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[ 14 octobre 2024 ] Imprimer

Procédure pénale

Cour criminelle départementale : des exceptions ultramarines

Le procès de Mazan qui se tient actuellement devant la cour criminelle d’Avignon, juridiction criminelle sans jurés créée pour éviter la pratique de la correctionnalisation (des viols notamment), nous offre l’occasion de préciser que la cour criminelle départementale, dont l’instauration a suscité de vifs débats autour de la place du jury populaire dans notre justice pénale, n’a pas été généralisée à proprement parler. Certains territoires ultramarins ont été exemptés et font ainsi figure d’exceptions.

-La justice pénale ne s’arrête pas aux limites hexagonales et les juridictions répressives elles-mêmes présentent parfois des particularités adaptées aux territoires concernés. C’est le cas en matière criminelle puisque la cour criminelle départementale, juridiction criminelle de premier degré, compétente pour juger les crimes punis de quinze ou de vingt ans de réclusion criminelle commis par des majeurs hors récidive légale (C. proc. pén., art. 380-16 ; v. Le saviez-vous, DAE 15 déc. 2023), et composée de magistrats professionnels uniquement, n’est pas présente sur tout le territoire de la République.

Après Mayotte (déjà exclue du dispositif malgré son statut de département), d’autres territoires ultramarins aux statuts particuliers (Polynésie française, Wallis-et-Futuna, Saint-Pierre-et-Miquelon – collectivités d’outre-mer régies par l’article 74 de la Constitution – et Nouvelle-Calédonie – collectivité sui generis relevant du Titre XIII) ont spécialement demandé à être exemptés pour des motifs tenant à la fois au faible volume d’affaires criminelles à juger (pour des territoires qui comptent de 5000 à 300 000 habitants seulement), à la rareté des correctionnalisations ou encore au nombre limité de leurs magistrats (Loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, art. 58). 

Pour la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie, une « exception du Pacifique » a même été revendiquée, tenant aux spécificités culturelles et à la nécessité de faire juger les criminels locaux par la population locale, expliquant la place accordée aux jurés dans leur organisation judiciaire (Chronique de droit des outre-mer, RSC 2023, p. 873, obs. S. L. et E. G.). En Nouvelle-Calédonie, des assesseurs citoyens participent même à la formation du tribunal correctionnel (tandis qu’à Saint-Pierre-et-Miquelon, les fonctions judiciaires sont exercées par des magistrats du corps judiciaire et des assesseurs au tribunal supérieur d’appel et au tribunal criminel ; Code de l’organisation judiciaire, art. L. 512-1). Ainsi, pour le jugement des délits, la formation collégiale du tribunal de première instance (TPI) de Nouméa est complétée par des assesseurs ayant voix délibérative (Code de l’organisation judiciaire, art. L. 562-1). La présence d’assesseurs en matière correctionnelle a été introduite par une loi du 13 juin 1989 (Loi n° 89-378 du 13 juin 1989 portant diverses dispositions relatives à l’organisation juridictionnelle en Nouvelle-Calédonie), de l’idée que ces citoyens puissent transmettre à la juridiction la sensibilité de la société néo-calédonienne (lorsqu’il statue en matière coutumière, c’est-à-dire dans les litiges relatifs au statut civil coutumier et au foncier coutumier, le TPI comprend des assesseurs coutumiers, dont la participation est justifiée par le caractère très complexe des coutumes mélanésiennes, et ce depuis l’ordonnance n° 82-877 du 15 octobre 1982 qui les a institués, entrée en vigueur le 1er janvier 1983).

On se souviendra qu’un « tribunal correctionnel en sa formation citoyenne » avait vu le jour dans l’Hexagone, bien plus tard, en application de la loi n° 2011-939 du 10 août 2011 sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs mais que son expérimentation avait été stoppée de manière anticipée (avant la date du 1er janvier 2014 à partir de laquelle le dispositif devait être généralisé). Les magistrats qui avaient fait le bilan de cette expérimentation avaient observé qu’en France, « l’immense majorité des décisions rendues en matière répressive émane des tribunaux correctionnels, exclusivement composés de magistrats professionnels », et que « le tribunal correctionnel de Nouvelle-Calédonie, où siègent deux citoyens assesseurs doit, à cet égard, être regardé comme un cas très particulier, non représentatif en l’état des différences existant entre les dispositifs » (jury criminel, juges de proximité – à l’époque, tribunal pour enfants ; X. Salvat et D. Boccon-Gibod, Rapport sur l’expérimentation des citoyens assesseurs dans les ressorts des cours d’appel de Dijon et Toulouse, février 2013). Ce qui démontre encore, s’il en était besoin, que ce qui est adapté en certains lieux ne l’est pas en d’autres, les sociétés concernées étant, en réalité, très différentes … 

 

Auteur :Sabrina Lavric

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