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GPA : l’absence de lien biologique entre l’enfant et son parent d’intention ne s’oppose pas à la reconnaissance en France du lien de filiation établi à l'étranger
Lorsqu’un enfant né d’une gestation pour autrui (GPA) à l’étranger n’a aucun lien biologique avec le parent d’intention, la filiation établie légalement dans cet autre pays peut être reconnue par la France, car l’absence de lien biologique ne heurte aucun principe essentiel du droit français. Cependant, pour que la décision soit reconnue en France le juge français doit vérifier, notamment, l’absence de fraude et le consentement des parties à la convention de GPA.
Civ. 1re, 14 nov. 2024, n° 23-50-016
En France, GPA est interdite (C. civ., art. 16-7). Pour autant, nombreux sont les couples qui y recourent en se rendant dans des pays qui l’autorisent. L’acte de naissance délivré à l’étranger établit la filiation de l’enfant né d’une GPA à l’égard des parents d’intention, conformément à la loi locale. À leur retour en France, les parents d’intention, souhaitant que ce lien de filiation soit reconnu et que leur enfant bénéficie d’un acte de l’état civil français, peuvent avoir recours à différentes procédures : transcription de l’acte de naissance étranger sur les registres de l’état civil français, adoption, exequatur du jugement étranger établissant la filiation de l’enfant. Concernant cette dernière procédure, l’on se souvient que par deux arrêts rendus le 2 octobre dernier (Civ.1re, 2 oct. 2024, n° 22-20.883 et 23-50.002), la Cour de cassation est venue préciser les éléments du contrôle par le juge de l’exequatur du degré de motivation d’une décision de justice étrangère établissant la filiation d’un enfant né d’une GPA. Avant d’accorder l’exequatur, le juge interne doit en conséquence procéder à plusieurs vérifications : d’une part, s’assurer de la compétence indirecte du juge saisi à l’étranger, fondée sur le rattachement du litige au juge saisi, ainsi que de l’absence de fraude dans l’obtention du jugement, d’autre part, vérifier la compatibilité de la décision étrangère avec l’ordre public international français, apprécié au regard des principes fondamentaux, substantiels comme processuels, du droit interne. Au nom de cette conception française de l’ordre public international de fond et de procédure, la première chambre civile avait, dans la première affaire précitée, consacré l’obligation de contrôler la motivation du jugement établissant la filiation pour permettre au juge de l’exequatur de vérifier l’identité des personnes mentionnées dans le jugement qui ont participé au projet parental d’autrui et de s’assurer qu’il a bien été constaté que toutes les parties à la convention de GPA, en particulier la mère porteuse, ont consenti à cette convention, dans ses modalités comme dans ses effets, sur leurs droits parentaux Dans la seconde, elle s’était opposée à faire produire au jugement étranger établissant la filiation les effets d’une adoption plénière, la filiation devant être reconnue par la France dans le respect de la spécificité de la filiation construite par le droit étranger. Prolongeant ces deux arrêts précédents, auxquels la Cour renvoie explicitement, la décision rapportée complète le régime en cours de construction qui s’applique à l’exequatur des jugements établissant la filiation de l’enfant né à l’étranger d’une GPA. Elle y ajoute en effet le principe substantiel suivant : la reconnaissance d’une décision de justice étrangère qui établit un lien de filiation entre un enfant né d’une GPA à l’étranger et un parent avec lequel il ne partage aucun lien biologique est possible, dans la mesure où cette reconnaissance ne heurte pas l’ordre public international français.
Les faits à l’origine de cette affaire n’avaient rien de commun avec ceux, peu ou prou identiques, soumis aux juges en octobre dernier par deux couples d’hommes, au sein desquels l’un des deux membres était le parent biologique de l’enfant né d’une GPA à l’étranger. Au cas d’espèce, il s’agissait d’une femme célibataire qui s’était rendue au Canada pour recourir, seule, à une GPA. Cette femme ne partage aucun lien biologique avec l’enfant, puisque celui-ci a été conçu à partir des gamètes de deux tiers donneurs et mis au monde par une mère porteuse. Après qu’une décision de justice canadienne l’a déclarée mère légale de l’enfant, une cour d’appel française a reconnu cette décision de justice et fait produire à la filiation établie par le droit canadien les effets d’une adoption plénière en France.
Le procureur général a formé un pourvoi en cassation. Il a estimé que cette décision était contraire à l’ordre public international français, en ce qu’elle établissait un lien de filiation entre une femme et un enfant n’ayant aucun lien biologique. Il a également considéré que les règles de l’adoption internationale avaient été détournées.
Le moyen formé par la mère légale de l’enfant posait la question de savoir si la demande d’exequatur d’un jugement étranger établissant la filiation d’un enfant, né d’une convention de GPA, à l’égard d’une personne sans aucun lien biologique avec l’enfant, est contraire à l’ordre public international français. Rappelons l’enjeu majeur soulevé par la question posée, que la jurisprudence d’octobre dernier avait déjà mis en exergue : si la décision de justice étrangère est jugée contraire à l’un des principes constitutifs de l’ordre public international français, elle ne peut être reconnue par la France ; dès lors, l’enfant ne pourra obtenir de documents d’état civil français. A contrario, si sa compatibilité avec l’ordre public international français est admise, l’exequatur sera accordé ; la filiation établie à l’étranger sera reconnue en France et y produira ses effets.
C’est à l’appui d’une motivation enrichie du droit européen et des récentes évolutions législatives du droit interne que la Cour de cassation lève cet obstacle tiré de l’absence de lien biologique
D’une part, soulignant que l’ordre public international français inclut les droits reconnus par la Conv. EDH, la première chambre civile juge en conformité avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme que l’existence d’une convention de GPA, même prohibée par le droit français, ne peut suffire à faire obstacle à la reconnaissance par la France du lien de filiation établi à l’étranger, que ce soit à l’égard du parent biologique ou du parent d’intention, sauf à méconnaître leur droit à une vie privée et familiale ainsi que l’intérêt supérieur de l’enfant.
D’autre part, elle ajoute qu’aucun principe essentiel de droit français ne se trouve atteint par le fait qu’en application d’une loi étrangère, une filiation soit établie entre un parent et un enfant qui n’ont entre eux aucun lien biologique. En effet, le droit français admet déjà plusieurs modes d’établissement de la filiation non conformes à la réalité biologique : adoption, acte de reconnaissance d’un enfant dont l’auteur n’est pas le parent biologique ; possession d’état ; recours à une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur (AMP dite « exogène »). En ce sens, la Cour souligne à dessein l’évolution non seulement scientifique mais également juridique ayant conduit à élargir les cas de ces filiations sans réalité biologique aux couples de sexe différent, renvoyant notamment à la loi du 2 août 2021 ayant consacré l'existence en droit français d'une filiation reposant uniquement sur l'engagement personnel de deux femmes qui ont construit un projet parental commun, hors de toute vraisemblance biologique. C’est notamment en raison de cette évolution législative que l’ordre public international français, lui-même évolutif, ne saurait faire obstacle à l'exequatur d'une décision établissant la filiation d'un enfant né à l'étranger à l'issue d'un processus de gestation pour autrui à l'égard d'un parent qui n'aurait pas de lien biologique avec l'enfant.
Cet obstacle levé facilite mais ne préjuge en rien de la décision d’accorder l’exequatur. Procédant au rappel de sa dernière jurisprudence, la Cour confirme la nécessité pour le juge de vérifier l’absence de fraude et le consentement de l’ensemble des parties à la convention de GPA, dans ses modalités comme dans ses effets sur leurs droits parentaux (Civ. 1re 2 oct. 2024, n° 22-20.883, préc.). En l’espèce, il est d’une part exclu que la circonstance que la décision canadienne établisse la filiation d'un enfant ne présentant aucun lien biologique avec la mère porteuse et la mère d'intention suffise à caractériser l'existence d'une fraude à l'adoption internationale dont il n'était pas précisé quelles règles auraient été contournées ; il est d’autre part admis, en considération de l’ensemble des éléments examinés au fond (compétence indirecte du juge étranger, réalité et validité du consentement donné par écrit des parties à la convention, notamment de la mère porteuse), que le jugement étranger présente toutes les autres garanties requises. Le lien de filiation est donc reconnu par la France.
En revanche, contrairement à ce qu’avait reconnu la cour d’appel, la Cour de cassation s’oppose, sans surprise, à ce que la filiation établie par le droit canadien soit assimilée, en France, à une adoption. En effet, ainsi que les Hauts magistrats l’ont jugé le 2 octobre dernier, la filiation doit être reconnue en France conformément à la spécificité de la filiation construite par le droit étranger, étant interdit au juge de réviser le jugement au fond. Elle doit ainsi être reconnue en tant que filiation d’intention, laquelle repose sur une logique différente de celle d’une adoption. Ainsi, la Cour de cassation censure la décision de cour d’appel sur l’adoption, sans que cette censure ne remette en cause la reconnaissance par la France du lien de filiation.
Référence :
■ Civ.1re, 2 oct. 2024, n° 22-20.883 et 23-50.002 : DAE 14 nov. 2024, note Merryl Hervieu, D. 2024. 2042, note L. Brunet et M. Mesnil ; AJ fam. 2024. 573, obs. J. Houssier ; ibid. 485, édito. V. Avena-Robardet ; ibid. 537, obs. A. Dionisi-Peyrusse
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