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[ 4 février 2019 ] Imprimer

Introduction au droit

Impartialité : le juge doit soigner sa présentation

La présentation d’une décision de justice qui restitue de manière particulièrement déséquilibrée les argumentations respectives des parties au litige fait naître un doute légitime sur l’impartialité personnelle du magistrat.

A la suite du décès d’un couple, l’une de leurs filles avait assigné ses deux sœurs en règlement du partage successoral. Insatisfaite de la décision rendue en appel, principalement en raison du rejet de sa demande tendant à voir juger prescrite une action en réduction d’une donation-partage dont elle était bénéficiaire, celle-ci forma un pourvoi en cassation pour contester, outre la solution retenue au fond, l’impartialité des juges l’ayant rendue, ces derniers n’ayant, selon elle, que très succinctement repris l’objet de ses prétentions et le détail de son argumentation pour faire bien plus largement place à ceux invoqués par ses sœurs. La Cour de cassation lui donne raison. Relevant qu'après s'être borné à viser les dernières écritures déposées par la demanderesse au pourvoi, auparavant appelante, au motif qu'elles étaient longues et particulièrement confuses, l'arrêt a exposé sur onze pages les moyens et prétentions développés dans les conclusions de ses adversaires, la Haute juridiction considère qu'en exposant ainsi les moyens et prétentions des parties, selon des modalités différentes de nature à faire peser un doute légitime sur l'impartialité de la juridiction, la cour d'appel a violé l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en même temps que les articles 455 et 458 du Code de procédure civile.

La forme d’une décision peut trahir le manque d’impartialité du magistrat, lequel porte ainsi atteinte au droit de toute personne à ce que sa cause soit entendue par un tribunal impartial, garanti par l’article 6, § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme figurant au visa de la décision rapportée, sanctionnant des magistrats dont la décision révélait, par l’exposé formellement inégal des argumentations respectives des parties, le non-respect de cette exigence.

Le célèbre texte de la Convention européenne des droits de l’homme fonde en effet le droit reconnu à tout justiciable à ce que sa cause soit entendue par un tribunal « indépendant et impartial ». Alors que l’indépendance requiert l’absence de subordination du pouvoir judiciaire aux pouvoirs institués, législatif comme exécutif, l’impartialité exige du magistrat qu’il fasse preuve d’une objectivité et d’une neutralité suffisantes mais nécessaires à la légitimité de sa décision. Sans nier la réalité de sa subjectivité, inhérente à toute personne, l’exigence d’impartialité interdit au magistrat de préjuger de l’issue d’un dossier pour des motifs, intuitions ou convictions personnelles. Elle le contraint à abandonner ses premiers mouvements, infirmer ses premières impressions si celles-ci sont contredites par son analyse, qui doit être objective, de l’affaire qui lui est soumise. Ce recul est requis pour empêcher le juge de rendre une décision reposant sur des considérations étrangères à la cause et pour cette raison, condamnables. Cette impartialité subjective, qui consiste à apprécier la neutralité du magistrat eu égard à sa conduite personnelle, s’accompagne désormais d’une exigence complémentaire, son impartialité objective, qui consiste également à se demander « si, indépendamment de la conduite personnelle du juge, certains faits vérifiables autorisent à suspecter l’impartialité de ce dernier » (CEDH 24 mai 1989, Hauschidlt c/ Danemarkn° 10486/83), la neutralité attendue du tribunal se concrétisant dans ce cas par le biais d’incompatibilités fonctionnelles comme celle, par exemple, constituée par l’interdiction faite au juge de siéger en appel dans une affaire pour laquelle il avait, en première instance, déjà participé à la formation du jugement. Désormais appréhendée sous ce double aspect, personnel et fonctionnel, l’impartialité ne recouvrait, à l’origine, que le premier, celui-là même qui se voit ici sanctionné. 

Ainsi, le contenu formel d’une décision peut-il traduire, comme en l’espèce, le parti-pris d’un magistrat, faire naître un doute, que la rédaction de sa décision rend légitime, sur son impartialité personnelle ? 

Si la terminologie employée est, dans cette hypothèse, souvent significative (Soc. 8 avr. 2014, n° 13-10.209), la place grossièrement inégale faite aux argumentations respectives des parties au litige illustre tout autant un manque flagrant d’impartialité personnelle. C’est tout l’intérêt de la décision rapportée d’en témoigner. Les juges d’appel avaient, en effet, confirmé le jugement contesté en toutes ses dispositions après s'être limité, au titre du rappel des moyens et prétentions de l'appelante, à relever, en un seul paragraphe, qu'« eu égard à la longueur de ses dernières écritures (…), et notamment des 5 pages de leur dispositif lequel, mélangé de moyens, est particulièrement confus, la cour s'y référera expressément en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile », tout en consacrant plus de dix pages, d'une décision qui en comporte vingt-cinq, au rappel détaillé des prétentions et moyens de ses adversaires intimées. Une présentation à ce point déséquilibrée des argumentations respectives des parties était de toute évidence incompatible avec l’impartialité exigée du magistrat. 

Elle méconnaît également une autre exigence, implicite et déduite du droit de toute personne à ce que sa cause soit entendue équitablement : la motivation de la décision de justice, garantie non seulement par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme mais également par l’article 14, § 1, du Pacte international sur les droits civils et politiques, 47, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union, ainsi que par l’article préliminaire du Code de procédure pénale, affirmant que « La procédure pénale doit être équitable et contradictoire et préserver l’équilibre des droits des parties ». De cette garantie générale découle l’obligation de motivation des décisions de justice, applicable à toute procédure. Or il va de soi qu’une décision qui, comme celle ici rendue en appel, présente les moyens et prétentions des parties selon des modalités formelles incompatibles avec cette exigence d'impartialité statue par une apparence de motivation contraire à l’obligation faite au juge d’indiquer avec une clarté suffisante les motifs sur lesquels il se fonde pour résoudre le litige. Ceci suppose qu’il ait véritablement, et avec la même considération, examiné chacune des argumentations des parties au litige, ce dont fait naturellement douter leur restitution, dans une très inégale proportion, par le juge au moment de rédiger sa décision. 

« Si par partialité d’affection ou d’esprit de corps, tu dis plus ou moins la vérité, tu n’es pas un soldat ! » (W.Shakespeare, Othello).

Civ. 1re, 19 déc. 2018, n° 17-22.056

Références

■ Fiches d’orientation Dalloz : Impartialité (Procédure civile)

■ Convention européenne des droits de l’homme

Article 6 § 1

« Droit à un procès équitable 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique,  lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice. »

■ Pacte international sur les droits civils et politiques

Article 14 § 1 

« Tous sont égaux devant les tribunaux et les cours de justice. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil. Le huis clos peut être prononcé pendant la totalité ou une partie du procès soit dans l'intérêt des bonnes mœurs, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, soit lorsque l'intérêt de la vie privée des parties en cause l'exige, soit encore dans la mesure où le tribunal l'estimera absolument nécessaire lorsqu'en raison des circonstances particulières de l'affaire la publicité nuirait aux intérêts de la justice; cependant, tout jugement rendu en matière pénale ou civile sera public, sauf si l'intérêt de mineurs exige qu'il en soit autrement ou si le procès porte sur des différends matrimoniaux ou sur la tutelle des enfants. »

■ Charte des droits fondamentaux de l’Union

Article 47 § 2

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi. Toute personne a la possibilité de se faire conseiller, défendre et représenter. »

■ CEDH 24 mai 1989, Hauschidlt c/ Danemark,  n° 10486/83

■ Soc. 8 avr. 2014, n° 13-10.209 P: Dalloz Actu Étudiant, 12 mai 2014; D. 2014. 935 

 

Auteur :Merryl Hervieu


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