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[ 18 mai 2022 ] Imprimer

Droit des obligations

De la nullité d’un contrat contraire à une règle de déontologie

Un contrat conclu en violation d’une règle de déontologie peut être annulé dès lors que le contenu de ce contrat est, en conséquence de cette violation, entaché d’illicéité.

Civ. 1re, 6 avr. 2022, n° 21-12.045

Les rapports entre la convention d’honoraires et la théorie générale du contrat se précisent. Après avoir admis la possibilité d’annuler ce type de convention sur le terrain des vices du consentement (v. à propos d’une convention d’honoraires entre un avocat et son client, annulée pour violence économique Civ. 2e, 9 déc. 2021, n° 20-10.096), la Cour de cassation étend cette possibilité, par l’arrêt rapporté, sur le fondement des règles relatives au contenu du contrat, lequel doit être licite. Intéressant également les rapports entre déontologie et droit des contrats, l’arrêt sous commentaire vient en outre préciser l’incidence de la violation d’une règle déontologique sur le régime applicable à la licéité de l’opération contractuelle.

En 2015, dans le cadre d’une cession de parts sociales, une société avait conclu oralement un contrat de louage d’ouvrage avec un expert-comptable. Ayant pour objet une mission d’assistance lors des négociations entourant cette cession, ce contrat purement verbal comportait une rémunération au profit de l’expert-comptable en fonction du résultat obtenu (appelée « honoraires d’objectif », « de résultat »). À la fin de sa mission, ce dernier avait assigné la société en paiement de ses honoraires, prévus dans un des SMS que son client, le dirigeant de la société cédée, lui avait envoyé. En cause d’appel, la société invoqua la nullité du contrat de louage d’ouvrage. L’appelante soutenait que ce contrat dérogeait à une disposition d’ordre public, l’article 24 de l’ordonnance n° 45-2138 du 19 novembre 1945, dans sa rédaction applicable au litige, portant institution de l’ordre des experts-comptables et réglementant la profession. En effet, ce texte interdisait aux experts-comptables de percevoir des honoraires de résultat tels que ceux en l’espèce fixés dans le contrat de louage d’ouvrage (sur cette question, v. Rép. com.,  Expert-comptable, par F. Pasqualini et V. Pasqualini-Salerno, n  89). La cour d’appel de Paris débouta la société de sa demande en nullité au motif que le non-respect d’une règle déontologique n’est pas susceptible d’être sanctionné par la nullité du contrat. Devant la Cour de cassation, la société demanderesse à la nullité argua d’un cas de violation de la loi dès lors qu’un contrat ne peut déroger à l’ordre public, dont relevait l’interdiction faite aux experts-comptables de percevoir des honoraires de résultat. Délaissant cette référence à l’ordre public pour fonder directement la nullité du louage d’ouvrage sur l’exigence d’un contenu contractuel licite (§ 5), la première chambre civile casse l’arrêt d’appel. Ainsi contourne-t-elle la difficulté à laquelle la cour d’appel s’était confrontée concernant les rapports entre la violation d’une règle déontologique et la nullité du contrat. Juridiquement fondée, l’analyse des juges du fond procédait du rappel de la règle : selon laquelle les normes déontologiques, qui « ne sont assorties que de sanctions disciplinaires (…), n’entraînent pas, à elles seules, la nullité des contrats conclus en infraction de leurs dispositions ». En effet, la violation d’une règle de déontologie, ie d’une règle de bonne conduite professionnelle, ne conduit pas, en soi, à la nullité du contrat. Toutefois, cette sanction s’impose en cas d’illicéité de l’opération contractuelle consécutive à cette violation. Or dans le contrat litigieux, c’était bien la licéité de l’opération qui était en jeu, la première chambre civile jugeant « illicite » le contenu du contrat conclu en méconnaissance de l’interdit déontologique précité. Autrement dit, la violation de la règle de déontologie avait généré, en l’espèce, une situation contractuelle illicite. En ce sens, il est fort probable que dans un contrat conclu après le 1er octobre 2016, figurerait au visa l’article 1128, 3° du code civil, prévoyant que le contrat doit avoir un « contenu licite et certain ». Le contrat conclu en violation de l’interdiction faite aux experts-comptables de recevoir des honoraires de résultat pouvait donc être annulé puisque l’une de ses conditions de formation (aujourd’hui le contenu, hier l’objet et la cause) faisait défaut. Cette sanction de la nullité s’analyse alors comme le corollaire, dans l’ordre juridique contractuel, de la sanction disciplinaire que peut prendre l’ordre professionnel en question. Il en résulte, conformément au droit commun des contrats, un anéantissement rétroactif du contrat conclu sur un contenu que la rémunération, convenue en fonction du résultat obtenu, rendait illicite. 

La portée de cette solution doit être précisée. Le visa renvoie à l’article 24 de l’ordonnance du 19 novembre 1945, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2014-443 du 30 avril 2014, qui prévoyait que les experts-comptables ne pouvaient percevoir des honoraires de résultat. Or cette ordonnance a été partiellement modifiée par la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite « loi Pacte », celle-ci ayant tempéré l’interdiction de prévoir ces honoraires complémentaires, admis sous la réserve qu’ils ne conduisent pas à compromettre l’indépendance des membres de l’ordre ou à les placer en situation de conflit d’intérêts. La solution ici rendue pourrait, à l’aune de cette réforme, perdre de sa vitalité. Elle devrait en vérité la conserver, sa portée générale concernant toute violation d’une règle de déontologie susceptible d’avoir une incidence sur la nullité d’un contrat conclu en méconnaissance de celle-ci. Ainsi que le commande la théorie générale du contrat, quant à elle invariable, la première chambre civile avait déjà ainsi pu déduire de la violation d’une règle déontologique la nullité du contrat passé au mépris de l’interdit posé (Civ. 1re, 6 févr. 2019, n° 17-20.463).

La nullité qui vient sanctionner le contrat mal formé continue donc de s’appliquer aux règles de déontologie, dont le particularisme trouve sa limite dans les règles communes et générales au contrat.

Références :

■ Civ. 2e, 9 déc. 2021, n° 20-10.096 : DAE, 11 janv. 2022, note Merryl HervieuD. 2022. 384, note G. Chantepie ; ibid. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki ; AJ fam. 2022. 8, obs. F. Eudier ; RTD civ. 2022. 121, obs. H. Barbier

■ Civ. 1re, 6 févr. 2019, n° 17-20.463 : DAE, 20 mars 2019, note Merryl HervieuD. 2019. 931, note Bérangère Maisonnat ; AJ contrat 2019. 243, obs. A.-S. Lebret ; RTD civ. 2019. 324, obs. H. Barbier

 

Auteur :Merryl Hervieu

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