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Droit pénal des affaires
De la nature et du régime de prescription du blanchiment
Dans l’un des volets de l’affaire Cahuzac, la chambre criminelle précise que le blanchiment est un délit instantané et occulte, de sorte que son délai de prescription court à compter du jour où les personnes susceptibles de mettre en mouvement l’action publique ont eu connaissance de l’infraction.
En décembre 2012, le journal Médiapart révélait que M. Jérôme Cahuzac, ministre du budget, avait détenu un compte bancaire en Suisse en se fondant notamment sur l’enregistrement d’une conversation téléphonique entre l’ancien maire de Villeneuve-sur-Lot et l’intéressé datant de la fin de l’année 2000. Une enquête préliminaire était ouverte le 8 janvier 2013 qui permettait d’établir que des copies de cet enregistrement avaient été remises, entre 2002 et 2006, à différents agents des impôts ainsi qu’à M. Jean-Louis Bruguière, juge d’instruction. Plusieurs éléments étant venus corroborer l’information, une information judiciaire était ouverte le 19 mars 2013 notamment du chef de blanchiment de fraude fiscale. C’est dans ce cadre que le prévenu, avocat intervenu comme mandataire d’une société immatriculée aux Seychelles, était identifié puis finalement renvoyé devant le tribunal correctionnel pour avoir à Paris, en France, en Suisse, aux Seychelles et à Singapour, courant 2009, 2010, 2011, 2012 et 2013, jusqu'au 19 mars 2013, apporté son concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un délit de fraude fiscale, en participant activement à la dissimulation des avoirs de Jérôme Cahuzac, détenus et gérés par la banque Reyl, ce dernier faisant également l’objet de poursuites.
Le 8 décembre 2016, le tribunal correctionnel de Paris le condamnait à un an d’emprisonnement avec sursis et 375 000 euros d’amende. Le 15 mai 2018, la cour d’appel de Paris confirmait ce jugement. Le prévenu et plusieurs parties civiles déclarées irrecevables en leur constitution formaient alors un pourvoi en cassation.
Sur les deux moyens présentés par le prévenu, la chambre criminelle en examine un seul, relatif à la prescription du délit de blanchiment. Invoquant une violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, 324-1 du Code pénal et 8 du Code de procédure pénale notamment, celui-ci reprochait aux juges du fond d’avoir considéré le délit poursuivi comme continu et fixé le point de départ de son délai de prescription au 25 avril 2013, date d’une note émanant de Tracfin consécutive au rapatriement des fonds intervenu courant 2013 depuis Singapour. Le prévenu faisait notamment valoir que la situation du ministre était connue, dès 2000, du maire de Villeneuve-sur-Lot qui avait procédé aux enregistrements, que ce dernier avait transmis ces informations à différents fonctionnaires des impôts, puis remis les enregistrements à un juge d’instruction, autorité de poursuite au sens de l’article 40 du Code de procédure pénale, le 12 novembre 2006.
Dans sa réponse, la chambre criminelle part de la lettre de l’article 324-1 du Code pénal qui définit le blanchiment pour préciser que « ce délit, qui s'exécute en un trait de temps, constitue une infraction instantanée » et « constitue en raison de ses éléments constitutifs une infraction occulte par nature ». Ainsi, le point de départ de son délai de prescription « court à compter du jour où elle est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant la mise en mouvement ou l'exercice de l'action publique (Crim. 8 févr. 2006, n° 05-80.301) », comme le prévoit aujourd’hui l’article 9-1 du Code de procédure pénale issu de la loi n° 2017-242 du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale (V. Dalloz Actu Étudiant, 6 mars 2017).
La Haute cour estime alors que « si c’est à tort que la cour d’appel a qualifié le blanchiment d’infraction continue, l’arrêt n’encourt pas pour autant la censure » dès lors que les « [l]es faits n’ont pu être portés à la connaissance du procureur de la République qu’en avril 2013, à la suite de leur découverte par Tracfin et que la prescription n’était en conséquence pas acquise à la date de l’ouverture de l’enquête préliminaire ». Elle précise enfin que l’argument tiré de la connaissance qu’ont pu avoir certaines personnes dès l’année 2000 de la détention par le ministre d’un compte en Suisse est inopérant dans la mesure où les faits reprochés individuellement au prévenu ont été commis pour les premiers en 2009.
On rappellera que les faits de blanchiment « consistent, alternativement ou cumulativement, à justifier mensongèrement l'origine des biens ou des revenus de l'auteur d'un crime ou d'un délit profitable mais, également, à placer, à dissimuler ou à convertir le produit d'un crime ou d'un délit » (M. Segonds, Rép. pén. Dalloz, v° Blanchiment, no 2). Selon l'article 324-1 du Code pénal, qui prévoit une incrimination de portée générale, « le blanchiment est le fait de faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de l'origine des biens ou des revenus de l'auteur d'un crime ou d'un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct ou indirect » (al. 1er) mais aussi « le fait d'apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit » (al. 2). Ces deux propositions correspondent en réalité à deux formes d’aide au blanchiment – l’aide à la justification mensongère de ressources ou l’aide dans la gestion de fonds illicites – dès lors que ce n’est pas l’auteur de cette infraction qui blanchit mais l’auteur de l’infraction d’origine (le blanchiment étant une infraction de conséquence supposant une première infraction à titre de condition préalable) ou un tiers (en ce sens, E. Dreyer, Droit pénal spécial, n° 1268).
S’agissant du point de départ du délai de prescription de cette infraction (qui peut revêtir une forme criminelle ou délictuelle, et se prescrire désormais par 20 ou 6 ans), le présent arrêt met fin aux hésitations qui pouvaient exister jusqu’alors (V. en ce sens, M. Segonds, préc. n° 109) en faisant du blanchiment une infraction occulte par nature au sens de l’article 9-1, alinéa 3, du Code de procédure pénale (qui vise « l’infraction qui, en raison de ses éléments constitutifs, ne peut être connue ni de la victime ni de l’autorité judiciaire »). En conséquence, c’est le régime de l’article 9-1, alinéa 2, qui s’applique : ainsi, par dérogation au premier alinéa des articles 7 et 8, le délai de prescription de l’action publique court à compter du jour où l'infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant la mise en mouvement ou l'exercice de l'action publique, dans la limite de douze années révolues pour les délits et trente années révolues pour les crimes.
Crim. 11 sept. 2019, n° 18-83.484
Références
■ Fiches d’orientation Dalloz : Blanchiment
■ Convention européenne des droits de l’homme
Article 6 « Droit à un procès équitable. 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès de la salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.
2. Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.
3. Tout accusé a droit notamment à:
a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu'il comprend et d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui;
b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense;
c) se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent;
d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge;
e) se faire assister gratuitement d'un interprète, s'il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l'audience. »
■ Crim. 8 févr. 2006, n° 05-80.301 P : D. 2006. 2297, note L. Saenko ; ibid 2007. Pan. 973, obs. J. Pradel ; AJ pénal 2006. 214, obs. C. Saas ; RTD com. 2006. 683, obs. B. Bouloc
■ Rép. pén. Dalloz, v° Blanchiment, par M. Segonds
■ E. Dreyer, Droit pénal spécial, ellipses, 2008, nos 1263 s.
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