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Droit européen et de l'Union européenne
Conditions de détention indignes : condamnation de la France pour ineffectivité du recours indemnitaire
Dans un arrêt du 19 novembre 2020, la Cour européenne des droits de l’Homme estime pour la première fois que le recours indemnitaire offert aux détenus en cas de conditions de détention indignes doit être effectif. Néanmoins, elle entre en voie de condamnation au vu du faible montant alloué au requérant, privant en l’espèce le recours de son effectivité.
CEDH 19 novembre 2020, Barbotin c/ France, n° 25338/16
Le plaignant a été détenu à la maison d’arrêt de Caen durant 24 mois. Estimant que les conditions de détention auxquelles il avait été soumis étaient contraires à l’article 3 de la Convention européenne, il introduisit un recours auprès du juge administratif dans l’objectif de voir ses conditions de détention constatées.
Le tribunal administratif désigna un expert, sur demande du requérant, afin de constater l’état des cellules qu’il avait occupées. Ce dernier bénéficiant de l’aide juridictionnelle, l’État fut alors débiteur des frais d’expertise. La Garde des Sceaux interjeta appel, la cour administrative d’appel saisie décidant d’annuler le jugement concernant les frais d’expertises. La cour administrative d’appel estima que l’état de la cellule était connu et que l’expertise n’était pas nécessaire. Les conditions de détention constatées, un recours en responsabilité fut introduit contre l’État pour obtenir réparation du préjudice subi. Le tribunal administratif estima que le requérant avait été détenu 4 mois dans des conditions de détention indignes et condamna l’État à lui verser 500 euros au titre du préjudice moral. De plus, l’expertise ayant été déclarée non avenue, le tribunal mit à la charge du requérant les frais d’expertise s’élevant à 773,57 euros.
Dès lors, ce dernier se retrouva débiteur auprès de l’État de la somme de 273,57 euros. Le contentieux s’éleva devant le Conseil d’État qui rejeta le pourvoi. Le plaignant saisit alors la Cour de Strasbourg sur le fondement de la violation des articles 13 (droit à un recours effectif) et 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants) de la Convention européenne des droits de l’homme, estimant que la faible indemnisation qui lui a été octroyée et la mise à sa charge des frais d’expertise avaient rendu le recours indemnitaire ineffectif.
Se posait donc la question de savoir si le droit français permettait l’accès à un recours indemnitaire effectif du fait d’une violation de l’article 3 de la Convention européenne.
Analysant tout d’abord si les justiciables français ont bien un accès effectif au recours indemnitaire, la Cour européenne des droits de l’homme examine subséquemment si, en l’espèce, le recours indemnitaire stricto sensu était effectif. Ce faisant, elle conclut à une violation des articles 13 et 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et condamne la France à verser au requérant 2 000 euros, pour préjudice moral et 1 500 euros pour frais et dépens.
■ Le contrôle in abstracto de l’effectivité du recours indemnitaire
Sur l’accès au recours indemnitaire, la Cour européenne des droits de l’Homme rappelle que ce recours doit être offert à tout justiciable prétendant avoir subi des conditions de détention indignes (CEDH 27 janv. 2015, Neshkov et autres c/ Bulgarie, n° 36925/10 et 5 autres, § 180). Cette obligation positive à la charge de l’État se fonde sur l’article 13 mais également sur le volet procédural de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. Précédemment, la Cour européenne a eu à préciser que lorsque la situation incriminée a pris fin, l’individu ayant subi les conditions de détention doit avoir droit à la réparation de son préjudice (CEDH 10 janv. 2012, Ananyev et autres c/ Russie, n° 42525/07 et 60800/08, § 96-98 et § 214). A cet égard, elle contrôle si le droit français offre bien la possibilité d’exercer un recours indemnitaire effectif.
Opérant en deux temps, la Cour européenne des droits de l’homme vérifie tout d’abord que les juridictions françaises ont respecté les standards posés par la jurisprudence européenne. Dans un second temps, elle vérifie que le requérant a été effectivement indemnisé. L’objectif est d’éviter un simple constat de violation, qui serait sans indemnisation (CEDH 10 janv. 2012, Ananyev et autres c/ Russie, n° 42525/07 et 60800/08, § 228-230). Appliquant ces principes au droit français, la Cour de Strasbourg observe que le droit français, depuis la loi pénitentiaire de 2009, prévoit bien une obligation positive pour l’État de respecter la dignité des personnes détenues (L. n° 2009-1436 du 24 nov. 2009, art. 22). De plus, la Cour européenne note que le juge administratif français, en retenant la responsabilité de l’État pour violation de l’article 3 de la Convention du fait de la détention du requérant dans une cellule de 16 m2, en mauvais état, peu lumineuse, sans aération et avec trois à quatre autres détenus, a fait bonne application de la jurisprudence européenne (CEDH 22 avr. 2010, Goroschchenya c/ Russie, n° 38711/03, § 71). La Cour européenne des droits de l’homme ne peut alors qu’observer le respect du droit européen par le juge administratif français (§ 52-53). Par la suite, ce constat de violation de l’article 3 de la Convention européenne a donné lieu à une indemnisation qui a bien été mise à exécution (§ 54). La Cour conclut donc que le recours indemnitaire du fait de conditions de détention indignes est bien effectif en droit français (§ 55).
■ Le contrôle in concreto de l’effectivité du recours indemnitaire
Sur le montant de l’indemnisation, la Cour européenne vient rapidement constater « l’extrême modicité » de l’indemnisation. A ce titre, il convient de préciser que le Conseil d’État a fait évoluer sa jurisprudence sur le sujet dans un arrêt didactique permettant d’unifier l’évaluation de l’indemnisation sur le territoire et de revoir à la hausse les indemnisations octroyées dans le contentieux indemnitaire des conditions de détention (CE, sect., 3 déc. 2018, n° 412010). Arguant que le préjudice moral subi par un détenu à raison des conditions de détention indignes est continu et évolutif, le Conseil d’État vient prévoir une indemnisation forfaitaire mensuelle, revalorisée chaque année. De surcroît, la Cour européenne estime que les frais de procédure ne doivent pas faire peser un fardeau excessif sur le détenu. Or, ces frais de procédure, s’avérant plus élevés que l’indemnisation, ont rendu le requérant débiteur de l’État. Ainsi, bien que la Cour européenne des droits de l’homme ne contrôle en principe pas l’évaluation indemnitaire qui relève de la marge d’appréciation des États parties à la Convention européenne des droits de l’homme, elle estime ici que le faible montant de l’indemnisation combiné aux frais de procédure a privé le recours indemnitaire de son effectivité.
Il est néanmoins important de noter que le contentieux indemnitaire reste assez rare et pose en réalité peu de problèmes, à l’inverse du recours préventif. A ce titre, la Cour européenne des droits de l’homme précise bien que l’ineffectivité du recours indemnitaire repose sur les « circonstances particulières de l’espèce ». De plus, l’évaluation de l’indemnisation a déjà fait l’objet d’une évolution dans le droit interne, semblant restreindre davantage le potentiel contentieux futur. Il en va différemment du recours préventif, la Cour européenne en profitant pour rappeler à l’État français qu’il lui revient de faire évoluer son droit afin de résoudre les problèmes de surpopulation carcérale, notamment en évoquant l’arrêt J.M.B c/ France (CEDH 30 janv. 2020, n° 9671/15 et 31 autres). La Cour européenne des droits de l’homme mentionnant les « nombreuses affaires individuelles nées de ce problème », le risque de voir un arrêt pilote rendu contre la France reste bien plausible.
Références
■ Convention européenne des droits de l’homme
Art. 3 « Interdiction de la torture. Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
Art. 13 « Droit à un recours effectif. Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. »
■ J-P. Céré, Rép. eur. Dalloz, v° Prison : normes européennes
■ CEDH 27 janv. 2015, Neshkov et autres c/ Bulgarie, n° 36925/10 et 5 autres : AJDA 2020. 263, obs. J-M. Pastor
■ CEDH 10 janv. 2012, Ananyev et autres c/ Russie, n° 42525/07 et 60800/08 : D. 2013. 201, obs. J-F Renucci, N. Fricero et Y. Strickler
■ CEDH 22 avr. 2010, Goroschchenya c/ Russie, n° 38711/03
■ CEDH, 30 janvier 2020, J.M.B c/. France, n° 9671/15 et 31 autres : Dalloz Actu Étudiant, 24 avr. 2020, note C. Laurent ; Dalloz actualité, 6 févr. 2020, obs. E. Senna; AJ pénal 2020. 122, chron. J-P Céré ; D. 2020. 753, obs. J-F. Renucci ; ADJA 2020. 263, obs. J-M. Pastor
■ CE, sect., 3 déc. 2018, n° 412010 : AJDA 2019. 897, obs. A. Jacquemet-Gauché
■ Conditions indignes de détention : le prix du temps, Y. Faure et C. Malverti, AJDA 2019. 279
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