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Droit des obligations
Illicéité ou immoralité de la convention : l’influence sur le droit à restitution
La partie qui a effectué une prestation au titre d’un contrat annulé en raison de l’illicéité de son objet peut néanmoins demander la restitution en valeur des prestations exécutées.
Civ. 1re, 17 févr. 2021, n° 19-22.234
L’illicéité d’une convention fait-elle obstacle au jeu des restitutions consécutives à son annulation ?
Telle est la question à laquelle la première chambre civile de la Cour de cassation a dû répondre dans un arrêt du 17 février 2021.
En l’espèce, une société avait confié à un cabinet d’avocats une mission diverse d’analyse de questions relatives aux accidents du travail et d’assistance dans ses relations avec l’administration, portant sur la réalisation des démarches à entreprendre, ainsi que sur la rédaction de réclamations et les moyens de déceler d’éventuelles erreurs. À la suite d’un différend entre les parties, le cabinet d’avocats avait assigné la société en paiement d’honoraires puis, invoquant la nullité du contrat en raison de l’illicéité de sa cause, sollicité une certaine somme au titre de la restitution en valeur des prestations réalisées.
La cour d’appel de Grenoble fit droit à cette demande et condamna en conséquence la société à payer une certaine somme au cabinet, dans un arrêt du 25 juin 2019, rendu sur renvoi après cassation (Civ. 1re, 5 juill. 2017, n° 16-22.878).
Pour contester cette décision devant la Cour de cassation, la société soutenait que la cour d’appel avait violé l’ancien article 1131 du Code civil sur la cause du contrat en appliquant au cas d’espèce la règle nemo auditur (« Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude »), alors que celle-ci fait en principe obstacle aux restitutions consécutives à l’annulation d’un contrat pour cause d’immoralité mais non pour cause d’illicéité comme celle qui entachait la convention litigieuse. La demanderesse reprochait au surplus à la juridiction d’appel de ne pas avoir évalué, comme il le lui incombait, la valeur réelle de la prestation.
Toutefois, la Cour de cassation ne se laisse pas convaincre par l’auteure du pourvoi : d’une part, elle considère qu’« il résulte de l’article 1131 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, que dans le cas d’un contrat illicite comme ayant été conclu au mépris des règles impératives d’exercice de la profession d’avocat, la restitution en valeur de la prestation effectuée peut être sollicitée par l’avocat » (pt. 4) et qu’« après avoir constaté la nullité du contrat du 23 août 2012 en raison de son illicéité, l’arrêt énonce, à bon droit, que la répétition des prestations peut être réclamée » (pt. 5). D’autre part, elle estime qu’« ayant, ensuite, retenu que la demande en paiement formée par le cabinet L… ne correspondait pas au prix des prestations fournies, la cour d’appel a souverainement estimé la valeur de celles-ci » (pt. 6).
« Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude » (Nemo auditur propriam turpidum allegans). Du moins en principe, les juges se montrant indulgents, comme le confirme la décision rapportée (v. déjà, Civ. 1re, 26 sept. 2018, n° 16-25.184), à l’égard de justiciables peu scrupuleux du respect des lois dès lors que leur action, simplement illicite, n’est pas pour autant immorale. Il est vrai qu’il est acquis depuis longtemps que les tribunaux civils confèrent à la maxime une portée variable selon que le demandeur en restitution réclame l’exécution d’une convention illicite ou immorale. Si la jurisprudence a toujours rejeté l’action à celui qui formait une telle demande à l’appui d’une convention nulle comme immorale ou contraire aux bonnes mœurs, il n’en fut jamais de même lorsque la convention était simplement contraire à la loi, même d’ordre public. Dans ce dernier cas, celui qui demande la restitution en valeur des prestations effectuées au titre d’un contrat conclu en violation à la loi l’obtiendra généralement, sans que l’illicéité entachant cette convention s’y oppose. Ainsi que l’avaient justement relevé les juges du fond, le domaine de cet adage est traditionnellement cantonné aux contrats annulés pour cause d’immoralité (v. à ce sujet Fr. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et Fr. Chénedé, Droit civil. Les obligations, 12e éd., Dalloz, 2018, n° 580). Initialement, cette faveur avait été accordée aux cessionnaires d’offices ministériels, autorisés à répéter le prix versé aux cédants en exécution d’une contre-lettre, ainsi qu’à divers contrats entachés de « marché noir » (V. C. Cardahi, « L’exécution des conventions immorales et illicites », RIDC, 1951, p. 388). Les juges en ont ensuite étendu la portée pour généraliser ce principe de distinction entre les contrats illicites et les contrats immoraux, sans doute pour réduire l’étendue du champ d’application de la maxime Nemo auditur dont l’intransigeance de ce qu’elle refuse incite les juges à en pondérer l’application. Or il n’était point question, en l’espèce, d’immoralité mais bien d’illicéité de la convention litigieuse, conclue au mépris des règles, quoique impératives, relatives à la profession d’avocat, plus précisément de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques.
Justifiée, la solution ne mérite cependant pas d’être pleinement approuvée. Cette désapprobation repose sur deux principaux arguments.
En premier lieu, le critère de distinction retenu entre illicéité et immoralité n’allant pas de soi, il apparaît difficile, en pratique, à appliquer (Fr. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et Fr. Chénedé, op. cit., n° 580, p. 656 : « Force est de reconnaître, (…), que la distinction entre l’illicite et l’immoral est contestée et n’est pas rigoureusement respectée »). En effet, faire le départ entre ces deux griefs conventionnels s’avère parfois délicat, voire artificiel. La décision rapportée l’illustre en partie : n’est-il pas immoral en soi de violer délibérément la loi ? D’ailleurs, il a pu jadis être admis que « l’auteur du paiement ne peut (…) se plaindre de ne pouvoir toucher ce que le droit ne lui permet pas d’obtenir : en d’autre termes, il ne peut fonder sa réclamation sur une cause que le droit annule ou ne reconnaît pas » (Saleilles, Étude d’une théorie générale de l’obligation d’après le code civil allemand, p. 465 s.). Mais il a toutefois été plus majoritairement considéré que la maxime Nemo auditur édictait une règle essentiellement morale : « Ce qu’elle défend, c’est l’étalage devant un tribunal d’un acte honteux par lequel on voudrait créer un titre » (G. Ripert, La règle morale dans les obligations civiles, n° 108), jouant ainsi « un rôle préventif en enlevant toute sécurité aux contractants ; s’ils exécutent le contrat immoral, c’est à leurs risques et périls ; ils doivent savoir que le juge n’arbitrera pas leur querelle et que toute prestation demeurera définitivement acquise à celui qui l’aura reçue » (Planiol, Ripert et Boulanger, Traité élémentaire de droit civil, 1947, t. II, n° 886). Aussi bien, si une demande en restitution d’une somme d’argent ne peut être accueillie, l’action étant tenue pour irrecevable, et donc si celui qui la forme ne sera même pas écouté du juge, c’est seulement en raison de son indignité (C. Cardahi, op.cit., p. 386). S’il s’agit en revanche d’un contrat « simplement » illicite mais non entaché d’immoralité, la partie qui poursuit la répétition recouvre le droit d’être entendue, éventuellement avec succès, ce qui confère à la maxime, dans son application, un libéralisme égal à son intention morale, sauf à considérer les hypothèses où droit et morale se rencontrent.
C’est précisément le moralisme présidant à la solution retenue qui justifie, en second lieu, sa critique. Le domaine de la moralité contractuelle ayant été progressivement réduit par l’action conjuguée du juge et du législateur à la faveur de l’élargissement de la notion, moins connotée, d’ordre public, celui du fameux adage s’en trouve alors consécutivement restreint. En témoigne la dernière réforme du droit des contrats, ayant entériné cette évolution par la suppression du code civil de la notion de bonnes mœurs, jugée désormais désuète dans une société nouvelle d’où ne pourrait plus être dégagée une conscience morale commune suffisamment solide pour conférer à cet antique standard juridique une consistance et une valeur réelles. En conséquence, une partie de la doctrine appelle de ses vœux l’extension de la règle dégagée par la Cour de cassation aux hypothèses d’illicéité du contrat (v. par ex. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations. Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du code civil, 2e éd., Dalloz, 2018, n° 1056 : « À vrai dire, s’il fallait maintenir la règle selon laquelle nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude, il serait sans doute pertinent d’en élargir la portée à des causes d’illicéité ou à la violation des droits et libertés fondamentaux »). L’occasion lui était ici présentée. Elle l’a manquée. De surcroît, la question a été délaissée par les auteurs de la réforme du droit des contrats, volontairement si on met cette lacune en perspective avec leur choix de consacrer à cette occasion un chapitre entier aux restitutions au titre du régime général des obligations (C. civ., art. 1352 s.).
Les contractants ont de quoi se réjouir. N’ayant à se draper dans leur dignité que dans des hypothèses devenues marginales, ils n’ont pas davantage à rougir de l’illicéité de leur convention qui ne les empêche pourtant pas de réclamer leur dû.
Le contrat serait-il devenu le terreau de toutes les turpitudes ?
Références :
■ Civ.1re, 5 juill. 2017, n° 16-22.878
■ Civ. 1re, 26 sept. 2018, n° 16-25.184 P: DAE 29 oct. 2018, note Merryl Hervieu; D. 2018. 1910 ; ibid. 2019. 279, obs. M. Mekki ; AJ contrat 2018. 495, obs. Y. Dagorne-Labbe
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