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[ 26 avril 2024 ] Imprimer

Droit de la famille

Enfant victime de crime ou d’agression sexuelle par son parent : principe du retrait de l’autorité parentale

Pour les crimes les plus graves commis par un parent sur la personne de son enfant, la loi du 18 mars 2024 visant à améliorer la protection et l’accompagnement des enfants victimes de violences intrafamiliales érige en principe le retrait de l’autorité parentale et la suspension de plein droit de son exercice durant tout le temps de la procédure pénale. 

Présentée comme la grande cause du quinquennat comme de celui l’ayant précédé, la lutte contre les violences intrafamiliales a donné lieu à la promulgation de plusieurs lois, dont les nombreuses lacunes ont pu être observées. C’est donc à l’effet de compléter et de renforcer l’effectivité des dispositions issues de la loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille, de la loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales, puis de la loi n° 2023-140 du 28 février 2023 créant une aide universelle d’urgence pour les victimes de violences conjugales, que la loi n° 2024-233 du 18 mars 2024 visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales a été publiée au Journal officiel, le 19 mars dernier. 

Complétant les Codes civil et pénal, elle met en lien la commission d’infractions pénales avec l’autorité parentale de l’auteur de l’infraction pour élargir les cas dans lesquels cette autorité et/ou son exercice doit être suspendue ou retirée. Le retrait total et automatique de l’autorité parentale en cas de crime ou d’agression sexuelle incestueuse commis sur la personne de son enfant ou de crime commis sur la personne de l’autre parent constitue l’innovation majeure de ce dispositif essentiellement répressif (sur la pénalisation du droit de la famille, v. A.-S. Laguens, « Articulation des dispositifs de protection pénaux/civils avec un exercice conjoint de l’autorité parentale », AJ fam. 2023. 24 ; J. Léonhard, « La dualité des mesures civiles et pénales dans la lutte contre les violences intrafamiliales : entre symphonie et dissonances », AJ pénal 2024. 68). 

Outre la déchéance de l’autorité parentale, la loi nouvelle modifie amplement les conditions de son exercice par de nouvelles dérogations apportées au principe de coparentalité. Le législateur juge en effet nécessaire de réserver à un seul des père et mère, avant même toute condamnation pénale, l’exercice de l’autorité parentale, voire la jouissance de celle-ci, dont le parent violent pourra désormais se trouver totalement et automatiquement privé. 

Le texte modifie donc à la fois les règles relatives à la titularité de l’autorité parentale (I) mais également celles relatives à son exercice (II).

Modification des règles relatives à la titularité de l’autorité parentale :

La déchéance de l’autorité parentale : le principe :

 

Mesure phare de la nouvelle loi, son article 2 modifie l’article 378 du Code civil pour élargir les cas de déchéance de l’autorité parentale. La loi du 18 mars 2024 rend ainsi automatique le retrait total de l’autorité parentale du parent condamné comme auteur, coauteur ou complice :

-        d’un crime commis sur son enfant ;

-        d’une agression sexuelle incestueuse commise sur son enfant ;

-        d’un crime commis sur l’autre parent.

Concernant les infractions les plus graves, le législateur admet ainsi que les violences intrafamiliales constituent une hypothèse dans laquelle non seulement l’exercice mais, plus drastiquement, la titularité de l’autorité parentale, doit échapper au parent qui s’en rend coupable. 

La nouvelle loi renforce de cette manière le dispositif antérieur ayant prévu la simple faculté du juge de déchoir de son autorité parentale le parent condamné pour avoir commis une infraction sexuelle sur son enfant ou un délit sur l’autre parent, ou encore en cas d’« inconduite notoire ou de comportements délictueux, notamment lorsque l’enfant est témoin de pressions ou de violences, à caractère physique ou psychologiques, exercées par l’un des parents sur la personne de l’autre » (C. civ., art. 378-1). L’évolution majeure réside donc dans l’automaticité nouvelle de la sanction. 

Problématique, cette automaticité justifie cependant que des limites y soient apportées.

 

La déchéance de l’autorité parentale : les limites :

 

Attentatoire au droit à la vie familiale (CEDH, 17 juill. 2012, M. D. et autres c/ Malte, n° 64791/10 : la déchéance automatique et permanente des droits parentaux à la suite d’une condamnation pénale constitue une violation de l’article 8 de la Convention), susceptible de méconnaître le principe d’individualisation des peines (Cons. const. 11 juin 2010, n° 2010-6/7 QPC), la déchéance automatique de l’autorité parentale est, tant sous l’angle de sa conventionnalité que de sa constitutionnalité, problématique. 

Pour cette raison, le juge répressif conserve la possibilité de l’écarter en ordonnant le retrait partiel de l’autorité, ou le retrait total mais de son seul exercice (v. infra, II-B), à la condition de motiver spécialement sa décision (art. 378, 1° nouv. ; art. 2 de la loi ; C. pén., art. 228-1-I ; art. 7 de la loi). 

En outre, il est à noter que le parent à l’encontre duquel ces sanctions sont prononcées peut demander au juge civil de se voir restituer l’autorité parentale ou rétabli dans l’exercice de cette autorité (C. civ., art. 381).

 

Modification des règles relatives à l’exercice de l’autorité parentale :

La suspension de l’autorité parentale :

 

Procédant à une réécriture complète de l’article 378-2 du Code civil, l’article 1er de la loi étend le régime de la suspension provisoire de plein droit de l'exercice de l'autorité parentale réservé, depuis la loi du 28 décembre 2019, au parent poursuivi ou condamné pour un crime commis sur la personne de l’autre parent, aux cas d'agression sexuelle incestueuse ou de crime commis par un parent sur son enfant, dès le stade des poursuites, ce qui couvre le cas d’une mise en examen par le juge d’instruction. 

Le régime de la mesure a également été réformé pour supprimer la durée maximale de six mois jusqu’alors prévue. Désormais, cette suspension dure jusqu’à la fin de l’instance pénale, résultant d’une ordonnance de non-lieu ou d’une décision de la juridiction de jugement, en sorte de ne pas interrompre la procédure en cours. 

La portée de cette mesure doit aussi être soulignée, puisqu’elle couvre les droits de visite et d’hébergement du parent violent, susceptibles d’être suspendus de plein droit dans les conditions de cette nouvelle disposition.

 

Le retrait de l’autorité parentale :

 

Outre la suspension de l’exercice de l’autorité parentale, pour les crimes les plus graves (crime ou agression sexuelle sur l’enfant, crime sur l’autre parent), le retrait total de l’exercice de l’autorité parentale devra, à défaut du retrait de sa jouissance, être prononcée à l’encontre du parent condamné comme auteur, coauteur ou complice d’un crime commis sur son enfant ou sur l’autre parent ; d’une agression sexuelle commise sur son enfant. 

Dans ce cas, le père ou la mère qui n’exerce plus son autorité parentale conserve toutefois la titularité de celle-ci (maintien des droits de visite et d’hébergement, du droit de pourvoir à l’éducation et à l’entretien de l’enfant).

Mais là encore, par décision spécialement motivée, le juge garde la possibilité de ne pas prononcer cette sanction.

 

La délégation de l’autorité parentale :

 

Récemment élargi à l’hypothèse d’une atteinte au droit de l’image de l’enfant (v. Point sur la loi n° 2024-120 du 19 février 2024 visant à garantir le respect du droit à l’image des enfants, DAE, 14 mars 2024), la loi prévoit dans un but commun de protection de l’enfant en danger un nouveau cas de délégation forcée, partielle ou totale, de l’exercice de l’autorité parentale en cas de violences intrafamiliales (C. civ., art. 377 modifié). 

Cette mesure de transfert de l’autorité parentale est désormais admise en cas de poursuite, de mise en examen ou de condamnation, même non définitive, du parent ayant commis un crime ou une agression sexuelle sur son enfant, alors qu’il est seul titulaire de l’autorité parentale (art. 3 de la loi). Son consentement n’est pas nécessaire en sorte que son opposition ne peut faire échec à la délégation de son autorité.

Désormais, la loi permet ainsi aux tiers autorisés (le particulier, les services sociaux départementaux d’aide à l’enfance ou un membre de la famille) de demander au tribunal de leur déléguer totalement ou partiellement l’autorité parentale dans ce cas spécifique qui s’ajoute aux trois cas antérieurement consacrés de délégation forcée, soit le désintérêt manifeste des parents, l’incapacité de ces derniers à exercer tout ou partie de l’autorité parentale et la poursuite ou la condamnation d’un parent pour un crime ayant entraîné la mort de l’autre parent.

Références :

■ CEDH, 17 juill. 2012, M. D. et autres c/ Malte, n° 64791/10 AJ fam. 2012. 549, obs. M. Rouillard

■ Cons. const. 11 juin 2010, n° 2010-6/7 QPC : AJDA 2010. 1172 ; ibid. 1831, note B. Maligner ; ibid. 1849, tribune B. Perrin ; D. 2010. 1560, obs. S. Lavric ; ibid. 2732, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé et S. Mirabail ; ibid. 2011. 1713, obs. V. Bernaud et L. Gay ; AJ pénal 2010. 392, obs. J.-B. Perrier ; Constitutions 2010. 453, obs. R. Ghevontian ; ibid. 2011. 531, obs. A. Darsonville ; RSC 2011. 182, obs. B. de Lamy ; RTD com. 2010. 815, obs. B. Bouloc

 

Auteur :Merryl Hervieu

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