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Procédure pénale
Enregistrement des audiences : précisions autour du champ d’application ratione temporis de l’article 38 ter de la loi sur la liberté de la presse dont le contenu n’est toujours pas de nature à porter atteinte à la liberté d’expression
La Cour de cassation prend acte de la QPC portant sur l’article 38 ter de la loi du 29 juillet 1881 et confirme que les interdictions d’enregistrement des audiences contenues au sein de ce dernier ne sont pas de nature à porter une atteinte excessive à la liberté d’expression. La Cour affine et précise également le champ d’application ratione temporis de ces dispositions qui s’étendent au-delà de l’audience et doivent s’appliquer également pendant les périodes de suspension de l’audience.
Des photographies ont été prises à l’audience de la cour d’assise sur lesquelles l’on peut voir certains témoins, l’un des accusés ainsi que ses avocats. Ces photos ont été publiées sur le compte twitter de l’hebdomadaire Paris-Match, sur le site de cette même revue ainsi que dans le magazine lui-même. Mme L, directrice de publication, est poursuivie pour publication d’enregistrement sonore ou visuel effectué sans autorisation à l’audience d’une juridiction sur le fondement de l’article 38 ter de la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881. Selon ce dernier, est puni de 4 500 euros d’amende l’emploi de tout appareil permettant d’enregistrer, fixer ou transmettre la parole ou l’image d’une audience tenue par les juridictions administratives ou judiciaires. La publication de tout enregistrement ou document obtenu en violation de ces dispositions est punie des mêmes peines.
Le tribunal correctionnel condamne Mme L. qui interjette appel de ce jugement confirmé par la cour d’appel de Paris. La cour d’appel se prononce dans un premier temps sur la question de la proportionnalité de l’ingérence opérée par la prohibition de l’article 38 ter dans les droits garantis par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme attachés à la liberté d’expression, de communication et de liberté d’opinion.
Pour condamner Mme L., la cour d’appel relève que si le public a un intérêt légitime à recevoir des informations relatives aux procédures pénales, ce dernier doit être mis en balance avec divers intérêts en présence. Il en va notamment de la sérénité des débats ainsi que du droit à l’image des parties concernées qui doit être préservé dans l’enceinte judiciaire. Les juges du fond ajoutent que l’information du public était garantie et assurée par le maintien du libre accès à l’audience ainsi que par la publication des comptes rendus des débats et dessins d’audience. Dès lors, l’ingérence dans les droits garantis par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme ne saurait être regardée comme disproportionnée.
Il est avancé, au soutien du pourvoi, que l’infraction prévue à l’article 38 ter de loi du 29 juillet 1881, fondement des poursuites, serait contraire à la liberté de communication garantie par la Constitution.
En effet, la répression de l’emploi d’appareil destiné à capter, enregistrer, fixer ou transmettre la parole ou l’image dès l’ouverture de l’audience des juridictions administratives ou judiciaires porte une atteinte à la fois non nécessaire, non adaptée mais également disproportionnée à la liberté de communication. Il y aurait dès lors lieu de renvoyer une question prioritaire de constitutionnalité de sorte à ce que le Conseil constitutionnel vérifie la conformité de ces dispositions aux garanties constitutionnelles notamment celles des articles 5, 8 et 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Par ailleurs, le moyen du pourvoi développe l’argument selon lequel les restrictions légales à la liberté d’expression et au droit du public à recevoir des informations relatives aux procédures pénales doivent être strictement destinées à assurer la protection des droits et de garantir l’impartialité du pouvoir judiciaire. En l’espèce, les circonstances de publication et de diffusion des photos litigieuses n’avaient, ni porté atteinte excessive au droit à l’image, ni même eu une quelconque influence sur le cours du procès pénal.
Dès lors, en ne jugeant pas la répression de la diffusion des images disproportionnée, la cour d’appel a violé les textes susvisés.
Enfin, la cour d’appel aurait dépassé le champ d’application de l’infraction en cause. En effet, cette dernière étend son champ d’application « dès l’ouverture de l’audience des juridictions ».
En l’espèce, la photographie semble avoir été prise au cours d’une interruption d’audience et serait dès lors, en dehors du champ d’application de l’article 38 ter susvisé.
La Cour de cassation se prononce sur les deux premières branches du moyen relatives à la disproportion de l’atteinte portée à la liberté d’expression. Elle rejette le pourvoi estimant, à l’instar de la cour d’appel, que le droit à la liberté d’expression ainsi que celui à la circulation de l’information peuvent revêtir certaines tempérances. Aussi, l’interdiction prévue à l’article 38 ter de la loi du 29 juillet 1881 « constitue une mesure nécessaire, dans une société démocratique, à garantir la sérénité et la sincérité des débats judiciaires, qui conditionnent la manifestation de la vérité et contribuent ainsi à l’autorité et à l’impartialité du pouvoir judiciaire ».
La Cour de cassation, pour écarter le premier grief, prend également le soin de rappeler la décision n° 2019-817 QPC du 6 décembre 2019 par laquelle le Conseil constitutionnel, dans cette même affaire, avait eu à se prononcer sur la constitutionnalité de l’article litigieux. Il relevait alors que « l’atteinte à l’exercice de la liberté d’expression et de communication qui résulte des dispositions contestées est nécessaire, adaptée et proportionné aux objectifs poursuivis ». Dès lors, les dispositions de l’article 38 ter ne sauraient se révéler contraire à l’article 11 de la Déclaration de 1789.
Quant à la question du champ d’application temporel de l’interdiction, la Cour de cassation refuse de considérer l’argument du pourvoi et s’accorde, là également, avec l’arrêt rendu par la cour d’appel. A ce titre, la Cour de cassation considère que l’accusé ainsi que ses avocats qui figurent sur les clichés ne pouvaient s’attendre à faire l’objet de photographies alors qu’ils se trouvaient dans une salle d’audience, bénéficiant de la protection accordée par l’interdit de l’article 38 ter ; de sorte, « doit être sanctionnée l’atteinte faite à l’image de l’accusé pendant l’attente du verdict alors qu’il importe de garder à l’enceinte judiciaire son caractère préservé ». Ratione temporis l’article s’étend donc au-delà de l’audience si bien que « l’interdiction instituée par l’article 38 ter précité, qui commence dès l’ouverture de l’audience et se prolonge jusqu’à ce que celle-ci soit levée, s’applique pendant les périodes de suspension de l’audience ».
Crim. 24 mars 2020, n° 19-81.769
Références
■ Convention européenne des droits de l’homme
Article 10 « Liberté d'expression. 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations.
« 2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. »
■ Cons. const. 6 déc. 2019, n° 2019-817 QPC : Dalloz Actu Étudiant, 30 janv. 2020, obs. S. Lavric ; Dalloz. actu. 6 janv. 2020, obs. A. léon ; AJDA 2019. 2521 ; D. 2019. 2355; AJ pénal 2020. 76, étude C. Courtin ; Légipresse 2019. 666 ; ibid. 2020. 118, étude E. Derieux ; ibid. 127, chron. E. Tordjman, G. Rialan et T. Beau de Loménie
■ CEDH 21 sept. 2017, Axel Springer c/ Allemagne, n° 51405/12 : Dalloz. Actu., 1er oct. 2017, obs. S. Lavric ; Constitutions 2012. 645, obs. D. de Bellescize ; RTD. civ. 2012, p. 279, obs. J.-P. Marguénaud.
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