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[ 10 janvier 2024 ] Imprimer

Droit des obligations

Durée du cautionnement : portée du formalisme de la mention manuscrite

Dans un arrêt rendu le 29 novembre 2023, la chambre commerciale de la Cour de cassation rappelle que sous l’empire du droit antérieur, l’imprécision de la durée exigée dans la mention manuscrite apposée par la caution doit être sanctionnée par la nullité de l’acte, sans pouvoir l’éviter en se référant à d’autres clauses du contrat pour compléter ladite mention. Le droit des sûretés ayant été réformé, la portée de cet arrêt doit cependant être questionnée.

Com. 29 nov.2023, n° 22-17.913

Afin d’assurer l’information de la caution sur la portée et l’étendue de son engagement, le droit ancien subordonnait la validité de certains cautionnements à la présence dans l’acte de cautionnement de mentions particulières écrites de la main de la caution et conformes à des modèles légaux impératifs : ainsi des cautionnements consentis par une personne physique envers un créancier professionnel (C. consom. art. L 331-1L 331-2L 343-1 et L 343-2) ou en garantie d'une opération relevant de la réglementation du crédit à la consommation ou du crédit immobilier (C. consom. artL 314-15L 314-16 et L 341-51-1). Protectrices de la caution personne physique, ces exigences ont toutefois donné lieu à un abondant contentieux en cas de discordance entre la mention portée par la caution et le modèle légal. C’est donc principalement à l’effet de tarir le contentieux (v. not., pour la jurisprudence récente, Com. 5 avr. 2023, n° 21-20.905 ; Com. 25 janv. 2023, n° 21-17.589 ; Com. 6 juill. 2022 n° 20-17.355) que l’ordonnance du 15 septembre 2021 a abrogé les dispositions précitées (Ord. 2021-1192, art. 32) pour leur substituer un régime simplifié, relevant désormais du seul Code civil (art. 2297 nouveau). Ainsi, depuis le 1er janvier 2022, le cautionnement n’encourt plus la nullité dans le cas de l’espèce, concernant la durée de l’engagement, où la caution n’a pas recopié dans l’acte la formule sacramentelle prévue par la loi. Désormais, la caution devra seulement indiquer dans l’acte qu’elle s’engage en qualité de caution à payer au créancier ce que lui doit le débiteur en cas de défaillance de celui-ci, dans la limite d'un montant en principal et accessoires exprimé en lettres et en chiffres.

Rendue sur le fondement du droit antérieur, la solution rapportée n’est pas pour autant obsolète : si depuis la réforme, le contenu de la mention a changé, en sorte que la solution ici retenue ne serait pas transposable au droit actuellement en vigueur, la méthodologie indiquée par la Cour pour apprécier la conformité des nouvelles mentions au droit positif se présente comme un guide utile pour le juge auquel sera soumis la validité, dont les critères restent à définir, des futurs contrats de cautionnement.

Au cas d’espèce, au mépris de la mention manuscrite dictée par l’ancien article L. 341-2 du code de la consommation, un cautionnement solidaire avait été souscrit par deux personnes physiques sans que fût précisée la durée de l’emprunt cautionné. Toutefois, les cautions avaient porté leur engagement dans l’acte de prêt lui-même, qui prévoyait expressément une durée de 84 mois pour le remboursement du prêt cautionné. Après avoir été appelées en paiement, celles-ci avaient argué de la nullité de leur engagement, ce que la cour d’appel approuva motif pris du formalisme légal, exigeant que la durée du cautionnement figurât expressément dans l’acte. Devant la Cour de cassation, la banque créancière reprocha à l’arrêt d’appel de ne pas avoir considéré que la mention manuscrite, indiquant « pour la durée de l’emprunt », suffisait pour satisfaire les exigences de l’ancien article L. 341-2 dans sa rédaction applicable au litige, dans la mesure où la garantie était contenue dans le même acte que le prêt cautionné, dont la durée avait été déterminée (84 mois). Son pourvoi est rejeté, la Cour de cassation refusant de pallier l’omission de la durée du cautionnement en se référant aux autres stipulations du contrat. Ainsi la mention manuscrite devait-elle se suffire à elle-même ce qui, sous l’empire du droit antérieur, se comprend dès lors que cette mention constituait à elle seule l’engagement de la caution. Toutefois, la thèse du pourvoi aurait pu prospérer, l’obligation de préciser la durée de l’engagement de caution ayant fait l’objet d’une jurisprudence contradictoire, alternant entre sanction du non-respect du formalisme et « rattrapage » de la mention irrégulière (v. not. Com. 15 nov. 2017 n° 16-10.504, admettant la validité du cautionnement à durée indéterminée « jusqu'au paiement effectif de toutes les sommes dues »). Il est alors remarquable qu’en l’espèce, malgré une référence faite à la durée de l’engagement de caution (correspondant à celle de l’emprunt), la Cour exclue fermement le report aux autres stipulations de l’acte pour sauver l’imprécision de la clause. 

Révélatrice de la rigueur du formalisme jadis requis, cette solution permet de comprendre le choix du législateur d’abroger les anciennes dispositions du code de la consommation. Désormais, sur le fondement du seul Code civil, la caution devra simplement indiquer dans l’acte, à peine de nullité de celui-ci, qu’elle s’engage en qualité de caution à payer au créancier ce que lui doit le débiteur en cas de défaillance de celui-ci, dans la limite d'un montant en principal et accessoires exprimé en toutes lettres et en chiffres ; en cas de différence, le cautionnement vaudra pour la somme écrite en toutes lettres (C. civ. art. 2297, al. 1 nouveau). Contrairement à celles prévues par le Code de la consommation, la mention de l’article 2297 n’est plus sacramentelle : si ce texte la prescrit à peine de nullité de l’engagement, il ne fait qu’en fixer le contenu sans imposer une formulation donnée. En outre, la caution n’est plus tenue de mentionner la durée de son engagement. La solution ici rendue ne peut donc survivre au nouvel article 2297 du code civil. Malgré cette limite tenant à l’assouplissement de la mention désormais requise, la portée du refus clairement exprimé par la Cour de se référer au contenu global de l’acte doit être soulignée. En effet, après l’entrée en vigueur de la réforme, la question de savoir si le juge pourrait recouvrer la liberté de pallier les éventuelles imprécisions de rédaction des nouvelles mentions en se référant, notamment, aux autres clauses du contrat de cautionnement, s’est légitimement posée. Or au-delà de la durée de l’engagement, la Cour de cassation affiche ici une hostilité certaine à la possibilité de se référer à une clause du contrat afin de compléter la mention qu’impose le législateur. Même rédigée sur le fondement du droit nouveau, la mention devrait encore, pour être valable, concentrer l’information due à la caution. Inchangé, le but de protection de la caution personne physique, qui ne lit pas nécessairement l’intégralité de l’acte cautionné, suppose de conserver cette méthode d’appréciation. Contrairement au principe de la solution d’espèce, cette méthode d’appréciation devrait donc, quant à elle, survivre à la réforme et encadrer ainsi le rôle du juge, bientôt soumis à l’examen des nouvelles mentions élaborées par la pratique sur le fondement de l’article 2297 nouveau du Code civil. Ainsi peut-on prédire le maintien de l’interdiction faite au juge de se référer à un élément extérieur à la mention apposée par la caution pour en comprendre le sens et la portée, malgré l’assouplissement souhaité par le législateur.

Dont acte : les cautionnements antérieurs au 1er janvier 2022 sans mention manuscrite précise sur la durée encourent la nullité. Quant à ceux concernés par le nouvel article 2297 du Code civil, la durée n’étant plus exigée, une certaine souplesse est permise sans que puisse être admise la dilution de l’information de la caution dans diverses stipulations de l’acte.

Références :

■ Com. 5 avr. 2023, n° 21-20.905 DAE, 24 avril 2023, note Merryl Hervieu, D. 2023. 684 ; ibid. 1765, obs. J.-J. Ansault et C. Gijsbers

■ Com. 25 janv. 2023, n° 21-17.589 D. 2023. 172 ; RTD civ. 2023. 143, obs. C. Gijsbers

■ Com. 6 juill. 2022 n° 20-17.355 D. 2022. 1308 ; ibid. 1724, obs. J.-J. Ansault et C. Gijsbers ; RTD civ. 2022. 676, obs. C. Gijsbers

■ Com. 15 nov. 2017 n° 16-10.504 D. 2018. 392, note M.-P. Dumont-Lefrand ; ibid. 1884, obs. P. Crocq ; AJ contrat 2018. 93, et les obs. ; RTD civ. 2018. 179, obs. P. Crocq ; ibid. 184, obs. P. Crocq ; ibid. 199, obs. M. Nicod

 

Auteur :Merryl Hervieu


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