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[ 7 juillet 2020 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

État d’urgence sanitaire : pas d’autorisation pour manifester et confirmation de l’interdiction des rassemblements de plus de 5000 personnes

Des dispositions réglementaires qui interdisent toute manifestation tant que le préfet ne l’a pas autorisée portent une atteinte disproportionnée à la liberté de manifester.

Après avoir suspendu l’interdiction générale et absolue de manifester prévue à l’article 3 du décret du 31 mai 2020 interdisant les rassemblements de plus de dix personnes dans l’espace public (CE, réf., 13 juin 2020, n°s 440846, 440856, 441015), le juge des référés du Conseil d’État vient une nouvelle fois d’être saisi par divers requérants qui demandaient la suspension des dispositions du I et II bis de l’article 3 du décret n° 2020-663 du 31 mai 2020 modifié par les décrets des 14 et 21 juin 2020. Ils estimaient que ces dispositions portaient une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de manifester, à la liberté de réunion et au droit d’expression collective des idées et des opinions en ce que le pouvoir réglementaire ne pouvait substituer un régime d’autorisation au régime de déclaration préalable prévu par l’article L. 211-1 du code de la sécurité intérieure, auquel il est contraire. Ils soutenaient également que ces dispositions portaient à la liberté de manifester une atteinte qui n’est ni nécessaire, ni adaptée, ni proportionnée.

L’article L. 3131-15 du Code de la santé publique dispose, dans sa rédaction issue de la loi du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire , que : « I. - Dans les circonscriptions territoriales où l'état d'urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique :/ (…) 6° Limiter ou interdire les rassemblements sur la voie publique ainsi que les réunions de toute nature ; (…) III. - Les mesures prescrites en application du présent article sont strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires. ». C’est dans ce cadre qu’ont été prises des dispositions litigieuses. 

Que prescrivent ces dispositions litigieuses ?

Aucun rassemblement de plus de 10 personnes n’est autorisé. Toutefois, les rassemblements, réunions ou activités sur la voie publique ou dans un lieu ouvert au public sont autorisés par le préfet lorsque les conditions de leur organisation sont propres à garantir le respect des gestes barrières. Les organisateurs de la manifestation doivent adresser au préfet la déclaration prévue par les dispositions de l'article L. 211-2 du Code de la sécurité intérieure, dans les conditions fixées à cet article. Cette déclaration tient lieu de demande d'autorisation.

Quel est le problème posé par les dispositions litigieuses ?

Les dispositions litigieuses obligent donc les organisateurs d’une manifestation à demander au préfet une autorisation avant d’organiser une manifestation sur la voie publique, or le régime normal est une déclaration préalable par les organisateurs et non une demande d’autorisation (CSI, art. L. 211-2). Ces dispositions ne prévoient pas non plus de délai pour que le préfet rende une décision, ce qui peut empêcher les organisateurs de saisir le juge en temps utile.

Ainsi, le juge des référés du Conseil d’État estime que « le pouvoir réglementaire a superposé la procédure d’autorisation qu’il a instituée, en l’absence de laquelle toute manifestation de plus de dix personnes est interdite, à la procédure de déclaration prévue par le code de la sécurité intérieure, en vertu de laquelle toute manifestation déclarée est libre en l’absence de décision d’interdiction prise par l’autorité de police. Il résulte de cette superposition qu’aussi longtemps que le préfet ne s’est pas prononcé sur la demande d’autorisation dont il est réputé être saisi par le dépôt de la déclaration, la manifestation demeure en principe interdite, …, sans cependant, en l’absence de tout délai fixé au préfet pour prendre une décision, même implicite, sur la demande d’autorisation, qu’un recours utile soit assuré avant la date de la manifestation devant le juge administratif ».

L’exécution des dispositions du I et du II bis de l’article 3 du décret du 31 mai 2020 est donc suspendue en tant qu’elles s’appliquent aux manifestations sur la voie publique soumises à l’obligation d’une déclaration préalable en vertu de l’article L. 211-1 du code de la sécurité intérieure.

Par ailleurs, les requérants demandaient également la suspension du V de l’article 3 du décret du 31 mai 2020 qui prévoit, qu’aucun événement de plus de 5 000 personnes ne peut se dérouler sur le territoire de la République jusqu’au 31 août 2020.

Le juge des référés du Conseil d’État a rejeté cette demande. En effet, la situation épidémiologique nationale ne permet pas encore d’autoriser des manifestations comprenant plus de 5000 participants. Il n’est donc pas porté à la liberté de manifester une atteinte qui serait disproportionné. 

CE, réf., 6 juillet 2020, n°s 441257, 441263, 441384

Référence

■ CE, réf., 13 juin 2020, n°s 440846, 440856, 441015 : Dalloz Actu Étudiant, 19 juin 2020, note C. de Gaudemont ; AJDA 2020. 1198 ; D. 2020. 1303.

 

Auteur :Christelle de Gaudemont


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