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Droit de la famille
GPA : l’intérêt de l’enfant ne réside pas dans la vérité biologique et la connaissance de ses origines
Au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant et malgré le respect dû au droit à la vie privée et familiale du requérant, la Cour européenne des droits de l’homme approuve le refus des juridictions internes d’établir juridiquement la paternité du requérant à l’égard de son fils biologique, né d’une gestation pour autrui pratiquée en France, après avoir été confié par la mère porteuse à un couple tiers.
CEDH, 7 avr. 2022, A. L. c/ France, n° 13344/20
Dans une décision du 12 septembre 2019 (n° 18-20.472), la première chambre civile de la Cour de cassation avait approuvé la décision d’une juridiction d’appel ayant déclaré irrecevable la demande de contestation de paternité engagée par le père biologique d’un enfant né d’une convention de GPA illicite, et ajouté que les juges du fond avaient à bon droit fait prévaloir l’intérêt de l’enfant sur tous les autres (i. e., intérêts en présence). Contestable et contestée (v. D. 2019. 663, obs. F. Granet-Lambrechts ; Dr. fam. 2018, n° 239, note H. Fulchiron ; v. égal. E. Supiot, « Rencontre incongrue entre contrats et filiation », RDC 2019. 125), la solution rendue par les juridictions internes dans cette affaire au demeurant complexe vient cependant d’être approuvée, sur le terrain du contrôle de proportionnalité, par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).
Une configuration complexe – Les faits ayant donné lieu à l’arrêt rapporté sont heureusement peu communs. En 2012, une femme, Mme B., avait accepté, moyennant 15 000 €, de procréer pour un couple d’hommes, M. L. et M. M., avec le sperme de l’un d’eux au hasard. Durant la grossesse, M. M. avait reconnu l’enfant. Alors qu’elle était encore enceinte, Mme B. avait changé d’avis et conclu une seconde convention, moyennant la même somme, avec un couple hétérosexuel cette fois, M. et Mme R., qui venaient de se voir refuser l’agrément pour l’adoption. M. R. avait ainsi également reconnu l’enfant. À la naissance de l’enfant, en 2013, Mme B. avait indiqué à M. M. et M. L. que l’enfant était décédé et remis celui-ci à M. et Mme R., avec lesquels il vit toujours.
Passons brièvement sur le volet pénal, l’ensemble des protagonistes ayant été condamnés, Mme B. pour escroquerie et les autres pour provocation à l’abandon d’enfant né ou à naître. Relevons toutefois le fait qu’au cours de l’instance pénale, les tests pratiqués avaient établi que M. L., le seul à ne pas avoir reconnu cet enfant, était son père biologique. Cet élément se trouvait en effet placé au cœur du volet civil qui nous occupe.
Le volet civil : illicéité du contrat et irrecevabilité de l’action en filiation - Sur le plan civil donc, M. L., après avoir découvert sa paternité, introduisit une action en contestation de la filiation de M. R. pour voir ensuite établi son lien de filiation, avec tous effets, essentiellement la remise de l’enfant. Abstraction faite du contexte, cette procédure promettait d’aboutir. En effet, en vertu de l’article 332 du Code civil (C. civ.), "la paternité peut être contestée en rapportant la preuve que le mari ou l'auteur de la reconnaissance n'est pas le père". Le tribunal de grande instance de Dieppe (23 mars 2017, n° 13/1060) avait d’ailleurs accueilli sur ce fondement textuel les demandes du père biologique et fixé en conséquence à son domicile la résidence de l’enfant. Le jugement était cependant assorti de l’exécution provisoire et le couple R. ayant interjeté appel et obtenu en référé la suspension de l’exécution provisoire, l’enfant était finalement resté avec eux sans qu’aucun contact avec M. L. n’ait jamais été pris. Quoi qu’il en soit, cette première décision fut annulée par la cour d’appel de Rouen (Rouen, 31 mai 2018, n° 17/02084) en considération du contexte de la conception de l’enfant : une GPA pratiquée illicitement en France.
Sur le fondement des articles 16-7 et 16-9 du Code civil, la cour d’appel infirma en effet le jugement et déclara les demandes de M. L. irrecevables, même si celles-ci reposaient sur l’existence avérée d’une filiation biologique. Tout lien susceptible d’être établi entre M. L. et l’enfant s’était ainsi trouvé exclu. Par ailleurs, article 3-1 de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) à l’appui, les juges rouennais décidèrent, au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant, de laisser celui-ci dans la famille R. dans laquelle il grandissait depuis sa naissance. Ils mirent ainsi à l’écart l’argument défendu par M. L. selon lequel l’intérêt de l’enfant aurait été, au contraire, de connaître la réalité de sa filiation, autrement dit la vérité biologique, raison jugée insuffisante par les juges « en l’état de la loi et au regard de la situation ». M. L. avait alors décidé de se pourvoir en cassation, en vain, la première chambre civile ayant entériné en tout point la décision de la Cour d’appel. Elle approuva en effet les juges du fond d’avoir déclaré ses demandes irrecevables comme fondées sur une convention illicite et ajouta que les juges du fond avaient à bon droit fait prévaloir l’intérêt de l’enfant sur tous les autres, ce qui excluait toute violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, contrairement à ce que soutenait l’un des autres moyens produits par M. L., qui porta en conséquence l’affaire devant la CEDH.
Les droits européens fondamentaux : vérité biologique, droit à la vie privée et droit de connaître ses origines - Devant la CEDH, le requérant dénonça à nouveau l’ingérence injustifiée résultant de cette solution dans son droit à une vie privée et familiale. En premier lieu, il soutint que cette ingérence n’était pas prévue par la loi, les décisions de la cour d’appel et de la Cour de cassation ne reposant sur aucune base légale prévoyant l’irrecevabilité de la contestation, par le père biologique d’un enfant issu d’une gestation pour autrui pratiquée en France, d’une reconnaissance de paternité mensongère effectuée par un tiers. En second lieu, le requérant contestait l’impossibilité absolue d’établir sa paternité découlant de leur solution, rendue en contradiction avec celle retenue par la Cour dans l’affaire Mandet c. France (14 janv. 2016, n° 30955/12), dans laquelle la Cour aurait considéré que la filiation biologique prévalait sur la filiation sociale, alors même que l’enfant avait noué des liens avec sa famille légale, faisant ainsi coïncider l’intérêt supérieur de l’enfant avec le droit au respect de la vie privée et familiale de son père biologique. Il soulignait en outre l’incohérence des juridictions internes, ayant retenu que l’intérêt de l’enfant commandait de faire prévaloir sa situation familiale actuelle sur sa filiation biologique malgré l’origine contractuelle tout aussi illicite de la première que de la seconde. Il est vrai qu’au motif de la prohibition d’ordre public de la gestation pour autrui, le requérant, pourtant père biologique de l’enfant, s’était vu privé par les juges internes à la fois de toute possibilité de contestation de la filiation de son fils, ainsi que de tout droit sur lui (droit de visite par ex.), au nom de la prévalence de l'intérêt de l'enfant à rester dans sa famille actuelle alors même que celle-ci avait également conclu une convention de GPA et que l’intérêt de l’enfant pouvait tout aussi bien être compris comme le droit de connaître ses origines.
La CEDH approuve toutefois le raisonnement suivi par les juridictions internes. Elle constate que si celles-ci ont déclaré les demandes du requérant irrecevables au motif qu’elles concernaient une situation résultant d’un contrat de gestation pour autrui entaché d’une nullité d’ordre public, elles se sont tout autant attachées à mettre en balance les intérêts en présence. Au regard de l’histoire singulière de l’enfant impliqué dans cette affaire, son intérêt supérieur était moins de voir modifier sa filiation actuelle pour voir établi son lien de filiation avec son père biologique que de continuer à vivre dans un cadre jugé stable et structurant chez les époux R. S’il avait le droit de connaître ses origines, il avait également le droit de vivre sereinement dans la famille qui l’élevait depuis sa naissance. En ce sens, la Cour relève que dans son avis sous l’arrêt du 12 septembre 2019, l’avocat général avait invité la Cour de cassation à ne pas « strictement [s’] en tenir à l’interdit pour apprécier la recevabilité de l’action du père biologique » mais à « considérer qu’il existe une exception à l’application des règles des articles 16 et suivants du Code civil : leur contrariété avec l’intérêt supérieur de l’enfant ». Procédant de la sorte dans son avis, l’avocat général avait relevé que la cour d’appel avait « analys[é] ensemble la prohibition d’ordre public de la gestation pour autrui et l’intérêt primordial de l’enfant in concreto » et estimé, au vu des circonstances de l’espèce, que « la cour d’appel en a[vait] tiré les conséquences qui s’imposaient » en déclarant l’action du requérant irrecevable.
La Cour de cassation avait suivi les préconisations de son avocat général en procédant à pareil contrôle pour en conclure qu’« ayant [...] mis en balance les intérêts en présence dont celui de l’enfant, qu’elle a fait prévaloir, la cour d’appel n’a pas méconnu les exigences conventionnelles de l’article 8 ». Dans ces conditions, la CEDH déduit que la cour d’appel a, sous le contrôle de la Cour de cassation, dûment placé au cœur de ses considérations l’intérêt supérieur de l’enfant, qu’elle a pris soin de caractériser concrètement, tout en prenant en compte la réalité biologique dont se prévalait le requérant. Sur ce dernier point, il ressort de la jurisprudence de la CEDH que si la réalité biologique a indéniablement du poids dans les affaires telle que celle rapportée, cet élément s’efface devant l’intérêt supérieur de l’enfant lorsque l’une et l’autre ne concordent pas.
La Cour renvoie à titre d’exemple à l’affaire Arhens c/ Allemagne (22 mars 2012, n° 45071/09), dont les circonstances sont à certains égards comparables à celles de la présente espèce et dans laquelle elle a conclu à la non-violation de l’article 8 de la Convention. Dans cette affaire, un homme avait exercé une action en contestation de la reconnaissance de paternité effectuée par un tiers à l’égard de l’enfant de son ancienne compagne. Une expertise réalisée durant la procédure avait établi qu’il était le père biologique de l’enfant. Il avait obtenu gain de cause en première instance mais la cour d’appel avait annulé le jugement en raison de l’existence d’une relation sociale et familiale entre l’enfant et l’auteur de la reconnaissance de paternité contestée et eu égard à l’intérêt supérieur de l’enfant. La Cour avait alors pris en compte le fait que, si la procédure avait abouti, les liens de parenté entre l’enfant et l’homme qui l’avait reconnu et qui était son père social auraient été coupés (comp. pour une solution contraire dans un contexte différent dans lequel l’établissement du lien de filiation avec le père biologique n’avait pas fait obstacle à ce que l’enfant continue de vivre jusqu’à sa majorité au sein de sa famille sociale, l’arrêt Mandet, préc.). En ce sens, la Cour note qu’en l’espèce la satisfaction des demandes du requérant aurait conduit à l’établissement de sa paternité à l’égard de son fils biologique avec toutes les conséquences qui s’ensuivent (remise et résidence de l’enfant, exercice de l’autorité parentale), ce qui aurait mis un terme au lien juridique de l’enfant avec M. R. et à la structure familiale dans laquelle il évoluait de manière stable depuis sa naissance. Au vu de ces considérations, la Cour considère que les motifs retenus par le juge interne pour justifier l’ingérence litigieuse étaient pertinents et suffisants aux fins de l’article 8 § 2.
Il reste cependant que la procédure a duré un peu plus de six ans, ce qui n’est pas compatible avec le devoir de diligence exceptionnelle qui s’imposait. Elle considère que la complexité de l’affaire n’est pas suffisante pour justifier cette durée. La présente espèce diffère donc à cet égard de l’affaire Ahrens précitée (§ 79-80) dans laquelle la procédure n’avait duré que trois ans et sept mois pour trois niveaux de juridiction, et la CEDH avait pu constater qu’il ne résultait pas du raisonnement de la Cour d’appel que l’issue de la procédure avait été prédéterminée par cette durée. Partant, il y a eu violation de l’article 8 de la Convention en raison du manquement de l’État français au devoir de diligence exceptionnelle qui s’imposait à lui dans les circonstances de la cause. La Cour précise toutefois que le constat de cette violation ne saurait être interprété comme mettant en cause l’appréciation des juges internes de l’intérêt supérieur de l’enfant et leur décision de rejeter les demandes du requérant, confirmée par la Cour de cassation (comp. mutatis mutandis avec, par ex., M. V. c/ Pologne, 1er avr. 2021, n° 16202/14, § 82 ; Adžić c/ Croatie (no 2), 2 mai 2019, n° 19601/16, § 95‑96 ; E.S. c/ Roumanie et Bulgarie, 19 juill. 2016, n° 60281/11, § 82).
Un refus de contestation… sujet à contestation ! Cette solution (la meilleure ou la moins pire ?) appelle plusieurs remarques et surtout quelques critiques, dont une sévérité différenciée à l’endroit des deux couples ayant pourtant conclu la même convention prohibée (le couple conservant la garde de l’enfant ayant en outre commis une fraude à l’adoption), ainsi qu’une méconnaissance des règles relatives à la contestation d’un lien de filiation, l’absence de véracité d’un lien de filiation étant la seule condition exigée par l’article 332 du Code civil pour obtenir la destruction de ce lien. Que l’illicéité d’une convention empêche l’établissement du lien qui en découle est une chose ; qu’elle fasse obstacle à l’anéantissement d’un lien mensonger, et lui-même frauduleux, de filiation en est une autre. Ces considérations sont en tout état de cause balayées au nom de la conception que les juges se sont faits de l’intérêt de l’enfant en l’espèce : rester dans la famille qui l’élève et conserver un lien de filiation avec celui qu’il considère de fait comme son père. En effet, tout le raisonnement judiciaire semble avoir été mené dans le but de rendre une solution respectant au mieux cet intérêt. L’objectif est louable, mais sa réalisation pêche par la vérification en réalité peu rigoureuse, par la Cour de cassation, du contrôle de proportionnalité auquel s’était livrée la cour d’appel.
En effet, pour rejeter le pourvoi, la Cour de cassation, sans reprendre le schéma classique du contrôle de proportionnalité, s’était contentée de relever que la cour d’appel avait fait prévaloir l’intérêt de l’enfant sur les autres intérêts en présence et qu’elle n’avait ainsi pas méconnu les exigences de conventionnalité résultant de l’article 8. Pour justifier la clémence des juges européens sur ce point, au demeurant capital, d’aucuns diraient que les juges français n’avaient pas d’autres choix. Il en existait pourtant. Il était d’abord envisageable d’accueillir la demande de contestation et de détruire le lien de filiation mensonger de M. R., tout en laissant l’enfant grandir au sein du couple R. (C. civ., art. 373-3, enfant confié à un tiers en cas d’exercice unilatéral de l’autorité parentale), ou dans le cadre d’une mesure d’assistance éducative (C. civ., art. 375 s.) ou d’une délégation de l’autorité parentale (C. civ., art. 377).
Il eut en outre été possible de conférer certains droits au père biologique, notamment un droit de visite et d’hébergement (C. civ., art. 371-4, al. 2). Ainsi l’enfant aurait-il pu avoir accès à ses origines, droit que lui dénie la solution retenue qui, de surcroît, fragilise plusieurs règles d’ordre public malgré une intransigeance proclamée. En effet, le droit français condamne tout à la fois la GPA, le commerce d’êtres humains et le contournement des règles de l’adoption, ce qui concourt à fonder l’interdiction d’établir un lien de filiation mensonger avec un enfant issu d’une GPA conclue après avoir échoué à remplir les conditions légales pour adopter. Le droit français faisant aussi primer l’intérêt de l’enfant, les juges ont néanmoins entendu protéger le jeune garçon ici en cause en lui permettant de rester vivre avec ceux qui l’ont élevé, même en toute illégalité et en dépit du fait que l’interdiction de la gestation pour autrui ne devrait pas pouvoir faire l’objet d’une appréciation ni d’une application différenciée selon les couples y ayant recouru.
Références :
■ Civ. 1re, 12 sept. 2019, n° 18-20.472 P: DAE 9 oct. 2019, note Merryl Hervieu ; D. 2019. 2112, note A. Etienney-de Sainte Marie ; ibid. 2020. 506, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 677, obs. P. Hilt ; ibid. 843, obs. RÉGINE ; AJ fam. 2019. 531, obs. F. Chénedé, obs. P. Salvage-Gerest ; ibid. 487, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RTD civ. 2019. 838, obs. A.-M. Leroyer.
■ TGI de Dieppe, 23 mars 2017, n° 13/1060
■ Rouen, 31 mai 2018, n° 17/02084 : D 2019. 663, obs. F. Granet-Lambrechts.
■ CEDH 4 janv. 2016, Mandet c/ France, n° 30955/12 : DAE 11 févr. 2016, note M. G. ; D. 2016. 257 ; ibid. 1966, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; ibid. 2017. 729, obs. F. Granet-Lambrechts ; AJ fam. 2016. 213, obs. F. Chénedé ; RTD civ. 2016. 331, obs. J. Hauser.
■ CEDH 22 mars 2012, Arhens c/ Allemagne, n° 45071/09
■ CEDH 1er avr. 2021, M. V. c/ Pologne, n° 16202/14
■ CEDH 2 mai 2019, Adžić c/ Croatie (no 2), n° 19601/16
■ CEDH 19 juill. 2016, E.S. c/ Roumanie et Bulgarie, n° 60281/11
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