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[ 8 février 2024 ] Imprimer

Droit de la consommation

Confirmation tacite de l’acte nul : le respect du formalisme informatif ne suffit plus

Procédant à un revirement de jurisprudence, la Cour de cassation abandonne la règle qu’elle avait posée, selon laquelle « la reproduction lisible, dans un contrat conclu hors établissement, des dispositions du code de la consommation prescrivant le formalisme applicable à ce type de contrat permet au souscripteur de prendre connaissance du vice résultant de l'inobservation de ces dispositions », confirmant ainsi l’acte nul.

Civ. 1re, 24 janv. 2024, n° 22-16.115

Par contrat conclu hors établissement le 7 avril 2016, un consommateur avait commandé auprès d’une société la fourniture et la pose de panneaux photovoltaïques, financés par un crédit souscrit le même jour. Invoquant des irrégularités du bon de commande, l'acquéreur a assigné le vendeur et la banque en annulation du contrat principal et du crédit affecté. 

La cour d’appel ayant accueilli sa demande, le vendeur se pourvoit en cassation, arguant de la confirmation tacite par son acheteur de l’acte entaché de nullité, soit sa renonciation à exercer l’action en nullité, après la découverte du vice dont le contrat est atteint. Dans cette perspective, la thèse du pourvoi s’appuyait sur la règle selon laquelle l’exécution volontaire d’un contrat, en connaissance du vice dont il est atteint, peut être considérée comme une confirmation de ce dernier. Cette règle avait été posée, avant l’ordonnance du 10 février 2016, par l’ancien article 1338, alinéa 2 du Code civil, qui prévoyait déjà qu’« à défaut d’acte de confirmation ou ratification, il suffit que l’obligation soit exécutée volontairement après l’époque à laquelle l’obligation pouvait être valablement confirmée ou ratifiée ». En application de ce texte, la première chambre civile avait reconnu la confirmation tacite en jugeant que « la reproduction lisible, dans un contrat conclu hors établissement, des dispositions du Code de la consommation prescrivant le formalisme applicable à ce type de contrat, permet au souscripteur de prendre connaissance du vice résultant de l’inobservation de ses dispositions » (Civ. 1re, 31 août 2022, n° 21-12.968). Dans le doute, il appartenait néanmoins aux tribunaux d’interpréter la volonté réelle des parties. La confirmation tacite devait donc être écartée lorsque l’exécution du contrat pouvait s’expliquer par d’autres causes. En toutes hypothèses, la volonté tacite ne devait pas être équivoque. L’univocité recherchée s’explique par la nécessité d’un consentement libre et éclairé de l’auteur de la confirmation, acte unilatéral de volonté dont la manifestation, même tacite, doit être caractérisée sans équivocité. Ce contrôle de l’expression de la volonté a conduit la juridiction du second degré à s’affranchir, au cas d’espèce, de l’arrêt précité au motif que le respect du formalisme prescrit est insuffisant en lui-même à révéler à l'emprunteur non averti les vices affectant ce bon. Reprenant à son compte la motivation de la première chambre civile, le demandeur au pourvoi rappelait que la confirmation d'un acte nul procède de son exécution volontaire en connaissance du vice qui l'affecte et que la reproduction lisible dans un contrat conclu hors établissement, des dispositions du code de la consommation prescrivant le formalisme applicable à ce type de contrat, permet au souscripteur de prendre connaissance du vice résultant de l'inobservation de ces dispositions. L’argument avait d’autant plus de chances de prospérer que les solutions antérieures ont été globalement reprises par l’article 1182, alinéa 3 du Code civil applicable au litige, aux termes duquel « l’exécution volontaire du contrat, en connaissance de la cause de nullité », vaut confirmation.

Le moyen posait ainsi la question des conditions de la confirmation tacite d'un contrat conclu hors établissement comportant un vice et plus précisément celle de savoir si la reproduction des articles du code de la consommation relatifs aux mentions obligatoires d'un tel contrat, dès lors que ces textes figurent en caractères lisibles dans les conditions générales de vente, suffit à permettre à l'acquéreur d'avoir connaissance des irrégularités formelles affectant ce contrat.

La Cour de cassation commence par reprendre sa jurisprudence antérieure, rendue sur le fondement de l’ancien article 1338. Elle rappelle avoir retenu, depuis 2020, pour caractériser la connaissance du vice qui affecte l'acte, que la reproduction lisible, dans un contrat conclu hors établissement, des dispositions du code de la consommation prescrivant le formalisme applicable à ce type de contrat permet au souscripteur de prendre connaissance du vice résultant de l'inobservation de ces dispositions. Une telle connaissance, jointe à l'exécution volontaire du contrat par l'intéressé, emporte la confirmation de l'acte nul (Civ. 1re, 9 déc. 2020, n° 18-25.686 ; 31 août 2022, préc. ; §8). Elle justifie sa solution antérieure par le souhait d'éviter que les acquéreurs échappent à leurs obligations, notamment celles résultant du contrat de crédit affecté en invoquant une irrégularité formelle du contrat de vente, cependant que celui-ci a fait l'objet d'une exécution normale (§9). Elle reconnaît néanmoins que cette jurisprudence est de nature, ainsi qu'une partie de la doctrine a pu le relever, à se concilier imparfaitement avec l'objectif de protection du consommateur. Ces considérations ont conduit la première chambre civile à renforcer son contrôle quant à la reproduction effective des textes légaux (1er mars 2023, n° 22-10.361), a fortiori depuis que l'examen des décisions récentes des juridictions du fond révèle que le contentieux se porte essentiellement sur cette question (pour l’exposé des décisions, v.§10). À ce titre, la première chambre civile juge également problématique la divergence des juges du fond : en effet, certaines cours d’appel s'appuient sur une approche in concreto, tandis que d'autres excluent que la seule reproduction, même lisible, de textes du Code de la consommation soit suffisante pour caractériser une connaissance du vice. En outre, elle relève que si la confirmation était, jusqu’à l’ordonnance du 10 février 2016, envisagée de manière partielle aux articles 1338 s. du Code civil, qui traitaient essentiellement des conditions de forme ad probationem de l’acte confirmatif, ces dispositions ont depuis été modifiées par la réforme, qui l’envisage de manière plus complète aux articles 1182 s. du Code civil, ce qui suppose de préciser ses conditions, et notamment les cas de confirmation tacite, l'article 1182, alinéa 3 du Code civil disposant maintenant expressément que l'exécution volontaire du contrat, en connaissance de la cause de nullité, vaut confirmation (§11). Enfin, elle souligne qu’outre cette confirmation de droit commun, l’action interrogatoire instaurée par le nouvel article 1183, peut également conduire à la confirmation du contrat, puisqu’il prévoit de manière inédite qu'une partie peut demander par écrit à celle qui pourrait se prévaloir de la nullité soit de confirmer le contrat soit d'agir en nullité dans un délai de six mois à peine de forclusion (§12).

L'ensemble de ces éléments conduit la première chambre civile à juger désormais que la reproduction même lisible des dispositions du code de la consommation prescrivant le formalisme applicable à un contrat conclu hors établissement ne permet pas au consommateur d'avoir une connaissance effective du vice résultant de l'inobservation de ces dispositions et de caractériser la confirmation tacite du contrat, en l'absence d’autres circonstances supplémentaires, qu'il appartient au juge de relever, permettant de justifier d'une telle connaissance et pouvant résulter, en particulier, de l'envoi par le professionnel d'une demande de confirmation, conformément aux dispositions de l'article 1183 du Code civil, dans sa rédaction issue l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, applicable, en vertu de l'article 9 de cette ordonnance, aux contrats conclus dès son entrée en vigueur.

Enfin, dans un but d’harmonisation du régime de la confirmation tacite, la Cour rend sa solution nouvelle applicable aux contrats souscrits antérieurement comme postérieurement à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 (§14).

Elle approuve en conséquence l’analyse des juges du fond ayant relevé que le seul fait que les conditions générales figurant au verso sur le bon de commande reprenaient les dispositions des articles du code de la consommation, dans des caractères de petite taille mais parfaitement lisibles, était insuffisant en lui-même à révéler à l'acquéreur les vices affectant ce bon, et constaté souverainement qu'il ne ressortait d'aucun des éléments aux débats qu'il ait eu conscience de ceux-ci au moment de la souscription du contrat ou de son exécution, en sorte que la confirmation de l'acte entaché de nullité n'était pas caractérisée.

Références :

■ Civ. 1re, 31 août 2022, n° 21-12.968 : DAE, 19 sept. 2022, note Merryl HervieuD. 2022. 1516 ; RTD civ. 2022. 879, obs. H. Barbier

■ Civ. 1re, 9 déc. 2020, n° 18-25.686  : D. 2021. 4 ; ibid. 483, chron. X. Serrier, S. Robin-Raschel, S. Vitse, V. Le Gall, V. Champ, C. Dazzan, E. Buat-Ménard et C. Azar

■ Civ. 1re, 1er mars 2023, n° 22-10.361 : D. 2023. 462

 

Auteur :Merryl Hervieu


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