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[ 15 octobre 2018 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

GPA : la Cour de cassation s’interroge !

La Cour de cassation adresse à la Cour européenne des droits de l’homme une demande d’avis consultatif quant à la transcription, pour l’instant refusée, d’un acte de naissance d’un enfant issu d’une GPA conclue à l’étranger, en ce qu’il désigne la « mère d’intention », indépendamment de toute réalité biologique.

La gestation pour autrui (GPA) désigne le fait pour une femme de porter un enfant pour le compte d’un couple. Elle implique donc en principe trois groupes d’intéressés : le couple parental, désigné sous le vocable « les parents d’intention », « la mère de substitution », ou mère porteuse, et l’enfant. Ce schéma connaît de surcroît différentes déclinaisons : le couple y ayant recours peut être homosexuel ou hétérosexuel et dans cette dernière hypothèse, une distinction doit être faite selon que l’embryon qui sera dans tous les cas porté par une femme tierce au couple est issu des gamètes de l’homme et de la femme composant ce couple ou bien des gamètes de l’homme du couple et de l’ovule d’une autre femme donneuse. 

L’Assemblée plénière de la Cour de cassation était saisie par la Cour de réexamen des décisions civiles de deux demandes de réexamen des pourvois en cassation posant la question de la transcription d’actes de naissance établis à l’étranger pour des enfants nés de mères porteuses à la suite de la conclusion avérée ou suspectée d’une convention de GPA.

A l’origine, ces pourvois avaient donné lieu à deux arrêts de la Cour de cassation refusant la transcription des actes de naissance établis à l’étranger au motif que toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle en vertu de l’article 16-7 du Code civil et que l’acte étranger est en contrariété avec la conception française de l’ordre public international (Civ. 1re, 6 avr. 2011, n° 10-19.053 et Civ. 1re, 13 sept. 2013, n° 12-30.138). 

A la suite de ces deux affaires, la Cour européenne des droits de l’homme avait condamné la France pour violation de l’article 8 de la Convention (CEDH 26 juin 2014, Mennesson c/ France, n° 65192/11 et CEDH 21 juill. 2016, Foulon et Bouvet c/ France, n° 9063/14 et 10410/14). Elle avait considéré que le refus de transcription de l’acte de naissance de ces enfants affectait significativement le droit au respect de leur vie privée et posait une question grave de compatibilité de cette situation avec l’intérêt supérieur de l’enfant. La Cour avait également estimé que cette analyse prenait un relief particulier lorsque l’un des parents d’intention était également le géniteur de l’enfant. Elle en avait déduit qu’en faisant obstacle tant à la reconnaissance qu’à l’établissement en droit interne de leur lien de filiation à l’égard de leur père biologique, l’État français était allé au-delà de ce que lui permettait sa marge d’appréciation. 

La Cour de cassation a tiré les conséquences de cette condamnation en modifiant assez radicalement sa position. Par deux arrêts rendus en assemblée plénière le 3 juillet 2015 (n° 14-21.323 et 15-50.002), elle a jugé que l’existence d’une convention de GPA ne faisait pas nécessairement obstacle à la transcription d’un acte de naissance établi à l’étranger dès lors qu’il n’est ni irrégulier ni falsifié et que les faits qui y sont déclarés correspondent à la réalité de la conception réalisée. 

A la suite de cette jurisprudence, la première chambre civile a jugé, par deux arrêts du 5 juillet 2017 (n° 15-28.597, 16-16.901 et 16-50.025), que viole l’article 47 du Code civil et l’article 8 de la Convention l’arrêt qui refuse la transcription de l’acte de naissance étranger en ce qu’il désigne le père, alors qu’il résulte des données de fait, d’un acte ou d’un jugement étranger, que le patrimoine génétique du père a été utilisé mais qu’en revanche, concernant la désignation de la mère dans les actes de naissance, la réalité, au sens de cet article 47, est la réalité de l’accouchement et qu’ainsi, en fait une exacte application, sans porter une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de l’enfant, la cour d’appel qui refuse la transcription de la filiation maternelle d’intention.

Procédant à un contrôle de conventionnalité, la Cour de cassation confirmait ainsi l’évolution de sa jurisprudence en la matière, à la lumière de l’analyse européenne : le recours à la GPA ne fait plus obstacle en soi à la transcription d’un acte de naissance étranger, ni à l’établissement de la filiation paternelle. Par ailleurs, le refus de transcription de la filiation maternelle d’intention, en ce qu’il poursuit le but légitime de protéger l’enfant comme la mère porteuse et vise à décourager cette pratique prohibée par la loi française, ne porte pas ainsi une atteinte disproportionnée au respect de la vie privée et familiale des enfants, dont l’accueil au sein du foyer parental que permet l’octroi de leur nationalité française (C. civ., art. 18 : « Est français l’enfant dont l’un des parents au moins est français ») n’est pas remis en cause par les autorités nationales. Enfin, opérant un revirement de jurisprudence, elle a admis le recours à l’adoption entre les enfants et l’épouse du père qui permet, si les conditions légales en sont réunies et si elle est conforme à l’intérêt de l’enfant (C. civ., art. 353), de créer un lien de filiation à l’égard de la mère d’intention.

Interrogée au surplus, par un arrêt du 16 février 2018 rendu par la Cour de réexamen des décisions civiles, sur la nécessité, au regard de l’article 8 de la Convention, d’une transcription des actes de naissance en ce qu’ils désignent la « mère d’intention », indépendamment de toute réalité biologique, la Cour de cassation a estimé que l’étendue de la marge d’appréciation dont disposent les États parties à cet égard demeure incertaine au regard de la jurisprudence de la Cour européenne. Elle a donc décidé de surseoir à statuer sur les mérites du pourvoi et d’adresser à la Cour une demande d’avis consultatif, appliquant ainsi pour la première fois le Protocole n° 16 à la Convention, entré en vigueur le 1er août 2018 et dont l’objectif premier est d’instaurer un dialogue efficace entre les juges européens et nationaux.

La demande d’avis consultatif porte sur les questions suivantes : 

1°) En refusant de transcrire sur les registres de l’état civil l’acte de naissance d’un enfant né à l’étranger à l’issue d’une GPA en ce qu’il désigne comme étant sa « mère légale » la « mère d’intention », alors que la transcription de l’acte a été admise en tant qu’il désigne le « père d’intention », père biologique de l’enfant, un État excède-t-il la marge d’appréciation dont il dispose au regard de l’article 8 de la Convention ? A cet égard, y a-t-il lieu de distinguer selon que l’enfant est conçu ou non avec les gamètes de la « mère d’intention » ?

2°) Dans l’hypothèse d’une réponse positive à l’une des deux questions précédentes, la possibilité pour la mère d’intention d’adopter l’enfant de son conjoint, père biologique, ce qui constitue un mode d’établissement de la filiation à son égard, permet-elle de respecter les exigences de l’article 8 ?

Il est permis de penser, à la lumière de l’argumentation qu’elle a notamment développée dans l’arrêt précité du 26 juin 2014, que la Cour européenne sera d’avis de faire droit aux demandes de transcription de la filiation maternelle des mères d’intention ayant donné leurs gamètes. En effet, les juges européens avaient insisté, pour justifier le droit des pères à voir leur filiation établie, sur cette dimension biologique, au point de qualifier la filiation biologique d’ « élément de l’identité de chacun » et même de « substance de l’identité » de l’enfant. Dès lors, il est peu probable qu’ils confortent la position française qui refuse de reconnaître comme mère biologique la femme qui, bien qu’elle n’ait pas porté l’enfant, a néanmoins donné ses gamètes pour le concevoir. On peut toutefois s’étonner que les juges, même européens, consacrent ce lien entre biologie et filiation, dont l’évidence ne doit toutefois pas exclure qu’il puisse être rompu, sauf à nier aux enfants adoptés plénièrement, à ceux nés d’un accouchement anonyme ou bien encore à ceux issus d’un don de sperme, tous étant dans l’ignorance, pleine ou partielle, de leur filiation biologique, la possibilité de se construire en tant qu’individus, de percevoir, une fois devenus adultes, ce qui constitue leur identité au seul motif qu’ils ont été, à l’origine, privés d’« identité » génétique. A trop la répandre, cette conception, qui mériterait en outre d’être psychanalytiquement vérifiée, pourrait bien porter atteinte à l’intérêt de l’enfant que l’on entend pourtant protéger.

Il est toutefois à noter, concernant l’adoption, que la loi française facilite l’adoption de l’enfant du conjoint, quelles que soient les modalités de la conception de ce dernier, ce qui pourrait permettre de compenser le refus de transcription pour l’heure opposé aux mères d’intention. Ainsi, la condition posée à l’article 343-2 du Code civil, qui prévoit que l’adoptant doit être âgé de plus de vingt-huit ans, ne s’applique pas dans ce cas. Il en est de même de la condition exigée par l’article 348-5 concernant l’adoption d’un enfant de moins de deux ans, selon laquelle ce dernier doit avoir été effectivement remis à l’aide sociale à l’enfance. Par ailleurs, la différence d’âge exigée entre l’adoptant et l’adopté est de dix ans, au lieu de quinze dans le régime de droit commun. La loi a également aménagé les effets de cette adoption plénière spécifique. En effet, le second alinéa de l’article 356 du Code civil prévoit que l’adoption de l’enfant du conjoint laisse subsister sa filiation d’origine à l’égard de ce conjoint et de sa famille et produit, de surcroît, les effets d’une adoption par les deux époux. Enfin, depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 4 juillet 2005, l’article 310 du Code civil pose le principe selon lequel « tous les enfants dont la filiation est légalement établie ont les mêmes droits et les mêmes devoirs dans leurs rapports avec leur père et mère ».

« Il y aurait des femmes de peine pour la grossesse comme pour l’allaitement. On louerait des ventres comme des appartements. … Ainsi donc se constituerait, conformément au principe moderne de la division du travail, le personnel de la fonction maternelle: une femme pour la gestation, une femme pour l’allaitement, une femme pour l’éducation et la mère pour tout le reste. » (Dr Victor Meunier, Excentricités physiologiques, 1889)…

Cass., ass. plén., 5 oct. 2018, n° 10-19.053

Cass., ass. plén., 5 oct. 2018, n° 12-30.138

Références

■ Fiches d’orientation Dalloz : Adoption simple Adoption plénière

■ Convention européenne des droits de l’homme

Article 8

« Droit au respect de la vie privée et familiale.   1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

  2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »

■ Civ. 1re, 6 avr. 2011, n° 09-17.130 P, 10-19.053 P et 09-66.486 P: D. 2011. 1522, note D. Berthiau et L. Brunet ; ibid. 1001, édito. F. Rome ; ibid. 1064, entretien X. Labbée ; ibid. 1585, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 1995, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; ibid. 2012. 308, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; ibid. 1033, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 1228, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2011. 262 ; ibid. 265, obs. B. Haftel ; ibid. 266, interview M. Domingo ; AJCT 2011. 301, obs. C. Siffrein-Blanc ; Rev. crit. DIP 2011. 722, note P. Hammje ; RTD civ. 2011. 340, obs. J. Hauser.

■ Civ. 1re, 13 sept. 2013, n° 12-30.138 P : Dalloz Actu Étudiant3 oct. 2013 ;  D. 2013. 2382, obs. I. Gallmeister ; ibid. 2349, chron. H. Fulchiron et C. Bidaud-Garon ; ibid. 2377, avis C. Petit ; ibid. 2384, note M. Fabre-Magnan ; ibid. 2014. 689, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 954, obs. REGINE ; ibid. 1059, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; ibid. 1171, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 1516, obs. N. Jacquinot et A. Mangiavillano ; ibid. 1787, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; AJ fam. 2013. 579, obs. F. Chénedé ; ibid. 532, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; ibid. 600, obs. C. Richard et F. Berdeaux-Gacogne ; AJCT 2013. 517, obs. R. Mésa ; Rev. crit. DIP 2013. 909, note P. Hammje ; RTD civ. 2013. 816, obs. J. Hauser.

■ CEDH 26 juin 2014, Mennesson c/ France, n° 65192/11 : AJDA 2014. 1763, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2014. 1797, note F. Chénedé ; ibid. 1773, chron. H. Fulchiron et C. Bidaud-Garon ; ibid. 1787, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; ibid. 1806, note L. d'Avout ; ibid. 2015. 702, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 755, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; ibid. 1007, obs. REGINE ; ibid. 1056, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2014. 499, obs. B. Haftel ; ibid. 396, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RDSS 2014. 887, note C. Bergoignan-Esper ; Rev. crit. DIP 2015. 1, note H. Fulchiron et C. Bidaud-Garon ; ibid. 144, note S. Bollée ; RTD civ. 2014. 616, obs. J. Hauser ; ibid. 835, obs. J.-P. Marguénaud.

■ CEDH 21 juill. 2016, Foulon et Bouvet c/ France, n° 9063/14 et 10410/14 : D. 2016. 2152, note A.-B. Caire ; AJ fam. 2016. 407, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RTD civ. 2016. 819, obs. J. Hauser.

■ Cass., ass. plén., 3 juill. 2015, n° 14-21.323 P et 15-50.002 P : D. 2015. 1819, obs. I. Gallmeister, note H. Fulchiron et C. Bidaud-Garon ; ibid. 1481, édito. S. Bollée ; ibid. 1773, point de vue D. Sindres ; ibid. 1919, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; ibid. 2016. 674, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 857, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 915, obs. REGINE ; ibid. 1045, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2015. 496 ; ibid. 364, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; Rev. crit. DIP 2015. 885, et la note ; RTD civ. 2015. 581, obs. J. Hauser.

■ Civ. 1re, 5 juill. 2017, n° 16-16.455 P : Dalloz Actu Étudiant, 17 sept. 2017 ; D. 2017. 1737, note H. Fulchiron ; ibid. 1727, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; AJ fam. 2017. 482 ; ibid. 375, point de vue F. Chénedé ; ibid. 643, Pratique P. Salvage-Gerest.

■ Cour de réexamens des décisions civiles 16 févr. 2018, n° 17 RDH 002 : D. 2018. 825, note Guillaumé.

 

Auteur :Merryl Hervieu

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