvernement ainsi qu’à de nouvelles plaidoiries, les débats et le nouveau délibéré étant nécessairement enrichis par les échanges antérieurs. Ces modalités, qui conduisent à renouveler considérablement la réflexion sur la question examinée, ainsi que l’exigence éthique d’éviter un déni de justice apparaissent de nature à éviter la perpétuation d’une situation de blocage, étant d’ailleurs rappelée la rareté des situations de partage des voix (11 en 140 ans).
Si la proposition ci-dessus évoquée est naturellement importante sur le plan symbolique, d’autres ne sont pas moins essentielles. Ainsi, il est préconisé d’étendre à toutes les juridictions la faculté, actuellement réservée au Conseil d’État et à la Cour de cassation, de saisir le Tribunal des conflits lorsqu’une affaire pose une question de compétence soulevant une difficulté sérieuse et mettant en jeu la séparation des autorités administratives et judiciaires. À cet égard, le groupe de travail n’a pas retenu l’instauration d’un filtrage par les juridictions suprêmes, contrairement au mécanisme de la question prioritaire de constitutionnalité, afin d’éviter l’allongement des délais que la préconisation a précisément pour objet de combattre, dans un souci de bonne administration de la justice.
Par ailleurs, quoique cela ne concerne pas directement la réforme du Tribunal des conflits, il a paru opportun de proposer la transmission directe par la juridiction saisie à la juridiction compétente de l’autre ordre d’une question préjudicielle dont la réponse est nécessaire à la solution du litige.
Est-ce que ses attributions seront modifiées ?
Il est, en effet, proposé de donner compétence au Tribunal des conflits pour statuer sur les demandes d’indemnisation formées par les justiciables en réparation des préjudices nés de la durée excessive des instances qu’ils ont dû engager successivement ou concomitamment devant les deux ordres de juridictions en raison du dualisme juridictionnel.
Quels sont, selon vous, les traits forts de l’activité du Tribunal en 2012 -2013 ?
Si vous faites référence à l’aspect quantitatif de l’activité du Tribunal des conflits, je soulignerai volontiers la rapidité du traitement des procédures qui lui sont soumises. En effet, actuellement, le délai de traitement entre l’arrivée d’une affaire et la décision rendue est de l’ordre de six mois, ce qui marque que la solution des conflits de compétence entre les deux ordres de juridictions n’est aucunement un facteur d’allongement des contentieux.
Si vous envisagez la jurisprudence, je vous citerai, à titre d’exemples, les décisions rendues le 14 mai 2012 qui ont précisé la répartition des contentieux relatifs à l’implantation des antennes-relais par les opérateurs de téléphonie mobile, celle du 17 juin 2013 qui a renouvelé la définition de la voie de fait, sans oublier, antérieurement, la décision du 17 octobre 2011 qui a profondément renouvelé la solution de l’arrêt Septfonds.
Je ne pense pas être excessif en faisant état de conditions d’activité tout à fait remarquables, tant au point de vue quantitatif qu’en ce qui concerne l’effort pédagogique et le caractère innovant des décisions rendues, lesquelles l’ont d’ailleurs été sans qu’il fût nécessaire de recourir au départage.
Enfin, je souhaite faire également état de l’existence du site propre au Tribunal des conflits, où figurent non seulement les décisions rendues, avec l’indication de la question de compétence à résoudre, mais aussi les conclusions des commissaires du gouvernement et, pour les décisions fichées, les commentaires qui les présentent dans leur contexte jurisprudentiel. Ce site devrait constituer un précieux instrument de travail pour les magistrats des deux ordres de juridictions et aussi pour les praticiens et les étudiants.
Le questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ? ou le pire ?
J’en ai beaucoup de très bons. Le pire est celui de mon professeur d’économie m’interrogeant à l’examen en lisant le journal !
Quel est votre héros de fiction préféré ?
Cyrano de Bergerac.
Quel est votre droit de l’homme préféré ?
La dignité de la personne humaine.
Références
■ http://www.tribunal-conflits.fr/
■ « Point sur le Tribunal des conflits », Dalloz Actu Étudiant 8 sept. 2011.
■ « Antennes-relais : quel est le juge compétent ? », Dalloz Actu Étudiant 26 juin 2012.
■ « Deux nouvelles exceptions à la jurisprudence Septfonds », Dalloz Actu Étudiant 7 nov. 2011.
■ « Nouvelle définition de la notion de voie de fait », Dalloz Actu Étudiant 1er juill. 2013.
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