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[ 11 décembre 2020 ] Imprimer

Droit de la famille

Haro sur le harem

Incompatible avec l’existence d’une communauté de vie affective, la bigamie cause la perte de la nationalité française acquise par mariage.

Civ. 1re, 4 nov. 2020, n° 19-50.027

Une femme algérienne avait épousé, en 1998, dans son pays d’origine, un Français. En 2007, cette union avait été transcrite sur les registres de l’état civil français. En novembre 2010, le conjoint français avait contracté une seconde union en Algérie. Le 6 mai 2014, l’épouse étrangère avait pourtant, sur la base de son mariage avec un ressortissant français, souscrit une déclaration de nationalité française sur le fondement de l’article 21-2 du Code civil, laquelle avait été enregistrée le 9 février 2015.

Le 14 mars 2016, le ministère public l’avait assignée en nullité de cet enregistrement, soutenant que l’état de bigamie de son conjoint français excluait toute communauté de vie. Sa demande fut, en première instance puis en cause d’appel rejetée au motif qu’en dépit de la nouvelle union du conjoint contractée en 2010, la vie commune n’avait pas pour autant cessé avec sa première épouse au jour où celle-ci fit sa déclaration, cette persistance étant caractérisée par le fait que les époux avaient fondé une famille nombreuse et conservé un domicile commun.

Le ministère public faisait grief à l’arrêt d’appel d’avoir rejeté sa demande d’annulation de la déclaration d’acquisition de la nationalité française par mariage souscrite par l’épouse alors, d’une part, qu’il était en droit de contester, en application l’article 26-4, alinéa 3, du Code civil, l’enregistrement d’une déclaration acquisitive nationalité française rendue frauduleuse par la dissimulation du second mariage conclu dans la mesure où ce texte ne distingue pas selon l’époux auteur du mensonge ou la fraude et que, d’autre part, la communauté de vie requise pour acquérir la nationalité française par mariage, à laquelle s’obligent les époux en application de l’article 215 du Code civil, est un « élément de la conception monogamique française du mariage »  en sorte que la bigamie est en soi incompatible avec l’existence d’une communauté de vie au sens de l’article 21-2 du Code civil 

Adhérant à la thèse du pourvoi, la Cour de cassation casse, au visa de l’article 21-2 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n 2011-672 du 16 juin 2011, la décision rendue par les juges du fond. 

Selon le texte susvisé, dont la Cour rappelle les termes, l’étranger ou l’apatride qui contracte mariage avec un conjoint de nationalité française peut, après un délai de quatre ans à compter du mariage, acquérir la nationalité française par déclaration à condition qu’à la date de cette déclaration, la communauté de vie tant affective que matérielle n’ait pas cessé entre les époux depuis le mariage. 

Or, les Hauts magistrats considèrent que la situation de bigamie d’un des époux à la date de souscription de la déclaration est exclusive de toute communauté de vie affective et fait en conséquence obstacle à l’acquisition de la nationalité française par le conjoint étranger.

Pour rejeter la demande, l’arrêt d’appel avait retenu que les époux avaient vécu ensemble pendant près de vingt ans et donné naissance à cinq enfants dont les deux derniers étaient nés sur le territoire français, ce qui caractérisait l’existence d’une intention matrimoniale persistante ainsi qu’une communauté de vie réelle et constante au sens de l’article 215 du Code civil.

En statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses propres constatations que le conjoint français de l’épouse avait contracté en 2010 une nouvelle union, la cour d’appel a violé le texte susvisé : quelles que soient les circonstances, la vie commune requise pour devenir français par mariage est, par principe, exclue en cas de bigamie.

 

Le principe de la liberté du mariage « composante de la liberté individuelle protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 » connaît toutefois certaines limites, dont la plupart ont été apportées par a loi n° 93-1027 du 24 août 1993 relative à la maîtrise de l'immigration et aux conditions d'entrée, d'accueil et de séjour des étrangers en France, ayant instauré un mécanisme de contrôle a posteriori de la validité des mariages conclus à l'étranger devant une autorité étrangère lorsqu'un des conjoints est français. C’est cette loi qui a permis d’intégrer dans le Code civil le texte ici visé, dans sa rédaction initiale, légèrement plus souple, notamment dans la durée des délais prévus. Ce texte confère au ministère public un droit d’opposition à mariage pour tous les cas où il pourrait en demander la nullité (v. C. civ. art. 175-1 ; Cons. const., 22 juin 2012, n° 2012-261 QPC). 

Parmi ces cas, la bigamie, cause de nullité absolue du mariage, figure en bonne place. En France, celle-ci est, en vertu de divers fondements, proscrite : en premier lieu, elle est jugée contraire avec l’ordre public matrimonial français, en sorte que le second mariage à l’étranger d’un ressortissant français déjà marié sur le sol français est nul, de même qu’une seconde union contractée sur le sol français par un français déjà marié à l’étranger ne peut produire d’effets en France (C. civ., art. 202-1 ; Civ. 1re, 9 nov. 1993, n° 91-19.310) ; aussi la loi française interdit-elle de contracter un second mariage avant la dissolution du premier » (C. civ., art. 147).

Enfin, comme l’enseigne la décision rapportée, la Cour de cassation la juge incompatible avec l’existence d’une communauté de vie, entendue dans un sens matériel mais également, affectif, à laquelle s’obligent, en se mariant, les époux. Quoique l’argument du procureur de la République ne fût pas expressément repris par la Haute cour pour motiver sa décision, l’on sait que « la communauté de vie doit s’entendre, au sens de l’article 215 du code civil, comme un élément de la conception monogamique française du mariage » (Civ. 1re, 14 janv. 2015, n° 13-27.138). Cela étant, cette affirmation catégorique ne semble pas brider le pouvoir souverain d’appréciation de certains juges du fond qui, face au constat d’une union polygame, ont déjà pu retenir, comme dans la décision d’appel rapportée, que la communauté de vie, tant matérielle qu’affective, n’est pas en soi ou de ce seul fait exclue par la polygamie de l’époux, dès lors que les circonstances révèlent, comme en l’espèce, la persistance en fait d’une communauté de vie. L’argument, qui peut s’entendre, le fut d’ailleurs par la Cour de cassation elle-même qui, dans une décision certes rendue sur des faits auxquels la loi du 26 novembre 2003 ne trouvait pas encore à s’appliquer, avait reproché à une cour d’appel le manque de base légale de sa décision d’ériger la polygamie du mari en obstacle à la reconnaissance d’une communauté de vie réelle et constante, « sans préciser en quoi la situation des époux », cohabitant avec leurs enfants communs comme avec certains de ceux nés des unions parallèles du mari, « ne permettait pas de retenir l’existence d’une communauté de vie réelle » (Civ. 1re, 27 mars 2007, n° 04-11.744). Cette latitude ne semble désormais plus permise, a fortiori si l’on met la décision rapportée en perspective avec celle récemment rendue par la Conseil d’État qui, en application de l’article 21-4 du Code civil en vertu duquel le Gouvernement peut s’opposer, « à défaut d’assimilation » (selon les termes issus de la même loi du 26 nov. 2003), à l’acquisition de la nationalité française par le conjoint étranger, a jugé légitime de la refuser à celui dont le mode de vie ne correspond pas aux valeurs de la société française, notamment à celle de l'égalité entre les sexes (CE 9 nov. 2020, n° 436548), étant d’ailleurs expressément précisé, par le deuxième alinéa de l’article 21-4 précité qui, bien que ne trouvant pas directement à s’appliquer à la décision rapportée, permet toutefois de la justifier, que « la situation effective de polygamie du conjoint étranger est constitutive du défaut d’assimilation ». Ainsi la bigamie constitue-t-elle à double titre un obstacle à l’acquisition de la nationalité française : manifestation d’un « défaut d’’assimilation », elle crée un motif d’opposition gouvernementale, prévu par l’article 21-4, à l’acquisition de la nationalité française ; révélatrice de l’absence d’une communauté de vie au sens juridique et abstrait de l’article 21-2 que lui confèrent désormais les hauts magistrats, écartant l’approche concrète et matérielle de la communauté de vie, elle justifie également une contestation du ministère public conformément à l’article 26-4.

La tentation est grande de voir dans la combinaison de ces décisions un durcissement général, par les hautes juridictions nationales, des conditions d’acquisition, par mariage, de la nationalité française, surtout à la lecture de celle rapportée, qui revient tout de même à refuser la nationalité française à une épouse qui, contrairement à son conjoint étranger, s’était engagée dans un mariage monogame et qui l’était longtemps resté, jusqu’au second mariage, contracté douze ans après leur union, par son époux qui de surcroît, n’était pas bigame au regard de la loi française, son mariage contracté en violation des conditions de fond de la loi française étant nul (C. civ., art. 202-1 ; sur ce point, v. A. Panet, « Nationalité française par mariage, état de bigamie et communauté de vie » , Dalloz actu, 20 nov. 2020). 

Si la tentation est grande, donc, il convient de ne pas y céder. Contrebalançant la sévérité ici observée, la Cour de cassation vient récemment d’affirmer, pour refuser de transmettre la QPC qui lui était posée de savoir si l'existence d'un devoir de fidélité dont la méconnaissance mettrait nécessairement fin à la communauté de vie affective devant régir l’union d’un français et d’un étranger, qu’ « il n'existe pas, en l'état, de jurisprudence constante de la Cour de cassation selon laquelle les articles 21-2, 212 et 215 du code civil seraient interprétés comme impliquant l'existence d'un devoir de fidélité dont la méconnaissance mettrait nécessairement fin à la communauté de vie affective qui caractérise le mariage au sens de l'article 21-2 du Code civil » (Civ. 1re, QPC, 15 oct. 2020, n° 20-11.694)

Moralité, quoique ce terme ne soit pas ici des plus opportuns, pour acquérir la nationalité française, il est admis d’avoir plusieurs femmes à condition de n’en épouser qu’une seule. Dans cette mesure, la conception monogamique du mariage se voit respectée, le défaut d’assimilation à la communauté française écarté, et les valeurs de notre société, suffisamment intégrées… 

Références

■ Cons. const., 22 juin 2012, n° 2012-261 QPC D. 2012. 1611; ibid. 1899, point de vue Raoul-Cormeil; ibid. 2013. 1089, obs. Lemouland et Vigneau; AJ fam. 2012. 466, note Chénedé; RTD civ. 2012. 510, obs. Hauser

■ Civ. 1re, 9 nov. 1993, n° 91-19.310 P : Rev. crit. DIP 1994. 644, note Kerckhove

■ Civ. 1re, 14 janv. 2015, n° 13-27.138 P : RTD civ. 2015. 361, obs. Hauser

■ Civ. 1re, 27 mars 2007, n° 04-11.744 P : D. 2007. 1206

■ CE 9 nov. 2020, n° 436548 : Dalloz Actu Étudiant, 4 déc. 2020, note E. Arnould

■ Civ. 1re, QPC, 15 oct. 2020, n° 20-11.694

 

Auteur :Merryl Hervieu

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