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Droit des obligations
Interdépendance contractuelle : le subjectivisme retenu
Lorsque l’exécution d’un contrat de maintenance se présente comme une condition déterminante du consentement à la conclusion du crédit-bail qui le finance, ces contrats doivent être considérés comme interdépendants en sorte que la résiliation du premier entraîne ipso jure la caducité du second.
Com. 5 févr. 2025, n° 23-16.749
Au sein d'un contrat, la caducité sanctionne la disparition d'un de "ses éléments essentiels" (C.civ., art. 1186, al. 1), sans que le texte précise toutefois quels sont ces "éléments essentiels". Si on les rapproche des éléments essentiels à la validité d'un contrat, il faudrait viser le consentement, la capacité et le contenu du contrat. Sous certaines réserves, la disparition de chacun de ces éléments après la conclusion du contrat conduit à la caducité de la convention.
Au sein d'un ensemble contractuel, la caducité permet de mettre fin à un contrat devenu inutile ou impossible à exécuter du fait de la disparition d'un autre. On distingue à cet égard l'indivisibilité objective, renvoyant à l’hypothèse dans laquelle la disparition d’un contrat rend matériellement impossible l’exécution de l’autre et l'indivisibilité subjective, renvoyant à l’hypothèse dans laquelle l'exécution du contrat disparu était une condition déterminante du consentement d'une partie à la conclusion des autres contrats constitutifs de l’ensemble contractuel (C. civ., art. 1186, al. 2)
Saisie de la caducité d’un contrat de crédit-bail souscrit en 2014 pour financer l’exécution d’un contrat de prestation antérieurement résolu, la Cour de cassation revient ici sur la caractérisation de l'interdépendance d’un ensemble contractuel. Délaissant la notion d’indivisibilité, elle abandonne l'ancien article 1218 du Code civil au profit de l'ancien article 1134 qui, par sa généralité, lui autorise l'emploi de la notion d'interdépendance consacrée en 2016, dont elle retient l’approche subjective dans des termes empruntés au droit nouveau, tel qu’il résulte de l’article 1186, alinéa 2. Par un clin d’œil assumé à cette nouvelle disposition, la chambre commerciale rappelle utilement que la volonté des parties peut rendre indivisibles deux conventions qui, objectivement, pourraient être exécutées isolément. Or nul ne peut plus ignorer la conséquence directe de cette connexité : ces contrats étant juridiquement indissociables, la disparition de l’un doit entraîner la caducité de l’autre, qui lui était subjectivement lié.
Au cas d’espèce, une société avait conclu un crédit-bail portant sur du matériel d’éclairage destiné à réaliser des économies d’énergie. Il était contractuellement prévu que ce matériel serait fourni et installé par un prestataire avec lequel la société crédit-preneuse avait concomitamment conclu un contrat de maintenance et de service pour une durée de dix ans. Après que le prestataire, confronté à d’importantes difficultés financières, fut soumis à une procédure collective, le juge-commissaire avait constaté la résiliation du contrat de prestation. Soutenant que les contrats de crédit-bail et de maintenance étaient interdépendants, la société cliente, destinataire de la résiliation, avait assigné le bailleur financier ainsi que le liquidateur du prestataire pour voir constater la caducité du contrat de crédit-bail et obtenir le remboursement de loyers. La cour d’appel rejeta sa demande aux motifs que la société opposant la caducité ne rapportait pas la preuve d’un contrat de maintenance et que l’interdépendance ne concernait que le bon de commande du matériel et le crédit-bail. La Cour de cassation casse cette décision pour manque de base légale, les juges du fond ayant omis de rechercher si le contrat de crédit-bail, dont l’existence n’était remise en cause par aucune des parties, n’avait pas été conclu en considération de la conclusion du contrat de maintenance, en exécution duquel le prestataire s’engageait à entretenir et garantir le matériel fourni à hauteur d’une somme annuelle représentant un pourcentage significatif des loyers dus au titre du crédit-bail, en sorte que la résiliation du contrat de maintenance justifiait de constater la caducité du contrat de crédit-bail, en raison de leur interdépendance. Autrement dit, la cour d’appel a manqué de caractériser l’interdépendance des contrats litigieux faute d’avoir pris en compte le consentement du client à conclure le crédit-bail en considération de l’existence du contrat de maintenance, l’expression de sa volonté contractuelle de lier ces conventions conduisant à retenir que la disparition de l’un doit entraîner la caducité de l’autre. La caractérisation d’un ensemble contractuel ayant ici pour intérêt de faire disparaître, en conséquence de la résiliation du contrat de prestation, un contrat de financement devenu inutile au crédit-preneur.
Si l’alternance des approches objective et subjective de l’interdépendance rend difficile la caractérisation de celle-ci, la Cour de cassation, en s’attribuant le contrôle de sa qualification, atténue ici la portée de la jurisprudence dominante favorable à une conception éminemment objective de l’interdépendance (depuis Cass. ch. mixte, 10 mai 2013, n° 11-22.768 et n° 11-22.927 ; v. Com. 10 janv. 2024, n° 22-20.466, annulant en conséquence de cette approche objective les clauses de divisibilité stipulées par les parties). Si la cassation est prononcée au visa de l’ancien article 1134 du Code civil, il semblerait que l’interdépendance à laquelle la Cour régulatrice rend ici hommage en soit décorrélée : il est permis de penser que l’interdépendance ici recherchée le soit à travers la référence implicite à l’alinéa 2 du nouvel article 1186, qui prévoit deux hypothèses de caducité dont celle dans laquelle « l'exécution du contrat disparu était une condition déterminante du consentement d'une partie ». Certes, l’article 1186, issu de l’ordonnance du 10 février 2016, était inapplicable à des contrats conclus en 2014. En outre, la loi de ratification du 20 avril 2018 a fait interdiction aux juges d’appliquer par anticipation la réforme de 2016 à des contrats antérieurs au 1er octobre 2016, fût-ce sous couvert d’ordre public ou d’effets légaux du contrat. Mais elle n’a rien dit de l’interprétation « à la lumière » des textes nouveaux, technique qui permet ici opportunément à la Cour de cassation d’appliquer officiellement les textes anciens, mais en leur donnant le sens prodigué par les textes nouveaux. En effet, se trouvent implicitement appliqués les nouveaux critères légaux de qualification de l’interdépendance contractuelle, lesquels imposent que lorsqu’elle ne résulte pas d’une impossibilité objective d’exécution, la caducité d’un contrat puisse être prononcée en conséquence de la disparition d'un autre contrat dont l'exécution était déterminante du consentement de la partie qui s'en prévaut, ce caractère déterminant devant en outre être connu par le contractant auquel il est opposé. Sans se prévaloir expressément de cette nouvelle disposition, l’auteur du pourvoi soutenait cette approche subjective de l’interdépendance en reprochant aux juges du fond de ne pas avoir recherché si l’exécution du contrat de maintenance n’avait pas été déterminante de son consentement à souscrire le contrat de crédit-bail, en sorte que la résiliation du premier obligeait les juges à constater la caducité du second. La Cour de cassation ne dit pas autre chose en censurant la cour d’appel pour avoir omis de rechercher si malgré leur indépendance objective, les contrats de maintenance et de crédit-bail n’avaient pas vu leurs sorts scellés par la volonté des parties de les unir. L’interdépendance ne s’infère pas ici de l’impossibilité matérielle d’exécuter un contrat sans l’autre. Elle procède autrement de la volonté contractuelle des parties de lier les conventions. En l’espèce, l’exécution du contrat de crédit-bail malgré la disparition du contrat de maintenance était matériellement possible, mais sans intérêt pour le client, en sa qualité de preneur financier. Objectivement, ce dernier aurait pu continuer à payer ses loyers sans jouir pour autant des luminaires loués, mais cette poursuite du contrat de crédit-bail était, sinon impossible, du moins privée d’intérêt pour lui. Dans ce cas, les parties doivent pouvoir se délier d'un contrat de financement devenu inutile, d’où la sanction à tort écartée par les juges du fond de la caducité du contrat de financement d’un matériel alors que le contrat de maintenance de ce matériel a été résolu.
Références :
■ Cass. ch. mixte, 10 mai 2013, n° 11-22.768 et n° 11-22.927 : D. 2013. 1658, note D. Mazeaud ; ibid. 2487, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny ; ibid. 2014. 630, obs. S. Amrani-Mekki et M. Mekki ; RTD civ. 2013. 597, obs. H. Barbier ; RTD com. 2013. 569, obs. D. Legeais
■ Com. 10 janv. 2024, n° 22-20.466 : DAE 30 janv.2024, note Merryl Hervieu ; D. 2024. 342, note G. Chantepie ; ibid. 275, obs. R. Boffa et M. Mekki ; ibid. 1154, chron. C. Bellino, T. Boutié et C. Lefeuvre ; ibid. 1877, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; RTD civ. 2024. 100, obs. H. Barbier ; RTD com. 2024. 147, obs. D. Legeais
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