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Introduction au droit
Indivision entre époux : l’occasion d’un rappel de l’interdiction du déni de justice
Mots-clefs : Office du juge, Interdiction du déni de justice, Interdiction faite au juge de déléguer ses pouvoirs, Famille, Mariage, Divorce, Acquisition d’un bien indivis, Contribution aux charges du mariage, Créance entre époux (non)
Au visa de l’article 4 du Code civil, la Cour de cassation casse la décision des juges du fond, relative à la liquidation d’un immeuble indivis entre époux, au motif qu’ils s’étaient dessaisis et avaient délégué leurs pouvoirs au notaire liquidateur, alors qu’ils leur incombaient de trancher eux-mêmes la contestation dont ils étaient saisis. Aussi rappelle-t-elle la règle selon laquelle les dépenses exposées par un époux séparé de biens pour acquérir un bien indivis relèvent de son obligation de contribution aux charges du mariage, ce qui exclut la reconnaissance d’une créance à l’encontre de son conjoint.
Deux époux, séparés de biens, divorcent après avoir acheté un immeuble en indivision. L’époux prétend être titulaire d’une créance en ce que sa participation financière aurait été plus importante que celle de son épouse.
La cour d’appel reconnaît l’existence d’une telle créance mais refuse d’en déterminer le montant, alors fixé par le notaire liquidateur de l’indivision. Pour admettre l’existence de la créance, la cour énonce que lorsque le contrat de mariage liant les époux prévoit qu’ils contribuent aux charges du mariage en proportion de leurs facultés respectives et que chacun sera réputé avoir fourni au jour le jour sa contribution, en sorte qu’ils ne seront assujettis à aucun compte entre eux, le non-règlement par l’épouse de sa part indivise justifie la réclamation, par l’époux qui a assuré le financement de celle-ci, d’une créance correspondant au montant des sommes avancées, sa contribution aux charges du mariage ne pouvant s’étendre au règlement par celui-ci des dettes personnelles à l’épouse aux fins de constituer à celle-ci un patrimoine.
Cette décision est cassée par la Cour de cassation, d’abord au visa, peu fréquent, de l’article 4 du Code civil, la Cour reprochant aux juges du fond d’avoir délégué leurs pouvoirs au notaire alors qu’ils leur appartenaient de fixer eux-mêmes le montant de la créance et, ainsi, d’avoir méconnu leur office.
L’analyse des juges du fond est également censurée au visa des articles 214 et 1537 du Code civil, la Cour leur reprochant d’avoir aussi omis de rechercher, comme elle y était invitée par l’épouse, si le règlement par l’époux des échéances de l’emprunt ayant financé l’acquisition de l’immeuble indivis participait de l’exécution de son obligation de contribuer aux charges du mariage et si, le cas échéant, celui-ci prouvait que sa participation avait excédé ses facultés contributives.
Cette décision donne une illustration intéressante de l’interdiction, bien connue, du déni de justice, qui peut donc se traduire par l’interdiction faite au juge de déléguer ses pouvoirs. Alors que l’article 4 du Code civil, selon lequel le juge ne saurait tirer prétexte des insuffisances de la loi pour refuser de remplir son office, est généralement avancé pour justifier le pouvoir créateur de la jurisprudence, il est, sous un angle moins théorique, exploité par la jurisprudence récente pour rappeler au juge l’exacte étendue de sa mission. S’il est acquis que le juge ne peut refuser de juger sous prétexte des défauts de la loi, il ne peut davantage, ce que rappelle ici la Cour, refuser de trancher lui-même la contestation dont il est saisi sous prétexte de la possibilité technique que celle-ci soit tranchée par d’autres (v. déjà en ce sens Civ. 1re, 23 mai 2012 : au visa de l’article 4 du Code civil, la Cour de cassation casse la décision des juges du fond, rendue à propos d’une affaire de liquidation et de partage d’une communauté de biens entre époux, au motif qu’ils s’étaient dessaisis et avaient délégué leurs pouvoirs aux notaires liquidateurs, alors qu’ils leur incombait de trancher eux-mêmes la contestation dont ils étaient saisis).
Et l’intérêt de la décision rapportée ne se limite pas au rappel de cette interdiction, fondamentale et ancienne, du déni de justice. Elle a également le mérite de montrer comment la Cour de cassation règle la difficulté, régulièrement posée en jurisprudence, liée à l’acquisition d’un bien indivis par des époux, séparés de biens, engagés dans une procédure de divorce.
En effet, dans un tel cas, il est fréquent que l’un d’eux prétende être titulaire d’une créance, invoquant une plus grande participation financière que son conjoint pour l’acquisition, l’aménagement ou encore la rénovation du bien.
Or, comme en témoigne la décision commentée, le succès de cette action est rare en raison d’une obligation traditionnelle et propre au mariage : la contribution aux charges. En effet, les juges considèrent le plus souvent qu’en exposant certaines dépenses pour le bien indivis, notamment pour l’acquérir, le prétendu créancier n’a fait que s’acquitter de son obligation de contribuer aux charges du mariage. Si celles-ci incombent, par principe, aux deux époux, elles doivent toutefois être réparties à proportion de leurs facultés respectives en sorte que chacun des époux ne verse que ce dont il est possiblement redevable sans pouvoir, en contrepartie, se prévaloir d’une quelconque créance à l’encontre de son conjoint.
Ainsi, dans une série d’arrêts récents (v. not. Civ. 1re, 15 mai 2013 ; Civ. 1re, 12 juin 2013 ; Civ. 1re, 26 juin 2013), la Cour de cassation a-t-elle rappelé qu’avant de reconnaître l’existence d’une créance à l’époux ayant financé l’acquisition ou l’aménagement de la résidence principale ou secondaire du couple, il convient de vérifier que les paiements dont il se prévaut excèdent les dépenses qu’il était tenu de supporter en exécution de son obligation de contribution. Elle peine généralement à l’admettre dans la mesure où, naturellement, le seul déséquilibre, objectif, des dépenses exposées, ne suffit pas. Pour que la créance soit admise, encore faut-il rapporter la preuve que ce déséquilibre ne peut être justifié par l’inégale répartition, initiale, des facultés contributives. Or dans la majorité des cas, l’époux à qui la créance est opposée a, en fait, consacré au bien indivis la même proportion de ressource, même objectivement plus faible, que son conjoint.
Civ. 1re, 24 sept. 2014, n°13-21.005
Références
■ Code civil
« Le juge qui refusera de juger, sous prétexte du silence, de l'obscurité ou de l'insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice. »
« Si les conventions matrimoniales ne règlent pas la contribution des époux aux charges du mariage, ils y contribuent à proportion de leurs facultés respectives.
Si l'un des époux ne remplit pas ses obligations, il peut y être contraint par l'autre dans les formes prévues au code de procédure civile. »
Les époux contribuent aux charges du mariage suivant les conventions contenues en leur contrat ; et, s'il n'en existe point à cet égard, dans la proportion déterminée à l'article 214.
■ Civ. 1re, 23 mai 2012, n°11-12.813, Bull. civ. I, n°111.
■ Civ. 1re, 15 mai 2013, n°11-26.933, Bull. civ. I, n°94, Dalloz Actu Étudiant 7 juin 2013.
■ Civ. 1re, 12 juin 2013, n°11-26.748.
■ Civ. 1re, 26 juin 2013, n°12-13.366.
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