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[ 6 février 2014 ] Imprimer

Droit pénal général

Cumul des sanctions de l’AMF et sanctions pénales : pas de contrariété au principe non bis in idem

Mots-clefs : Non bis in idem, Sanctions AMF, Sanctions pénales

L’article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ne s’oppose pas à ce qu’une personne sanctionnée pour un manquement relevant de la compétence de l'AMF puisse, en raison des mêmes faits, être poursuivie et condamnée pour un délit dès lors que, d’une part, ce cumul garantit la sanction effective, proportionnée et dissuasive, au sens de l’article 14-1 de la directive no 2003/6/CE du 28 janvier 2003, dont dépend la réalisation de l’objectif d’intérêt général reconnu par l’Union européenne, entrant dans les prévisions de l’article 52 de la Charte et tendant à assurer l’intégrité des marchés financiers communautaires et à renforcer la confiance des investisseurs, d’autre part, le montant global des amendes susceptibles d’être prononcées ne peut dépasser le plafond de la sanction encourue la plus élevée.

La règle « non bis in idem », aux termes de laquelle nul ne peut être poursuivi ou jugé deux fois pour les mêmes faits et pour les mêmes comportements punissables, constitue aujourd'hui un principe général du droit repris par l’article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Cette règle n'interdit cependant pas des poursuites devant le juge répressif parallèlement à une procédure conduite devant la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers (AMF).

En l’espèce, par décision définitive du 20 décembre 2007, la commission des sanctions de l’AMF avait prononcé une sanction pécuniaire de 250 000 euros à l’encontre d’un individu, auquel était reproché un manquement aux dispositions relatives aux manipulations de cours. Celui-ci a, par la suite, fait l’objet de poursuites devant le tribunal correctionnel après dénonciation des faits par l’AMF au procureur de la République, sur le fondement de l’article L. 465-2 du Code monétaire et financier, pour entrave au fonctionnement régulier du marché de l’action FPR ayant induit autrui en erreur.

La chambre criminelle approuve les juges du fond d’avoir rejeté l’exception de nullité des poursuites prise de la violation du principe non bis in idem soulevée par le prévenu.

La Cour affirme « qu’en effet, l’article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ne s’oppose pas à ce qu’une personne sanctionnée pour un manquement relevant de la compétence de l'AMF puisse, en raison des mêmes faits, être poursuivie et condamnée pour un délit dès lors que, d’une part, ce cumul garantit la sanction effective, proportionnée et dissuasive, au sens de l’article 14-1 de la directive n° 2003/6/CE du 28 janvier 2003, dont dépend la réalisation de l’objectif d’intérêt général reconnu par l’Union européenne, entrant dans les prévisions de l’article 52 de la Charte et tendant à assurer l’intégrité des marchés financiers communautaires et à renforcer la confiance des investisseurs, d’autre part, le montant global des amendes susceptibles d’être prononcées ne peut dépasser le plafond de la sanction encourue la plus élevée ».

Cet attendu appelle trois observations :

– La chambre criminelle rejoint ici l’interprétation de la portée du principe non bis in idem adoptée par la CJUE dans un arrêt rendu en 2013 (CJUE, gr. ch., 26 févr. 2013, Aklagaren c./ Hans Akerberg Fransson). Selon cette dernière, des sanctions administratives et pénales peuvent être prononcées pour des mêmes faits sans que le principe soit violé. Ce n'est que lorsque la sanction administrative revêt un caractère pénal au sens de l'article 50 et est devenue définitive que ladite disposition s'oppose à ce que des poursuites pénales pour les mêmes faits soient diligentées contre une même personne.

– La chambre criminelle se retranche également ici sur les obligations issues de l’Union. En effet, elle rappelle que la directive n° 2003/6/CE du 28 janvier 2003 impose aux États la sanction effective, proportionnée et dissuasive des atteintes à l’intégrité des marchés financiers communautaires. L'article 14, 1°de ce texte énonce que : « Sans préjudice de leur droit d'imposer des sanctions pénales, les États membres veillent à ce que, conformément à leur législation nationale, des mesures administratives appropriées puissent être prises ou des sanctions administratives appliquées à l'encontre des personnes responsables d'une violation des dispositions arrêtées en application de la présente directive ».

La réalisation de cet objectif d’intérêt général reconnu par l’Union européenne, entre selon elle, dans les prévisions de l’article 52 de la Charte au terme duquel des limitations aux droits garantis peuvent être apportées si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui.

– Enfin, la chambre criminelle rappelle que si le cumul est possible le montant global des amendes susceptibles d’être prononcées ne peut dépasser le plafond de la sanction encourue la plus élevée. Cette limite est la reprise des exigences du Conseil constitutionnel, lequel considère que « lorsqu'une sanction administrative est susceptible de se cumuler avec une sanction pénale, le principe de proportionnalité implique qu'en tout état de cause, le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues » (Cons. cont. 28 juill. 1989).

Crim. 22 janv. 2014, n°12-83.579 FS-P+B+R+I

Références

 CJUE, gr. ch., 26 févr. 2013, Aklagaren c./ Hans Akerberg Fransson, C-617/10, Dalloz Actu Étudiant 6 mars 2013.

■ Cons. cont. 28 juill. 1989, no 89-260 DC, Rec. Cons. const., p. 71.

■ Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne

Article 50 - Droit à ne pas être jugé ou puni pénalement deux fois pour une même infraction

« Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné dans l'Union par un jugement pénal définitif conformément à la loi. »

Article 52 - Portée des droits garantis

1. Toute limitation de l'exercice des droits et libertés reconnus par la présente Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d'intérêt général reconnus par l'Union ou au besoin de protection des droits et libertés d'autrui.

2. Les droits reconnus par la présente Charte qui trouvent leur fondement dans les traités communautaires ou dans le traité sur l'Union européenne s'exercent dans les conditions et limites définies par ceux-ci.

3. Dans la mesure où la présente Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère ladite convention. Cette disposition ne fait pas obstacle à ce que le droit de l'Union accorde une protection plus étendue. »

■ Article L. 465-2 du Code monétaire et financier

« Est puni des peines prévues au premier alinéa de l'article L. 465-1 le fait, pour toute personne, d'exercer ou de tenter d'exercer, directement ou par personne interposée, une manœuvre ayant pour objet d'entraver le fonctionnement régulier d'un marché réglementé ou d'un système multilatéral de négociation en induisant autrui en erreur. 

Est puni des peines prévues au premier alinéa de l'article L. 465-1 le fait, pour toute personne, de répandre ou de tenter de répandre dans le public par des voies et moyens quelconques des informations fausses ou trompeuses sur les perspectives ou la situation d'un émetteur ou de ses titres admis aux négociations sur un marché réglementé au sens de l'article L. 421-1 ou pour lesquels une demande d'admission sur un tel marché a été présentée, ou sur un système multilatéral de négociation qui se soumet aux dispositions législatives ou réglementaires visant à protéger les investisseurs contre les opérations d'initiés, les manipulations de cours et la diffusion de fausses informations ou négociés sur un système multilatéral de négociation, admis à la négociation sur un tel marché ou pour lesquels une demande d'admission à la négociation sur un tel marché a été présentée ou sur les perspectives d'évolution d'un instrument financier ou d'un actif visé au II de l'article L. 421-1 admis sur un marché réglementé, ou d'un contrat commercial relatif à des marchandises et lié à un ou plusieurs des instruments mentionnés précédemment de nature à agir sur les cours desdits instruments ou actifs. »

■ Directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2003 sur les opérations d'initiés et les manipulations de marché (abus de marché), JOCE no L. 96, 12 avr. 2003, p. 16, Bull. Joly Bourse 2003. 374.

Article 14

« 1. Sans préjudice de leur droit d'imposer des sanctions pénales, les États membres veillent à ce que, conformément à leur législation nationale, des mesures administratives appropriées puissent être prises ou des sanctions administratives appliquées à l'encontre des personnes responsables d'une violation des dispositions arrêtées en application de la présente directive. Les États membres garantissent que ces mesures sont effectives, proportionnées et dissuasives.

2. La Commission établit, pour information, conformément à la procédure visée à l'article 17, paragraphe 2, une liste des mesures et sanctions administratives visées au paragraphe 1.

3. Les États membres déterminent les sanctions applicables en cas de défaut de coopération dans le cadre d'une enquête relevant de l'article 12.

4. Les États membres prévoient que l'autorité compétente concernée peut rendre publiques les mesures ou sanctions qui seront appliquées pour non-respect des dispositions adoptées en application de la présente directive, excepté dans les cas où leur publication perturberait gravement les marchés financiers ou causerait un préjudice disproportionné aux parties en cause. »

 

Auteur :C. L.

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