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Droit de la responsabilité civile
Indemnisation du préjudice d’angoisse de mort imminente de la victime survivante
Si en cas de survie de la victime d’une infraction, le préjudice d'angoisse de mort imminente se rattache au poste des souffrances endurées, son indemnisation par un poste de préjudice autonome ne peut toutefois donner lieu à cassation que si ce préjudice a été indemnisé deux fois, en violation du principe de la réparation intégrale sans profit pour la victime.
Civ. 2e, 11 juill. 2024, n° 23-10.068 B
Le 24 septembre 2007, une aide-soignante dans un hôpital avait été agressée par un patient qui lui avait porté quatorze coups de couteau. L’agresseur ayant été déclaré pénalement irresponsable, la victime avait assigné l’assureur de ce dernier aux fins d'être indemnisée, notamment, de son préjudice d'angoisse et de sensation de mort imminente. La cour d’appel accueillit sa demande. Un pourvoi en cassation est alors formé par l’assureur qui soutient que l'indemnisation du préjudice d'angoisse de mort imminente, consistant pour la victime décédée à être demeurée, entre la survenance du dommage et sa mort, suffisamment consciente pour avoir envisagé sa propre fin, est subordonnée au décès de la victime directe. Refusant d’exclure que la victime survivante puisse bénéficier de l’indemnisation d’un préjudice d’angoisse de mort imminente, la Cour de cassation rejette le pourvoi.
Le décès de la victime directe n’est donc pas une condition de réparation de ce préjudice spécifique. En ce sens, la deuxième chambre civile commence par rappeler qu’à compter de la survenance du fait dommageable, la victime d'une atteinte corporelle ou d'une menace d'atteinte corporelle suffisamment grave pour qu'elle envisage légitimement l'imminence de sa propre mort, subit un préjudice spécifique qualifié d’ « angoisse de mort imminente » (AMI). Dans le cas où la victime a survécu, ce préjudice se réalise dès qu'elle a conscience de la gravité de sa situation et tant qu'elle n'est pas en mesure d'envisager raisonnablement qu'elle puisse survivre. Une fois son existence établie, ce préjudice d'angoisse de mort imminente, s’il ouvre droit à réparation, se rattache au poste des souffrances endurées, qui indemnise toutes les souffrances physiques et psychiques, quelles que soient leur nature et leur intensité, ainsi que les troubles associés qu'endure la victime à compter du fait dommageable et jusqu'à la consolidation de son état de santé. La deuxième chambre civile précise cependant, et là est l’intérêt de la décision, que son indemnisation par un poste de préjudice autonome ne peut donner lieu à cassation que si ce préjudice a été indemnisé deux fois, en violation du principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime. Ce qui revient à dire que la Cour admet l’autonomie de la réparation, mais seulement dans l’hypothèse où les juges du fond n’auraient pas réparé le préjudice d’AMI dans le cadre des souffrances endurées, violant ainsi le principe de réparation de l’entier préjudice. Or en l’espèce, l’état de la victime ne laissait pas apparaître l’existence d’un préjudice moral distinct des souffrances endurées du fait des blessures. En effet, il ressort de l’arrêt d’appel que l'indemnisation des souffrances endurées a pris en compte celles liées aux lésions consécutives à la multiplicité des plaies par arme blanche que la victime a présentées, mais qu'il ne pouvait être considéré, sans précision sur ce point donnée par l'expert, que le vécu douloureux, moral et psychologique qu'il rapportait, englobait aussi la sensation particulière éprouvée par la victime de sa fin prochaine.
Cette décision est importante car elle vient compléter la jurisprudence sur la réparation du préjudice de mort imminente. L’on se souvient que la Cour de cassation a, par deux arrêts de chambre mixte rendus le 25 mars 2022, reconnu l’indemnisation autonome du préjudice d’angoisse de mort imminente, mais uniquement lorsque la victime est décédée (Cass. ch. mixte, 25 mars 2022, nos 20-17.072 et n° 20-15.624). En cas de survie de la victime, ce préjudice est en principe rattaché, comme le rappelle ici la Cour, au poste temporaire des souffrances endurées (Civ. 2e, 20 oct. 2016, n° 14-28.866 ; 14 sept. 2017, n° 16-22.013 ; 16 janv. 2020, n° 19-10.162). Son absence d’autonomie se justifie, comme pour d’autres dommages consécutifs à une atteinte corporelle, par l’absence de consolidation de l’état de la victime. Toutefois, les juges du fond peuvent, même dans l’hypothèse où la victime a survécu, indemniser ce préjudice à titre autonome sous la réserve, au demeurant essentielle, de respecter le principe de la réparation intégrale du dommage (sans profit pour la victime).
À retenir : Le préjudice d’angoisse de mort imminente peut être réparé soit en l’incluant dans celui lié aux souffrances endurées, voie privilégiée par la Cour de cassation, soit en l’y adjoignant. Dérogatoire, cette dernière option suppose alors d’établir avec précision à quel titre ce préjudice spécifique a été indemnisé. Les juges du fond doivent donc particulièrement veiller à la motivation de leur décision, qui doit être suffisamment étayée pour justifier la nécessité d’une indemnisation autonome, sous peine de se voir reprocher la violation de l’interdiction d’indemniser deux fois le même préjudice.
Références :
■ Cass. ch. mixte, 25 mars 2022, nos 20-17.072 B et n° 20-15.624 B : DAE, 13 avr.2022, note M. Hervieu ; D. 2022. 774, note S. Porchy-Simon ; ibid. 1934, obs. M. Bacache, A. Guégan et S. Porchy-Simon ; ibid. 2023. 34, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ; AJ pénal 2022. 262, note C. Lacroix.
■ Civ. 2e, 20 oct. 2016, n° 14-28.866 P : D. 2016. 2167, et les obs. ; ibid. 2017. 24, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ; ibid. 2224, obs. M. Bacache, A. Guégan-Lécuyer et S. Porchy-Simon.
■ Civ. 2e, 14 sept. 2017, n° 16-22.013 : D. 2017. 2224, obs. M. Bacache, A. Guégan-Lécuyer et S. Porchy-Simon ; ibid. 2018. 35, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz.
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