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[ 28 septembre 2018 ] Imprimer

Droit de la famille

Évolution de la filiation : quelles conséquences sur le nom ?

L’anéantissement d’un lien de filiation n’emporte le changement de nom de l’enfant que sous réserve d’obtenir son consentement, à la condition que l’enfant soit majeur à la date du jugement modifiant son lien de filiation.

Née le 6 juin 1995, un enfant avait été reconnu, le 9 septembre 2003, par celui qui, peu de temps après, allait devenir le mari de sa mère. Après leur divorce prononcé en 2012, l’ancien conjoint avait demandé l’annulation de son acte de reconnaissance ainsi que la reprise, par l’enfant, du nom de sa mère. Pour dire que l'enfant devait cesser de porter le nom de l’ancien mari de sa mère et reprendre le nom patronymique de celle-ci, la cour d’appel retint que la majorité s'apprécie à la date d'introduction de l'action en annulation de la reconnaissance, de sorte que le consentement de l’enfant, mineur lors de la saisine de la juridiction, n'était pas requis, bien qu'il ait atteint l'âge de la majorité lors du prononcé de la décision. Au visa de l'article 61-3, alinéa 2, du Code civil, la Cour de cassation, après avoir affirmé que la modification du lien de filiation n'emporte le changement du nom de l'enfant majeur que sous réserve de son consentement, reproche aux juges du fond d’avoir violé le texte susvisé dès lors que l’enfant, majeur à la date du jugement modifiant son lien de filiation, devait consentir au changement de son nom, qui en était la conséquence. 

Par principe invariable, le nom de famille, en raison des liens étroits qui l’unissent à la filiation, peut être modifié en fonction des évolutions qui influencent celle-ci. En particulier, les modifications apportées aux liens de filiation sont susceptibles de conduire au changement du nom de famille de l’enfant. Celui-ci peut ainsi être modifié non seulement en cas d’instauration d’un nouveau lien de filiation mais également, comme en témoigne la décision rapportée, lorsqu’une filiation antérieurement établie se trouve anéantie. Lorsqu’un lien de filiation a été contesté avec succès, il disparaît de façon rétroactive, en sorte qu’il est censé n’avoir jamais existé. L’enfant devrait, en conséquence, être privé du nom attribué par celui ou celle dont la paternité ou la maternité est remise en cause. 

Cependant, pour préserver le droit de regard de l’enfant sur ce qui définit tout autant son existence filiale que son identité individuelle, le législateur empêche de rendre systématique la modification du nom consécutive au changement de sa filiation en exigeant le consentement de l’enfant. Ainsi, l’article 61-3 dispose-t-il dans un premier alinéa que « (t)out changement de nom de l’enfant de plus treize ans nécessite son consentement personnel lorsque ce changement ne résulte pas de l’établissement ou d’une modification d’un lien de filiation ». Il résulte a contrario de cette disposition que lorsqu’un changement de nom est consécutif à l’établissement ou à la modification d’un lien de filiation, le consentement des enfants n’est pas exigé dès l’âge de treize ans. Le seuil est rehaussé à leur majorité, ce que prévoit expressément le second alinéa du texte (« L’établissement ou la modification du lien de filiation n’emporte cependant le changement du nom de famille des enfants majeurs que sous réserve de leur consentement »). 

Quoique plus sévère que la première, cette seconde règle implique tout de même que lorsque la paternité d’un adulte est anéantie, l’enfant, à la condition d’être majeur, ne peut être contraint à abandonner le nom de son ex-père et à prendre celui de sa mère : une telle modification suppose son accord (Civ. 1re, 27 nov. 2001, n° 00-12.012). Et pour tempérer la rigueur de cette règle de la majorité, les juges font le choix de se placer à la date du jugement modifiant le lien de filiation plutôt qu’à celle, dont l’antériorité réduit les chances de l’enfant d’avoir atteint l’âge requis, de la date d’introduction de l’action.

Il est à noter que même lorsque l’enfant est mineur, il n’est pas exclu qu’il puisse être autorisé à conserver le nom de son parent déchu si ce maintien est conforme à son intérêt supérieur (Conv. relative aux droits de l’enfant, art. 3, 1 ; V. Civ. 1re, 17 mars 2010, n° 08-14.619).

Il convient enfin d’ajouter que même lorsqu’il ne trouve pas sa cause dans une modification du lien de filiation, le changement de nom est souvent motivé par des considérations liées à celle-ci. Rappelons que toute personne justifiant d’un intérêt légitime peut demander à changer de nom (C. civ., art. 61). Si cet intérêt légitime répond à des causes diverses, telles que la volonté d’abandonner un nom à la consonance ridicule ou étrangère, dans bien des cas, ce sont des considérations liées à la filiation et plus généralement à l’ascendance qui fondent la modification sollicitée : en effet, le changement de nom est assez fréquemment demandé à l’effet de revendiquer ou, au contraire, de rejeter un lien de parenté. Ainsi peut-il être sollicité dans le but d’éviter l’extinction du nom porté par un ascendant, ou par un collatéral du demandeur jusqu’au quatrième degré (C. civ., art. 61, al. 2), ou encore par le souhait d’hériter d’un nom illustre porté dans un cercle de la famille de l’auteur de la requête (CE 24 mai 2006, n° 280372). A contrario, la demande peut être justifiée par le besoin impérieux de rejeter symboliquement un parent défaillant par le fait de ne plus porter son nom (CE 31 janv. 2014, n° 362444, l’homme ayant transmis son nom à ses enfants les avait abandonnés, cessé de les fréquenter et refusé de contribuer à leur entretien) ou violent (CE 4 déc. 2009, n° 309004, violée par son père, la jeune fille avait été autorisée à délaisser le nom de celui-ci pour prendre celui de sa mère ; Sur l’ensemble de ces questions, V. J. Garrigue, Droit de la famille, Dalloz, Coll. Hypercours, n° 878 s.).

Civ. 1re, 5 sept. 2018, n° 17-21.140

Références

■ Fiche d’orientation Dalloz: Nom de famille

■ Civ. 1re, 27 nov. 2001, n° 00-12.012 P : D. 2002. 2019, obs. F. Granet ; AJ fam. 2002. 66 ; RTD civ. 2002. 71, obs. J. Hauser.

■ Civ. 1re, 17 mars 2010, n° 08-14.619 P : D. 2010. 892 ; ibid. 1442, obs. F. Granet-Lambrechts ; AJ fam. 2010. 239, obs. S. Milleville ; RTD civ. 2010. 521, obs. J. Hauser.

■ CE 24 mai 2006, n° 280372 B : RTD civ. 2006. 534, obs. J. Hauser.

■ CE 31 janv. 2014, n° 362444 A : Dalloz Actu Étudiant, 12 févr. 2014 ;  AJDA 2014. 253 ; D. 2014. 1171, obs. F. Granet-Lambrechts ; AJ fam. 2014. 196, obs. C. Doublein ; RFDA 2014. 387, concl. X. Domino ; RTD civ. 2014. 332, obs. J. Hauser.

■ CE 4 déc. 2009, n° 309004 B : AJDA 2009. 2323 ; AJ fam. 2010. 36, obs. I. Gallmeister ; RTD civ. 2010. 297, obs. J. Hauser.

■ Convention internationale relative aux droits de l’enfant (1989)

Article 3

« 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. »

 

Auteur :M. H.


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