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Droit administratif général
Emprise irrégulière et voie de fait : les apports récents du Tribunal des conflits
Mots-clefs : Voie de fait, Emprise irrégulière, Répartition des compétences, Juge judiciaire, Juge administratif, Tribunal des conflits, Propriété privé, Extinction du droit de propriété, Réparation du préjudice
Lorsqu’une décision de l’autorité administrative porte atteinte à la propriété privée, le juge judiciaire n’est plus compétent pour statuer sur une demande d’indemnisation du préjudice qui en résulte hormis le cas où la décision de l’Administration aurait pour effet l’extinction du droit de propriété.
Les notions jurisprudentielles de voie de fait et d’emprise irrégulière concernent l’atteinte droit de propriété. À la suite de la nouvelle définition de la voie de fait par le Tribunal des conflits (T confl. 17 juin 2013, M. B. c/ Sté ERDF Annecy), le juge des conflits en tire les conséquences sur la répartition traditionnelle des compétences en matière d’emprise irrégulière (T. confl. 9 déc. 2013, Cne de Saint-Palais-sur-Mer).
▪ La nouvelle définition de la voie de fait
Traditionnellement, le juge judiciaire est le juge de la voie de fait.
Celle-ci se réalise selon deux modalités alternatives :
– l'exécution forcée irrégulière d'une décision (T. confl. 2 déc. 1902, Sté immobilière Saint-Just) ;
– ou une décision manifestement insusceptible de se rattacher aux pouvoirs de l'Administration (T. confl. 27 mars 1952, Dame de la Murette).
Avant de redéfinir la voie de fait, le Tribunal des conflits la considérait comme une « atteinte grave à la propriété privée ou à une liberté fondamentale » (T. confl. 19 nov. 2001, Mlle Mohamed).
Cette notion doit maintenant être comprise comme une «atteinte à la liberté individuelle ou aboutissant à l’extinction du droit de propriété » (T confl. 17 juin 2013, M. B. c/ Sté ERDF Annecy).
En conséquence, seule l’atteinte au droit de propriété qui en entraine l’extinction peut constituer une voie de fait.
La notion d’extinction du droit de propriété, en matière immobilière, concerne, par exemple, la démolition d’un immeuble ou la destruction du titre de propriété lui-même lorsque le titre de propriété est indissociable de la situation du bien, ce qui ne vise pas l’instrumentum (par exemple, l’acte de vente) (V. Délvolvé).
Cette nouvelle jurisprudence fait « tomber tout un champ de l'ancienne voie de fait dans la compétence administrative » (V. Délvolvé, préc.). Ainsi, la restriction du champ de la voie de fait (qui concerne maintenant, en droit de la propriété, uniquement l’extinction de ce droit) a donc pour corollaire l’accroissement du champ d’application de l’emprise irrégulière.
▪ Les conséquences de la nouvelle définition de la voie de fait sur la répartition des compétences en matière d’emprise irrégulière
L’emprise irrégulière se caractérise par :
– une atteinte à la propriété immobilière de la part de l’Administration (CE 24 févr. 1971, Sté « Le Crédit industriel de l'Ouest ») ;
– une dépossession du bien immobilier d’un propriétaire, privé de la jouissance de son bien (T. confl. 21 déc. 1923, Sté française des Nouvelles Hébrides) ;
– et une dépossession irrégulière, une mainmise directe de la puissance publique sur la propriété privée immobilière (CE 10 mai 1974, Dame veuve Andry).
Le juge administratif est compétent pour statuer sur le recours en annulation d’une décision d’emprise irrégulière et, le cas échéant, pour adresser des injonctions à l’Administration (en l’absence de dispositions législatives expresses attribuant compétence soit au juge administratif, soit au juge judiciaire).
Toutefois, la jurisprudence considérait que le juge judiciaire était compétent pour statuer sur une demande d’indemnisation du préjudice né d’une emprise irrégulière (T. confl. 6 mai 2002, Épx Binet c/ EDF).
La restriction du champ de compétence de la voie de fait, et par conséquent l’accroissement du champ de l’emprise irrégulière, a conduit le Tribunal des conflits à remettre en cause la distinction des compétences entre les deux ordres de juridictions et à confier au juge administratif la totalité du contentieux de l’emprise irrégulière.
Ainsi, le juge administratif est également compétent pour statuer sur une demande d’indemnisation du préjudice né d’une emprise irrégulière.
L’objectif de ce revirement de jurisprudence a également des conséquences pratiques pour le justiciable. Cela lui permet de demander au même juge, en l’occurrence au juge administratif, de prononcer l’annulation d’une emprise irrégulière et son injonction afin d’y mettre fin mais, également, d’obtenir réparation du préjudice qui en est résulté.
Références
■ T confl. 17 juin 2013, M. B. c/ Sté ERDF Annecy, n° 3911, Dalloz Actu Étudiant 1er juill. 2013 ; RFDA 2013. 1041, note Delvolvé.
■ T. confl. 9 déc. 2013, Cne de Saint-Palais-sur-Mer, n° 3931.
■ T. confl. 2 déc. 1902, Sté immobilière Saint-Just, n° 00543, Lebon 713.
■ T. confl. 27 mars 1952, Dame de la Murette, n° 01339, Lebon 626.
■ T. confl. 19 nov. 2001, Mlle Mohamed, n° 3272, AJDA 2002. 234, note Petit ; D. 2002. 1446, concl. Bachelier.
■ CE 24 févr. 1971, Sté « Le Crédit industriel de l'Ouest », n° 78694, Lebon 153.
■ T. confl. 21 déc. 1923, Sté française des Nouvelles Hébrides, Lebon 871.
■ CE 10 mai 1974, Dame veuve Andry, n° 86118, Lebon 278.
■ T. confl. 6 mai 2002, Épx Binet c/ EDF, n° 3287, Lebon 544; AJDA 2002. 1229, note Sablière.
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