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Libertés fondamentales - droits de l'homme
Homoparentalité : c’est l’intention qui compte ?
Dans le cadre d’une GPA, la filiation de l’enfant avec son parent d’intention doit être légalement établie mais peut l’être autrement que par la transcription de son acte de naissance sur les registres de l’état civil français.
En octobre dernier, l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation avait adressé à la Cour européenne des droits de l’homme une demande d’avis consultatif quant à la transcription, pour l’instant refusée, d’un acte de naissance d’un enfant issu d’une GPA conclue à l’étranger, en ce qu’il désigne la « mère d’intention », indépendamment de toute réalité biologique (Cass., ass. plén., 5 oct. 2018, n° 10-19.053), estimant que l’étendue de la marge d’appréciation dont disposent les États parties à cet égard demeure incertaine au regard de la jurisprudence de la Cour européenne.
La demande d’avis consultatif portait sur les questions suivantes :
1°) En refusant de transcrire sur les registres de l’état civil l’acte de naissance d’un enfant né à l’étranger à l’issue d’une GPA en ce qu’il désigne comme étant sa « mère légale » la « mère d’intention », alors que la transcription de l’acte a été admise en tant qu’il désigne le « père d’intention », père biologique de l’enfant, un État excède-t-il la marge d’appréciation dont il dispose au regard de l’article 8 de la Convention ? A cet égard, y a-t-il lieu de distinguer selon que l’enfant est conçu ou non avec les gamètes de la « mère d’intention » ?
2°) Dans l’hypothèse d’une réponse positive à l’une des deux questions précédentes, la possibilité pour la mère d’intention d’adopter l’enfant de son conjoint, père biologique, ce qui constitue un mode d’établissement de la filiation à son égard, permet-elle de respecter les exigences de l’article 8 ?
La Haute juridiction avait en conséquence décidé de surseoir à statuer sur les mérites du pourvoi qui lui avait été adressé. Dans les deux décisions rapportées, elle procède à l’identique, la première chambre civile de la Cour estimant que bien qu’elles ne se confondent pas exactement avec celles posées par l’Assemblée plénière à la Cour européenne, les questions respectivement soulevées par les deux pourvois présentent, toutefois, un lien suffisamment étroit avec celles-ci pour qu’il faille à nouveau surseoir à statuer dans l’attente de la réponse des juges européens et de l’arrêt de l’Assemblée plénière à intervenir.
Dans la première affaire (pourvois n° 18-11.815 et 18-50.006), un couple homosexuel avait demandé la transcription des actes de naissances américains de leurs trois enfants, nées d’une GPA, désignant pour « père/parent » le membre du couple qui avait la nationalité française, et celui qui était de nationalité belge, en qualité de « mère/parent ». Le procureur de la République s’était opposé à cette demande, au motif que les actes de naissances dont la transcription était demandée n'étaient pas conformes à l'article 47 du Code civil. Le couple avait alors assigné le procureur de la République à l’effet d’obtenir cette transcription.
Un premier pourvoi en cassation fut formé par le procureur général près la cour d’appel de Rennes contre la décision de celle-ci de faire droit en partie à la demande du couple, par injonction de transcription partielle des actes, c’est-à-dire avec la seule mention du « père/parent ». Le procureur général invoquait principalement le fait que deux hommes ne pouvant enfanter seuls, le droit, en vertu de l’article 47 du Code civil, devait s’opposer à la transcription des actes litigieux sur les registres de l’état civil français. La Cour de cassation écarte ce moyen qu’elle juge inopérant, l’arrêt d’appel n’ayant ordonné la transcription des actes de naissance des enfants qu’en ce qu’ils sont nés d’un seul membre du couple, sans désigner l’autre en qualité de père ou de parent, en sorte que les actes de naissance n’étaient ni irréguliers ni falsifiés, que les faits qui y étaient déclarés correspondaient à la réalité et qu’en conséquence, l’article 47 invoqué avait bien été respecté.
Parallèlement, un second pourvoi fut formé par le couple, qui faisait grief à la cour d’appel d’avoir rejeté la demande du demandeur belge tendant à la transcription, sur les registres de l’état civil français, des actes de naissance le désignant comme le parent d’intention de ses enfants, alors que leur intérêt supérieur ainsi que leur droit au respect de leur vie privée et familiale la justifiaient, la transcription de la filiation d’un enfant envers le compagnon de son père biologique devant être admise sans que ce second lien de filiation ait à être établi ou confirmé par voie d’adoption.
Dans la seconde affaire (pourvois n° 18-14.751 et n° 18-50.007), un couple de françaises avait demandé la transcription des actes de naissance de leurs deux enfants, conçus à l’étranger par assistance médicale à la procréation. Le procureur de la République s’y était opposé, au motif que les actes en cause n’étaient pas conformes à l’article 47 du Code civil, en l’absence de certificat d’accouchement permettant d’identifier la mère. Le couple forma un pourvoi en cassation, la question du parent d’intention prenant ici un relief particulier et une pertinence accrue par le fait que les actes de naissance en cause étaient dépourvus de toute mention à une quelconque paternité biologique, alors que celle-ci est, pour paraphraser la Cour, « aujourd’hui résolue », chacun des enfants ayant pour mère « le parent d’intention » de l’autre.
La question de la maternité d’intention, à l’origine formée par un couple hétérosexuel (le couple Menesson) dans le cadre de la gestation pour autrui, pose plus largement, comme en attestent ces deux décisions, celle de la parentalité d’intention puisqu’il était question, dans la première affaire, de désigner non pas une femme mais un homme en qualité de parent d’intention, et que la seconde renouvelait le cadre du problème, soulevé à l’issue d’une PMA.
La réponse à cette question du parent d’intention suppose en réalité d’en résoudre deux autres : doit-on admettre, comme c’est déjà le cas, par exemple, en matière d’adoption plénière, de rompre complètement en cette matière le lien entre biologie et filiation ? La transcription de la filiation de l’enfant vis-à-vis du second parent, d’intention, s’imposerait alors au même titre qu’elle l’est depuis près de deux ans maintenant, vis-vis du père biologique (Civ. 1re, 5 juill. 2017, n° 15-28.597, 16-16.901 et 16-50.025) ; ou faut-il maintenir le seul mode d’établissement de la filiation du second parent aujourd’hui reconnu, l’adoption de l’enfant ; procédure longue, éprouvante et aléatoire, à l’effet de masquer les effets produits par ce type de reconnaissance filiale : l’homoparentalité, légalement possible mais moralement controversée et la reconnaissance indirecte de la gestation pour autrui, en admettant de donner et d’accroître les effets juridiques, par la voie de la filiation, d’un contrat qui reste, du moins en principe, interdit en France. C’est cette seconde solution que les juges européens viennent, semble-t-il, de choisir. En effet, dans un premier avis consultatif relatif à la reconnaissance en droit interne d’un lien de filiation entre un enfant né d’une gestation pour autrui pratiquée à l’étranger, issu des gamètes du père d’intention et d’une tierce donneuse, et la mère d’intention (avis n° P16-2018-001, 10 avr. 2019), la Cour européenne des droits de l’homme a affirmé que si le droit au respect de la vie privée de l’enfant, au sens de l’article 8 de la Convention, oblige le droit interne à offrir une possibilité de reconnaissance d’un lien de filiation entre cet enfant et la mère d’intention, désignée dans l’acte de naissance légalement établi à l’étranger comme étant la « mère légale », l’effectivité de ce droit ne requiert pas que cette reconnaissance se fasse par la transcription sur les registres de l’état civil de l’acte de naissance légalement établi à l’étranger ; elle peut se faire par une autre voie, telle que l’adoption de l’enfant par la mère d’intention, à la condition que les modalités prévues par le droit interne garantissent l’effectivité et la célérité de sa mise en œuvre, conformément à l’intérêt supérieur de l’enfant.
Civ. 1re, 20 mars 2019, n° 18-11.815, n° 18-50.006
Civ. 1re, 20 mars 2019, n° 18-14.751, n° 18-50.007
CEDH, avis, 10 avr. 2019, n° P16-2018-001
Références
■ Convention européenne des droits de l’homme
Article 8
« Droit au respect de la vie privée et familiale. 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
■ Cass., ass. plén., 5 oct. 2018, n° 10-19.053 P: Dalloz Actu Étudiant, 15 oct. 2018, note Merryl Hervieu ; D. 2019. 663, obs. F. Granet-Lambrechts ; AJ fam. 2018. 613 ; ibid. 569, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; ibid. 640 et les obs. ; RTD civ. 2018. 847, obs. J.-P. Marguénaud.
■ Civ. 1re, 5 juill. 2017, n° 15-28.597 P, 16-16.901 et 16-50.025 P: Dalloz Actu Étudiant, 15 sept. 2017 ; D. 2017. 1737, communiqué C. cass., note H. Fulchiron ; ibid. 1727, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; ibid. 2018. 528, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 641, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 765, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; ibid. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2017. 482, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; ibid. 375, point de vue F. Chénedé ; ibid. 643, Pratique P. Salvage-Gerest.
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