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Droit des obligations
Dol : cumul de l’action en nullité et en responsabilité
Le rejet de la demande en nullité de la vente pour dol formée à titre principal n'exclut pas l’engagement et le succès de la demande subsidiaire de l'acheteur en réparation de son préjudice.
Civ. 1re, 14 janvier 2021, n° 19-24.881
En vue de réaliser un investissement locatif fiscalement avantageux, un couple achète sur l’île de la Réunion un appartement inclus dans un programme global de commercialisation d’immeubles à vendre en état futur d’achèvement (VEFA). Six ans après l’achat, le couple constate l’ampleur de la perte de valeur de leur appartement et le manque subséquent de rentabilité économique de l’investissement escompté.
Estimant avoir été mal renseigné, le couple d’acquéreurs agit, à titre principal, en nullité de la vente pour dol contre la société en charge de la réalisation du projet immobilier ainsi que contre le vendeur de leur appartement. À titre subsidiaire, il demande également la réparation du préjudice patrimonial et moral qu’il impute au manquement par la société, au moment où celle-ci l’avait démarché, à son obligation d’information et de conseil.
En cause d’appel, la demande en nullité de la vente pour dol est écartée ; toutefois, la société est condamnée à indemniser le couple en dommages et intérêts au titre de la perte de chance d’avoir pu effectuer un investissement immobilier locatif plus rentable.
La société forme un pourvoi contre cette décision pour contester l’engagement de sa responsabilité contractuelle alors que la vente, en l’absence de dol caractérisé, a été maintenue. Autrement dit, en l’état du rejet de l’action des acheteurs en nullité de la vente immobilière pour dol, ces derniers ne pouvaient, en dépit du constat de la validité de la vente, obtenir la réparation du préjudice prétendument subi, au moment de sa formation, par un manque d’information.
A la question de savoir si le rejet de l’action principale en nullité pour dol doit faire obstacle à celle, subsidiaire, en indemnisation à raison du défaut d’information subi par l’acheteur, la Cour de cassation répond par la négative et rejette en conséquence le pourvoi formé par le vendeur.
Elle affirme, d’une part, que le rejet de la demande principale en nullité d’une vente pour dol dirigée contre le vendeur ne fait pas par principe obstacle à une demande subsidiaire en responsabilité quasi-délictuelle formée contre le professionnel chargé de la commercialisation du programme d’investissement immobilier défiscalisé et en indemnisation du préjudice en résultant pour les acquéreurs demeurés propriétaires du bien. Elle confirme, d’autre part, les motifs de fait avancés par la juridiction d’appel, ayant relevé que le bien acquis en 2006 au prix de 101 500 euros avait été estimé en 2013 entre 55 000 et 65 000 euros. Procédant à une comparaison prenant en compte l'avantage fiscal attaché à un investissement en Outre-mer avec un investissement locatif immobilier qui aurait été réalisé en métropole en conservant une valeur stable, la cour d'appel a pu en déduire, sans avoir à rechercher quelle aurait été la décision prise par les acquéreurs s'ils avaient été correctement informés, que ces derniers avaient subi une perte de chance d'avoir effectué un investissement plus rentable, qu'elle a souverainement évaluée à la somme de 17 000 euros.
Erreur provoquée par un acte positif (manœuvres) ou négatif (rétention d’informations) de tromperie, le dol suppose, outre cet acte constitutif de son élément matériel, un élément intentionnel résidant dans la volonté d’induire en erreur son cocontractant. C’est à propos des sanctions du dol que ce double aspect s’illustre le plus nettement. En tant que vice de consentement, le dol entraîne la nullité relative du contrat ; en tant que délit civil, il fonde l’engagement de la responsabilité extracontractuelle de son auteur sur le fondement traditionnel de l’article 1240 du code civil de la responsabilité pour faute. L’admission par la jurisprudence de ce cumul d’actions en nullité et en responsabilité, que justifie l’absence d’identité de leur finalité, est aussi ancienne que constante (Civ. 1re, 4 févr. 1975, n° 72-13.217; Com. 15 janv. 2002, n° 99-18.774; Civ. 3e, 23 mai 2012, n° 11-11.796): il est acquis que le droit de demander la nullité d’un contrat n’exclut pas l’exercice, par la victime d’un dol, d’une action en responsabilité délictuelle pour obtenir de son auteur la réparation du préjudice qui en résulte. Ainsi une indemnisation peut-elle être obtenue malgré l’échec ou le désistement de l’action en nullité pour dol (Com. 18 oct. 1994, n° 92-19.390).
Depuis l’ordonnance de 2016, l’admission d’un tel cumul trouve au surplus un fondement légal, l’article 1178, alinéa 4 du Code civil prévoyant ainsi qu’ « (i)ndépendamment de l'annulation du contrat, la partie lésée peut demander réparation du dommage subi dans les conditions du droit commun de la responsabilité extracontractuelle ».
La victime a donc la liberté de solliciter ces deux sanctions : celle-ci peut agir sur l’un comme sur l’autre des deux fondements, ou sur les deux à la fois.
La possibilité de cumuler ces deux actions met en valeur l’intérêt du dol par rapport à l’erreur spontanée, dépourvue de tout aspect délictuel. Par son intentionnalité, le délit civil que constitue le dol, quelle que soit la forme qu’il emprunte (manœuvres, mensonge ou réticence), caractérise généralement une faute civile justifiant que seule l’erreur provoquée par un comportement dolosif puisse être sanctionnée sur le terrain indemnitaire ce que, faute de malhonnêteté susceptible d’être imputée au cocontractant, l’erreur spontanée ne permet pas d’obtenir (comp., dans le même sens que le dol, le cas d’une annulation pour violence : dès lors que les violences perpétrées pour contraindre le consentement de son cocontractant caractérisent une faute civile imputable à son auteur, ce dernier peut non seulement voir son contrat annulé mais également être condamné à des dommages-intérêts, Civ. 1re, 17 juill. 1967).
L’indépendance de ces actions offre aussi à la victime d’une erreur provoquée la liberté, exclue en cas d’erreur spontanée, de limiter son action à l’engagement de la responsabilité civile de son cocontractant : l’obtention de dommages et intérêts permet ainsi à la partie trompée de bénéficier d’un certain rééquilibrage du contrat même lorsqu’elle en souhaite le maintien mais entend simplement réparer la perte de chance de ne pas avoir contracté ou le plus souvent, de ne pas conclu la vente à des conditions plus avantageuses. Dans ce cas où la victime fait le choix d’agir uniquement en indemnisation, la jurisprudence précise toutefois qu’elle ne peut en principe obtenir réparation que de sa seule perte de chance de ne pas avoir contracté dans de meilleures conditions (Com. 10 juill. 2012, n° 11-21.954 : « Le préjudice réparable d'un cocontractant, qui a fait le choix de ne pas demander l'annulation du contrat, correspond, non à la perte d'une chance de ne pas contracter, mais uniquement à la perte d'une chance d'avoir pu contracter à des conditions plus avantageuses » ; adde, Com. 5 juin 2019, n° 16-10.391) ; cette limite n’existe pas en revanche, lorsque la victime choisit de cumuler les actions en nullité et en responsabilité (V. not .Civ. 3e, 16 mars 2011, n° 10-10.503).
Il est enfin à noter que ce cumul d’actions permet parfois à l’acheteur d’échapper, grâce à la possibilité qui lui est reconnue d’agir subsidiairement en responsabilité civile, d’échapper à la prescription de l’action principale qu’il avait concomitamment engagée (Com. 15 janv. 2002, n° 99-18.774 ; Civ. 1re, 25 juin 2008, n° 07-18.108).
Références
■ Fiches d’orientation Dalloz: Dol
■ Civ. 1re, 4 févr. 1975, n° 72-13.217 P : D.1975.405, note Gaury ; RTD civ. 1975. 537, obs. Durry
■ Com. 15 janv. 2002, n° 99-18.774 P : D. 2002. 2045, obs. V. Brémond ; RTD civ. 2002. 290, obs. J. Mestre et B. Fages ; RTD com. 2002. 265, obs. B. Saintourens
■ Civ. 3e, 23 mai 2012, n° 11-11.796
■ Com. 18 oct. 1994, n° 92-19.390 P: D. 1995. 180, note C. Atias ; RTD civ. 1995. 353, obs. J. Mestre
■ Civ. 1re, 17 juill. 1967, Bull. civ. I : D.1967.509
■ Com. 10 juill. 2012, n° 11-21.954 P : D. 2012. 2772, note M. Caffin-Moi ; ibid. 2013. 391, obs. S. Amrani-Mekki et M. Mekki ; Rev. sociétés 2012. 686, note B. Fages ; RTD civ. 2012. 725, obs. B. Fages ; ibid. 732, obs. P. Jourdain
■ Com. 5 juin 2019, n° 16-10.391 : DAE 25 sept. 2019, note Merryl Hervieu ; D. 2020. 118, obs. E. Lamazerolles et A. Rabreau ; ibid. 353, obs. M. Mekki ; AJ contrat 2019. 402, obs. T. de Ravel d'Esclapon ; Rev. sociétés 2019. 742, note J. Prorok ; RTD civ. 2019. 576, obs. H. Barbier
■ Civ. 3e, 16 mars 2011, n° 10-10.503 P : DAE 4 avr. 2011; D. 2011. 946 ; ibid. 2012. 459, obs. S. Amrani-Mekki et M. Mekki ; AJDI 2012. 220, obs. V. Zalewski
■ Com. 15 janv. 2002, n° 99-18.774 P : D. 2002. 2045, obs. V. Brémond ; RTD civ. 2002. 290, obs. J. Mestre et B. Fages ; RTD com. 2002. 265, obs. B. Saintourens
■ Civ. 1re, 25 juin 2008, n° 07-18.108 P : D. 2008. 1997 ; ibid. 2965, obs. S. Amrani-Mekki et B. Fauvarque-Cosson
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