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Droit des personnes
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Mots-clefs : État civil, Rectification, Substitution de la mention « sexe neutre » ou « intersexe » à la mention « sexe masculin » (non)
La Cour de cassation refuse aux personnes intersexuées le droit à la mention d’un « sexe neutre » sur leur état civil.
Une personne inscrite à l'état civil comme étant de sexe masculin avait saisi par requête le président du TGI de Tours d'une demande de rectification de son acte de naissance, afin que soit substituée, à l'indication « sexe masculin », celle de « sexe neutre » ou, à défaut, « intersexe ». La cour d’appel d’Orléans rejeta sa demande. Au soutien de son pourvoi, le requérant argua d’une atteinte à son identité intersexuée, sous un angle tant biologique que psychologique, et, partant, d’une atteinte à sa vie privée, que la seule correspondance de l’apparence physique et du comportement social de l'intéressé à son sexe civilement déclaré ne suffisait pas à exclure, tout comme ne l’était pas la circonstance que celui-ci s'était marié et avait, avec son épouse, adopté un enfant, motif impropre à exclure le maintien de la mention « de sexe masculin, dès lors qu’il résulte des articles 143 et 6-1 du Code civil, dans leur rédaction issue de la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe , que la différence de sexe n'est pas une condition du mariage et de l'adoption. Il invoquait également le texte de l'article 57 du Code civil, lequel impose seulement que l'acte de naissance énonce « le sexe de l'enfant », sans toutefois dresser de liste limitative des sexes susceptibles d’être mentionnés pour son application. Enfin, il soutenait que le juge, gardien du respect effectif des droits et libertés fondamentaux, notamment de ceux garantis par la Convention européenne des droits de l’homme, laquelle a une valeur supérieure à celle des lois internes, et particulièrement de son article 8 garantissant le droit de toute personne au respect de sa vie privée, qui englobe son droit de voir reconnaître son identité sexuée, les juges du fond auraient dû, selon lui, en application de l'article 99 du Code civil conférant au juge le pouvoir d'ordonner toute modification de l'acte de naissance, enjoindre la modification du sien dans un sens conforme à son intersexualité.
Exhaustive et précisément argumentée, la thèse du pourvoi est néanmoins rejetée au motif que « (…) la loi française ne permet pas de faire figurer, dans les actes de l'état civil, l'indication d'un sexe autre que masculin ou féminin et que si l'identité sexuelle relève en effet de la sphère protégée par l'article 8 de la Convention EDH, la dualité des énonciations relatives au sexe dans les actes de l'état civil poursuit un but légitime en ce qu'elle est nécessaire à l'organisation sociale et juridique, dont elle constitue un élément fondateur ».
En conséquence, la Haute juridiction estime que « la reconnaissance par le juge d'un « sexe neutre » aurait des répercussions profondes sur les règles du droit français construites à partir de la binarité des sexes et impliquerait de nombreuses modifications législatives de coordination ». Et la Cour d’ajouter que « la cour d'appel, qui a constaté que (le requérant) avait, aux yeux des tiers, l'apparence et le comportement social d'une personne de sexe masculin, conformément à l'indication portée dans son acte de naissance, a pu en déduire, sans être tenue de le suivre dans le détail de son argumentation, que l'atteinte au droit au respect de sa vie privée n'était pas disproportionnée au regard du but légitime poursuivi ».
Dans cette affaire, la cour d'appel d’Orléans, dont l’analyse est confortée par la Haute cour, infirma le jugement du tribunal de grande instance de Tours qui reconnaissait la possibilité d'inscrire la mention « sexe neutre » à l'état civil pour une personne intersexuée. Son raisonnement reposait sur le fait médicalement constaté que si le demandeur disposait d'un caryotype XY, c'est à dire masculin, il présentait indiscutablement et encore aujourd’hui une ambiguïté sexuelle, quoiqu’il fut déclaré à l'état civil comme appartenant au sexe masculin, choisi comme étant le plus vraisemblable. Pour le tribunal, le sexe masculin imposé au demandeur à sa naissance en contradiction avec la réalité tant physiologique que psychologique de son ambiguïté sexuelle portait atteinte au droit au respect de sa vie privée garanti par les dispositions de l'article 8, alinéa 1er, de la Convention européenne des droits de l’homme, « qui prime sur toute autre disposition du droit interne ». Il ordonna en conséquence une modification de l'acte de naissance du requérant, la mention « de sexe masculin » devant y être remplacée par celle de « sexe neutre ». Tout en infirmant ce jugement, la cour d’appel, que le Parquet avait saisie, reprenant l’analyse soutenue pour reconnaître le droit au changement de sexe des transsexuels, concéda que si le principe d'indisponibilité de l'état des personnes conduit à ce que les éléments de l'état civil soient imposés à la personne, le principe du respect de la vie privée conduit à admettre des exceptions, parmi lesquelles doit figurer le cas de la personne intersexuée, dont la composition génétique (génotype) ne correspond pas à l'apparence physique (phénotype), qui elle-même ne peut pas toujours être clairement associée au sexe féminin ou au sexe masculin, en sorte que l'assignation de la personne, à sa naissance, à une des deux catégories sexuelles, en contradiction avec les constatations médicales qui ne permettent pas de déterminer le sexe de façon univoque, fait encourir le risque d'une contrariété entre cette assignation et l'identité sexuelle vécue à l'âge adulte. Elle considéra, dans cette perspective, que la recherche du juste équilibre entre la protection de l'état des personnes et le droit au respect de la vie privée permettait d'envisager que l'état civil des personnes intersexuées ne mentionne aucune catégorie sexuelle, ou qu'il soit procédé à une modification du sexe assigné à la naissance. Pour autant, elle rejeta la possibilité d'une mention de « sexe neutre » ou d'« intersexe » qui reviendrait à créer un troisième sexe, ce qui ne relève pas du pouvoir du juge mais de celui du législateur.
La Haute cour confirme cette impossibilité et ainsi, le maintien nécessaire de la binarité sexuelle telle qu’elle est organisée par et pour l’état civil et que d’ailleurs, le cas des transsexuels, demandant la seule substitution de la mention relative à l’un ou l’autre des deux identités sexuées répertoriées ne remet pas en cause. Le maintien de cette binarité est justifiée par le fait qu’elle constitue un élément « nécessaire à l'organisation sociale et juridique, dont elle constitue un élément fondateur ».
Cependant, la thèse contraire et soutenue par le demandeur au pourvoi mérite à plusieurs titres d’être défendue. Tout d’abord, non seulement le sexe ne connaît pas de définition légale, mais l’intersexualité se présente comme une vérité organiquement observable et médicalement reconnue. Ensuite, si l'article 57 du Code civil précise que : « L'acte de naissance énoncera (...) le sexe de l'enfant (...) », il est vrai qu’il ne se réfère pas expressément à la binarité « mâle/ femelle ». Aussi reconnaît-on désormais une discordance susceptible d’exister entre le sexe chromosomique, social, juridique, psychologique, sociologique. Enfin, si la bipartition des sexes demeure sans doute un ancrage nécessaire à l’organisation sociale, sa portée juridique est, depuis, la loi n° 2013-403 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe , réduite à la portion congrue, sous la réserve de la règle générale prohibant les discriminations sur ce fondement (R. Libchaber, « Les incertitudes du sexe », D. 2016. 20). Pour autant, la demande du requérant est, en l’espèce, rejetée. Selon la cour, celle-ci est « en contradiction avec son apparence physique et son comportement social », son apparence physique étant cependant due à un traitement hormonal pris par le demandeur afin de remédier à un problème d'ostéoporose et la conformité de son comportement social au sexe masculin traduit par son choix, à l’âge adulte, de se marier et d’adopter un enfant, ayant probablement été davantage dictée par acquis de conscience sociale plus que par un sentiment réel d’appartenance au sexe masculin. Est-ce à dire que si l’ambiguïté sexuelle avait été visible, sur un plan physique et comportemental, la demande aurait pu aboutir ? Il est permis d’en douter, les juges affichant leur hostilité de principe à la mention, sur les actes d'état civil, d’une mention d’un troisième sexe, c’est-à-dire d’une catégorie sexuelle nouvelle dont la reconnaissance relève de la seule appréciation du législateur, et non du pouvoir judiciaire lequel, s’il a pu admettre le droit des transsexuels à changer juridiquement de sexe, ne se reconnaît pas la légitimité d’en créer un troisième.
Civ. 1re, 4 mai 2017, n° 16-17.189
Références
■ TGI Tours, 20 août 2015, Dalloz Actu Étudiant, 22 oct. 2015.
■ Orléans, 22 mars 2016, Dalloz Actu Étudiant, 2 mai 2016.
■ R. Libchaber, « Les incertitudes du sexe », D. 2016. 20.
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