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Droit des obligations
Interdépendance contractuelle : l’objectivisme maintenu
Dans une opération de location financière, l’interdépendance entre les contrats s’inscrivant dans l’opération des parties est caractérisée par la seule appartenance du contrat de location au groupe contractuel ; la connaissance de la société bailleresse de cette interdépendance se déduit de l’appartenance du contrat à l’opération comportant une location financière.
Com. 10 janv. 2024, n° 22-20.466
En 2013, la chambre mixte avait, sur le thème de l’interdépendance contractuelle, posé urbi et orbi et au mépris de la volonté contractuelle la règle suivante : « les contrats concomitants ou successifs qui s’inscrivent dans une opération incluant une location financière sont interdépendants ; […] sont réputées non écrites les clauses des contrats inconciliables avec cette interdépendance » (Cass., ch. mixte, 10 mai 2013, n° 11-22.768 et 11-22.927). Ainsi admettait-elle que l’interdépendance entre deux contrats résulte du seul fait que des contrats concomitants ou successifs s’inscrivent dans une opération globale incluant une location financière. Adoptant une approche purement objective de la notion d’interdépendance, elle rendait dispensable sa caractérisation, constituée par la seule appartenance au groupe de contrats d’un contrat de location financière. La volonté des parties se trouvait, en outre, refoulée par la nullité de toute clause incompatible avec cette interdépendance : lorsque plusieurs contrats sont objectivement liés mais que les parties stipulent qu’ils sont divisibles, il convient néanmoins de maintenir leur indivisibilité.
Quatre ans plus tard, la chambre commerciale en tira, sur le terrain de la sanction, la conséquence logique suivante : « Les contrats concomitants ou successifs qui s’inscrivent dans une opération incluant une location financière sont interdépendants et […] la résiliation de l’un quelconque d’entre eux entraîne la caducité, par voie de conséquence, des autres » (Com. 12 juill. 2017, n° 15-23.552 ; 15-27.703). Par automatisme, la disparition de l’un des contrats liés entraîne la caducité des autres.
En 2021, elle confirma cette analyse objective faute de pouvoir tenir compte, pour des raisons d’application de la loi dans le temps, de l’approche subjective apportée par la réforme de 2016, l’article 1186 nouveau du Code civil distinguant interdépendance objective et subjective (Com. 17 févr. 2021, n° 19-13.903). Classiquement, elle jugea que le seul fait que des contrats conclus, concomitamment ou successivement, s’inscrivent dans une opération incluant une location financière suffit à caractériser l’existence d’une interdépendance contractuelle, l'article 1186 nouveau du Code civil, inapplicable à un contrat conclu antérieurement au 1er octobre 2016, n’étant pas encore susceptible, à cette date, de remettre en cause la conception objectiviste de l'interdépendance. Ainsi la Cour décrétait-elle d’autorité que les contrats s’inscrivant dans une opération incluant une location financière étaient ipso jure interdépendants.
Appliquant pour la première fois, dans la décision rapportée, le nouveau texte de l’article 1186 à la notion d’interdépendance contractuelle, la Cour de cassation maintient pourtant le statu quo. Se trouve donc de nouveau manquée l’occasion d’affiner son approche purement objective de cette notion prétorienne que la réforme du droit des obligations opérée par l’ordonnance du 10 février 2016 avait voulu tempérer en intégrant, dans le Code civil, des éléments subjectifs nécessaires à sa caractérisation. En effet, l'article 1186 nouveau du Code distingue deux types d'interdépendance. La première est objective et correspond à l'hypothèse dans laquelle l'exécution d'un contrat est rendu impossible par la disparition de l'autre. La seconde est subjective et correspond à l'hypothèse dans laquelle l'exécution du contrat disparu est une condition déterminante du consentement d'une partie. On pouvait alors en déduire qu’en cas d'interdépendance objective, les clauses de divisibilité restent sans effet mais qu’à l'inverse, lorsque les contrats ne sont pas mécaniquement interdépendants, la volonté doit pouvoir déterminer leur sort, de sorte qu'il conviendrait de tenir des clauses de divisibilité / indivisibilité. Manifestement insensible à cette évolution législative, la Cour de cassation s’en tient à une approche objectiviste de l’interdépendance contractuelle.
Les faits du litige étaient les suivants. Le 27 octobre 2016, une association conclut auprès d’une société un contrat de location financière portant sur un photocopieur acquis par la société auprès d’un fournisseur avec lequel l’association conclut, le même jour, un contrat de maintenance. Placée en liquidation judiciaire le 12 septembre 2018, la société de maintenance cesse de maintenir le photocopieur. Le 11 octobre 2018, la cliente notifie alors au liquidateur judiciaire la résiliation du contrat de maintenance. Le 24 octobre 2018, se prévalant de l'interdépendance des contrats, la locataire notifie à la bailleresse sa volonté de se défaire du contrat de location. Cette dernière lui oppose le paiement d’une indemnité contractuelle de résiliation anticipée. Pour y échapper, la locataire excipe de la caducité du contrat de location financière : puisque celui-ci est indivisible du contrat de maintenance et que ce dernier est résilié, le contrat de location financière serait caduc. Ce raisonnement est écarté par la cour d’appel, pour trois raisons. Tout d’abord, les juges du fond mettent en application la clause de divisibilité des conventions stipulée dans les conditions générales du contrat de location, qui rendait autonomes le contrat de location du matériel et le contrat de maintenance de ce même matériel, leur indépendance expliquant que la locataire s’engageait à trouver un nouveau prestataire de maintenance dans le cas où le premier serait défaillant. Pour exclure la caducité du contrat, elle observe ensuite qu’il n’était pas établi que l’exécution du contrat de maintenance était impossible, car la locataire gardait la possibilité de conclure un nouveau contrat de maintenance. Enfin, elle ajoute sur le fondement de l’article 1186 nouveau du code civil qu’il n’était pas davantage établi que la bailleresse ait eu connaissance de l’interdépendance des contrats. Adoptant l’approche subjective de l’interdépendance consacrée par la réforme, la cour d’appel jugea ainsi qu’en l’espèce, celle-ci devait être écartée faute pour le bailleur financier d’avoir pu prendre connaissance du lien entre les contrats et fortiori, d’y consentir. À rebours de la position adoptée par la Cour de cassation depuis maintenant une décennie, la cour d’appel considérait donc, d’une part, que l’interdépendance entre deux contrats ne résulte pas du seul fait que des contrats concomitants ou successifs s’inscrivent dans une opération globale incluant une location financière ; encore faudrait-il démontrer la nécessaire information du bailleur sur les modalités et la finalité de l'opération considérée dans sa globalité, et sa volonté de consentir au financement envisagé ; d’autre part, même à supposer que l’interdépendance puisse s’inférer objectivement de l’existence d’une opération économique unique, il n’en demeure pas moins que les parties avaient fait ressortir par une clause appropriée leur volonté de rendre divisibles ces conventions.
Déboutée en appel, la locataire se pourvoit donc en cassation, avec succès puisque réfutant l’intégralité des arguments développés par la juridiction du second degré, la chambre commerciale censure sa décision. Entremêlant maladroitement le droit antérieur à la réforme et le droit nouveau, la Cour affirme tout d’abord que « (l)es contrats concomitants ou successifs qui s'inscrivent dans une opération incluant une location financière étant interdépendants, il en résulte que l'exécution de chacun de ces contrats est une condition déterminante du consentement des parties, de sorte que, lorsque l'un d'eux disparaît, les autres contrats sont caducs si le contractant contre lequel cette caducité est invoquée connaissait l'existence de l'opération d'ensemble lorsqu'il a donné son consentement ».
L’attendu est ambigu. En effet, de deux choses l’une. Soit les contrats qui s’inscrivent dans une opération incluant une location sont objectivement interdépendants, en ce sens qu’ils ne peuvent être utilement exécutés l’un sans l’autre, et la disparition de l’un entraîne mécaniquement la caducité des autres, hypothèse conforme à la jurisprudence antérieure, malgré le renouveau textuel. Soit cette interdépendance est subjective, comme le laisse entendre la Cour en visant "la condition déterminante du consentement des parties" ainsi que la connaissance de l'existence de l'opération d'ensemble, et il n’y a alors plus de raison d’ignorer la volonté des parties au point de juger, comme le fait ici la Cour en réitérant sa jurisprudence de 2013, que « dans les contrats formant une opération incluant une location financière, sont réputées non écrites les clauses inconciliables avec cette interdépendance ». Puisque dans cette hypothèse, l’interdépendance n’est pas objective mais subjective, les parties l’ayant elles-mêmes instaurée, pourquoi tenir en échec l’expression de leur volonté au motif de son incompatibilité avec une interdépendance prétendument objective ? Si les parties stipulent expressément que le contrat de maintenance existe de manière autonome et que le locataire s’engage, en cas de défaillance, à rechercher un nouveau prestataire de maintenance, sans faire disparaître le contrat de location, pourquoi le leur refuser ? Cette indifférence à la volonté des parties est d’autant moins compréhensible que si le contrat de maintenance dépend objectivement du contrat de location, la réciproque n’est pas vraie puisque le contrat de location peut poursuivre son exécution alors même que la maintenance n’est plus assurée par le prestataire initial. La volonté de la Cour de nier celle des parties questionne voire se conteste, à l’aune du droit nouveau ayant consacré l’interdépendance subjective. C’est en ce sens que l’alinéa 3 de l’article 1186 poursuit les précédents en disposant que « (l)a caducité n'intervient toutefois que si le contractant contre lequel elle est invoquée connaissait l'existence de l'opération d'ensemble lorsqu'il a donné son consentement », l’idée sous-jacente consistant à refuser de présumer la volonté du bailleur financier de rendre indivisibles les contrats.
Or pour refuser de prononcer la caducité du contrat de location financière, la cour d’appel s’était fondée sur la circonstance que la bailleresse n'avait pas été « sollicitée » lors de la signature du contrat de maintenance. Pour le dire autrement, quand bien même l’ensemble contractuel inclurait une location financière, il n’était pas établi que la bailleresse avait eu connaissance de l’existence du caractère global de l’opération projetée et consenti à celle-ci. L’argument aurait dû conduire la Cour à accorder une place plus importante à la volonté, ce qu’encourageait la réforme. Elle le balaye pourtant d’un revers de la main en raison de l’identité du jour de signature des deux contrats, impliquant que la bailleresse avait nécessairement eu connaissance, au jour où elle s'était engagée, de l'opération d'ensemble : « En statuant ainsi, alors que le contrat étant inclus dans une opération comportant une location financière, la société Leasecom avait nécessairement connaissance de l'existence de l'opération d'ensemble lorsqu'elle avait donné son consentement, la cour d'appel a violé le texte susvisé. »
Ainsi la Cour de cassation maintient son refus d’ajouter des conditions à la caractérisation de l’interdépendance, la circonstance que les contrats aient été conclus le même jour n’apparaissant pas décisive. Certes visée, la loi nouvelle reste pour l’heure inappliquée, la Cour de cassation trahissant, nous semble-t-il, sa réticence à teinter de subjectivité la notion d’indivisibilité qui demeure donc hermétique à la volonté, et même au consentement des parties. Malgré la réforme, sa position demeure constante : dès lors que l’opération inclut une location financière, est instaurée une présomption irréfragable d’interdépendance contre laquelle la volonté des parties est impuissante, les clauses de divisibilité restant sans effet même dans le cas où le contrat pourrait matériellement et économiquement continuer de recevoir exécution.
Références :
■ Cass., ch. mixte, 10 mai 2013, n° 11-22.768 et 11-22.927, Bull. ch. mixte, n° 1 : DAE 3 juin 2013, note M. H., D. 2013. 1658, note D. Mazeaud ; ibid. 2487, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny ; ibid. 2014. 630, obs. S. Amrani-Mekki et M. Mekki ; RTD civ. 2013. 597, obs. H. Barbier ; RTD com. 2013. 569, obs. D. Legeais
■ Com. 12 juill. 2017, n° 15-23.552 ; 15-27.703 : D. 2017. 1468 ; ibid. 2328, chron. A.-C. Le Bras, F. Jollec, T. Gauthier, S. Barbot et S. Tréard ; ibid. 2018. 371, obs. M. Mekki ; AJ contrat 2017. 429, obs. S. Bros ; RTD civ. 2017. 846, obs. H. Barbier ; RTD com. 2017. 671, obs. D. Legeais
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