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[ 2 juin 2025 ] Imprimer

Droit des obligations

Interdépendance contractuelle : limite procédurale à la sanction de la caducité

Lorsque des contrats sont interdépendants, l'annulation de l'un de ces contrats n'entraîne la caducité des autres que si toutes les parties au contrat annulé ont été attraites à l'instance en annulation.

Com. 7 mai 2025, n° 24-14.277

L’associé d'une société dont il était également salarié avait conclu avec celle-ci, ainsi qu’avec une autre société associée, un protocole transactionnel contenant deux engagements : un premier engagement de sa société à lui verser une indemnité compensatrice de la rupture de son contrat de travail ; un second engagement de l'associé à céder ses parts dans le capital de la première société au bénéfice de la seconde, pour un montant de 150 000 euros. Le même jour, la cession de parts sociales fut réalisée par un acte séparé. Le cédant avait ensuite assigné son ancienne société en nullité du protocole transactionnel, sans attraire à l'instance la société cessionnaire. Un arrêt d'appel devenu définitif avait prononcé la nullité de cette transaction. En conséquence de cette annulation, le cédant assigna les deux sociétés pour voir constater la caducité de la cession de parts sociales, qu’il jugeait interdépendante du protocole annulé. Bien qu'ayant constaté l'interdépendance des contrats de transaction et de cession, qui justifierait que l'annulation du premier entraîne la caducité du second, la cour d’appel refusa de constater la caducité de la cession de parts au motif que la société cessionnaire n'ayant pas été partie à l'instance en annulation de la transaction, cette annulation lui était inopposable. Devant la Cour de cassation, le cédant invoquait l'opposabilité erga omnes de la nullité de la transaction, privant d’incidence l'absence à l'instance en annulation de la partie à laquelle cette nullité est opposée. La Cour de cassation ne souscrit pas à cette analyse. Au nom du principe de la relativité de l'autorité de la chose jugée, qu’elle applique à l'interdépendance contractuelle, elle rejette le pourvoi sur le fondement de l'article 1351 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 (C. civ., art. 1355 nouv.), aux termes duquel un jugement ne peut créer de droits ni d'obligations en faveur ou à l'encontre de ceux qui n'ont été ni parties ni représentées dans la cause. Il s'ensuit que lorsque des contrats sont interdépendants, l'annulation, par une décision de justice, de l'un de ces contrats n'entraîne la caducité par voie de conséquence des autres que si toutes les parties au contrat annulé ont été attraites à l'instance en annulation. 

L’on sait qu’en cas de contrats interdépendants, tels que ceux de l’espèce conclus concomitamment pour former un tout indivisible (la cession de parts sociales étant une condition déterminante du protocole transactionnel, pt 9), la disparition de l’un d’eux rend caducs ceux qui lui étaient liés. 

À premières vues automatique, cette caducité n’est pourtant pas nécessairement encourue. En effet, la Cour affirme ici que l’annulation d’un contrat interdépendant n’entraîne la caducité des contrats qui lui sont liés qu’à la condition que toutes les parties au contrat annulé aient été attraites à l’instance en annulation. Au cas d’espèce, l’absence de la société cessionnaire à l’instance en annulation de la transaction interdisait donc de lui opposer la nullité de ce premier contrat et, par voie de conséquence, de constater la caducité du second contrat de cession concomitamment conclu et qui lui était lié. 

Cette solution doit être rapprochée d’une autre décision récente de la Cour de cassation en date du 5 février dernier qui, statuant dans le cadre de la résolution d’un contrat par voie de notification, admit de prononcer la caducité du contrat de financement d’un contrat de prestation antérieurement résolu, malgré l'absence de mise en cause du prestataire dont le contrat a pris fin dans l’instance en caducité (Com. 5 févr. 2025, n° 23-23.358, v. DAE, A vos copies, 4 mars 2025). Pour préserver l'unilatéralité et l'efficacité de la résolution par notification, qui prend la forme particulière d’une résolution unilatérale « sans juge », la Cour de cassation n’a pas estimé nécessaire, malgré l'interdépendance des contrats litigieux, d’exiger la mise en cause de toutes les parties pour constater la caducité du contrat indivisible de celui antérieurement résolu. Lorsque la disparition d'un contrat appartenant à un ensemble contractuel prend la voie d'une résolution unilatérale par voie de notification, cette résolution est donc opposable à celui contre lequel est invoquée la caducité du contrat lié au contrat préalablement résolu, bien que ce dernier n’ait pas été mis en cause. Cantonnée à la résolution « sans juge » du contrat, l'admission d'une telle dispense n'est pas transposable à la résolution judiciaire du contrat interdépendant, pas plus qu’elle ne l’est à son annulation par le juge : au cas de l’espèce où la disparition du premier contrat prend la forme d'une annulation, sanction nécessairement prononcée par un juge, la caducité du second contrat ne peut être constatée qu’à la condition que toutes les parties au contrat annulé aient été parties ou représentées à l’instance en annulation. L’autorité relative de la chose jugée attachée à la décision d’annulation commande cette exigence, qui marque un frein procédural à la notion d’indivisibilité contractuelle. Raison pour laquelle la caducité de la cession (second contrat) n'était pas ici encourue, la partie à laquelle elle était opposée n’ayant pas été partie ni représentée à l'action en justice ayant abouti au prononcé de la nullité de la transaction (premier contrat). Sa présence à l'instance en caducité du second contrat ne peut en outre pallier son absence à l'instance en annulation du premier. 

Dont acte : la liberté de mettre en cause celui auquel la caducité est opposée ne vaut qu’en cas de résolution extrajudiciaire, et s’arrête là où l’intervention du juge redevient nécessaire pour faire disparaître le contrat à l’origine de la caducité invoquée.

Référence :

■ Com. 5 févr. 2025, n° 23-23.358 : DAE, A vos copies, 4 mars 2025 ; D. 2025. 246

 

Auteur :Merryl Hervieu


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