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Droit de la consommation
Disproportion du cautionnement : précisions sur la notion de créancier professionnel
La cession par un associé des droits qu’il détient dans le capital d’une société ou le remboursement des avances qu’il a consenties à la société ne caractérisent pas en eux-mêmes l’exercice d’une activité professionnelle, même si le cédant a été le gérant de la société cédée.
Com. 21 juin 2023, n° 21-24.691 B
Après la qualité de consommateur de l’acquéreur de parts sociales, dont les contours ont dû être précisés (Civ. 1re, 20 avr. 2022, n° 20-19.043), c’est la qualité de créancier professionnel qui reçoit l’éclairage de la Cour de cassation dans un contexte similaire d’une cession de droits sociaux. En effet, dans le silence légal, la Cour précise dans l’arrêt rapporté la teneur de cette notion dans le cas, en pratique fréquent, où le cédant de droits sociaux revêt, outre la qualité de vendeur, celle de dirigeant social.
Le 21 novembre 2014, un actionnaire avait cédé à un investisseur les actions qu’il détenait dans une société. Il était stipulé que le prix serait payable à hauteur de 300 000 € dans les trois jours ouvrés à compter de la cession puis, à compter du 1er avril 2015, par mensualités de 50 000 € pendant deux ans. Par le même acte, le dirigeant de la société cessionnaire s’était porté caution solidaire en garantie du paiement du prix de cession. Alléguant l’existence d’un dol, la société cessionnaire et le dirigeant caution avaient assigné le cédant aux fins de le voir condamner au paiement de dommages et intérêts. Reconventionnellement, ce dernier avait demandé la condamnation de la caution à lui payer le solde du prix de cession des actions. La cour d’appel rejeta la demande de l’associé cédant, jugeant applicables au litige les dispositions de l’ancien article L. 341-4 du Code de la consommation. Selon les juges du fond, le cédant bénéficiaire du cautionnement, associé et dirigeant de la société cédée, revêtait à ce titre la qualité de professionnel, et qu’il ne pouvait se prévaloir du cautionnement litigieux, disproportionné aux biens et revenus de la caution. Devant la Cour de cassation, le vendeur reprocha aux juges du fond de lui avoir conféré la qualité de créancier professionnel alors que l’associé-cédant qui consent un crédit-vendeur au cessionnaire n’est pas nécessairement un professionnel dans la mesure où la cession d’actions ne constitue pas, en elle-même, l’exercice d’une activité professionnelle.
Adhérant à la thèse du pourvoi, la chambre commerciale casse l’arrêt d’appel pour violation de la loi au motif que « la cession par un associé des droits qu’il détient dans le capital d’une société ou le remboursement des avances qu’il a consenties à la société ne caractérisent pas en eux-mêmes l’exercice d’une activité professionnelle, même si le cédant a été le gérant de la société cédée ». La qualification de créancier professionnel est en l’espèce écartée par le refus de la Cour de déduire la qualité de créancier professionnel de la seule cession, par le dirigeant associé de la société cédée, de ses droits sociaux. En résulte l’inapplication des règles relatives à l’exigence de proportionnalité du cautionnement, au cœur desquelles figure la qualité de professionnel du créancier (C. consom., anc. art. 341-4 ; C. civ., art. 2300 nouv.). Cela étant, cette absence d’automatisme dans la qualification de créancier professionnel ne permet pas de dégager les critères nécessaires à définir la notion dès lors que comme dans l’affaire rapportée, la disproportion du cautionnement est alléguée. En l’absence de précision légale, ces critères furent érigés par le juge, définissant le créancier professionnel comme « celui dont la créance est née dans l’exercice de sa profession ou se trouve en rapport direct avec l’une de ses activités professionnelles, même si celle-ci n’est pas principale » (pt 7 ; v. Civ. 1re, 9 juill. 2009, n° 08-15.910). Ceci posé, encore fallait-il, en l’espèce, appliquer ces éléments de qualification au cas où le dirigeant social cède les parts de sa société. La qualité de dirigeant social du cédant, par ailleurs bénéficiaire d’un cautionnement, suffisait-elle à le considérer comme un créancier professionnel au sens des textes sur la disproportion de l’engagement de la caution ? La Cour de cassation répond à cette question par la négative, jugeant que la cession de droits sociaux détenus dans le capital d’une société par un associé ne caractérise pas, en elle-même, l’exercice d’une activité professionnelle au sens des textes du Code de la consommation, même lorsque le cédant a été le dirigeant de la société, dans la mesure où la créance du vendeur « n’était pas née dans l’exercice de sa profession ni ne se trouvait en rapport direct avec l’une de ses activités professionnelles, même accessoire » (§ n° 10).
Pourtant, l’entrecroisement de la cession de droits sociaux et de la qualité de dirigeant social du cédant laissait supposer la solution inverse. Toutefois, ces circonstances ne constituent qu’un indice de la qualité de créancier professionnel du cédant. La chambre commerciale rappelle la nécessité d’une analyse globale et circonstanciée pour caractériser cette qualité, qui n’est pas automatiquement acquise. On comprend donc que sans être inopérants, ces indices auraient dû être corroborés par d’autres éléments de qualification.
Cette limite inattendue à l’extension croissante du champ d’application des dispositions relatives à la disproportion de l’engagement de la caution mérite tant d’être observée que contestée. En effet, la solution ici rendue témoigne d’une certaine sévérité au détriment de la caution dans la configuration où l’associé cédant ses parts est également le gérant de la société. L’exclusion du rapport direct avec l’une des activités professionnelles du cédant, à l’époque en exercice, paraît discutable. La pratique devra malgré tout en tenir compte car en pareille situation, la qualité de professionnel du créancier devra être démontrée autrement, à l’appui d’éléments supplémentaires, faute de quoi la disproportion du cautionnement se trouvera privée d’efficacité. La sévérité de la solution est en outre renforcée par sa portée : celle-ci est en effet transposable aux cautionnements conclus après le 1er janvier 2022, l’exigence de proportionnalité restant réservée aux seuls créanciers professionnels.
Références :
■ Civ. 1re, 20 avr. 2022, n° 20-19.043 B : DAE, 8 juin 2022, note M. Hervieu ; D. 2022. 789 ; ibid. 2023. 616, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RTD com. 2022. 579, obs. A. Lecourt ; ibid. 632, obs. D. Legais.
■ Civ. 1re, 9 juill. 2009, n° 08-15.910 P : D. 2009. 2198, note S. Piédelièvre ; ibid. 2032, obs. X. Delpech ; ibid. 2058, chron. P. Chauvin, N. Auroy et C. Creton ; ibid. 2010. 790, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RTD civ. 2009. 758, obs. P. Crocq ; RTD com. 2009. 601, obs. D. Legeais ; ibid. 796, obs. D. Legeais.
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