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Procédure pénale
La motivation des arrêts des cours d’assises en France face à la CEDH
Mots-clefs : Cour d’assises, Motivation
L’absence de motivation d’un arrêt concluant à la culpabilité d’un accusé dans un procès avec jury populaire n’est pas, en soi, contraire à la Convention européenne des droits de l’homme dès lors que l’accusé dispose de garanties suffisantes lui permettant de comprendre le verdict de condamnation prononcé à son encontre.
Si les flux et reflux de la Cour européenne concernant la question de la motivation des arrêts d’assises ont pu être regrettés, les décisions rendues contre la France le 10 janvier 2013 semblent indiquer que sa position est enfin stable. Ces décisions donnent aussi raison au législateur d’avoir, malgré le brevet de constitutionnalité délivré par le Conseil constitutionnel (décis. n° 2011-113/115-QPC du 1er avr. 2011), introduit une obligation minimale de motivation préconisée par le Comité de réflexion sur la justice pénale présidé par Philippe Léger (v. M. Huyette).
En 2007, le premier requérant fut déclaré coupable, par la cour d’assises des Côtes d’Armor, de viols par ascendant sur sa fille, viols par personne ayant autorité sur sa belle-fille et agressions sexuelles par ascendant sur son autre fille, toutes les trois âgées de moins de 15 ans à l’époque des faits. Il fut condamné à une peine de 15 ans de réclusion criminelle.
Le second requérant fut condamné la même année par la cour d’assises des Bouches-du-Rhône à 20 ans de réclusion pour le meurtre d’une femme dont il était l’amant et l’avocat, après avoir préalablement bénéficié d’une ordonnance de non-lieu, puis d’un acquittement.
Les deux requérants avaient tenté sans succès d’obtenir la cassation des arrêts rendus au moyen tiré de l’absence de motivation de l’arrêt de la cour d’assises. L’impasse était prévisible puisque la chambre criminelle affirme de façon régulière que satisfait aux exigences légales et conventionnelles la condamnation prononcée par un arrêt d'assises qui, pour toute motivation, ne fait que reprendre les réponses qu'en leur intime conviction, magistrats et jurés, statuant dans la continuité des débats, ont donné aux questions sur la culpabilité (ex. : Crim. 20 janv. 2010).
Les requérants se sont donc tournés vers la juridiction européenne afin de faire reconnaître que l’absence de motivation des arrêts des cours d’assises les ayant condamnés à des peines de réclusion criminelle emporte une violation de l’article 6 § 1er Conv. EDH (droit à un procès équitable).
Reprenant sa solution dégagée dans l’affaire Taxquet c. Belgique (CEDH, gr. ch., 16 nov. 2010, Taxquet c. Belgique), la Cour admet que l’absence de motivation d’un arrêt concluant à la culpabilité d’un accusé dans un procès avec jury populaire n’est pas, en soi, contraire à la Convention européenne des droits de l’homme. Elle impose néanmoins aux États de permettre à l'accusé « de bénéficier de garanties suffisantes de nature à écarter tout risque d'arbitraire et à lui permettre de comprendre les raisons de sa condamnation ».
Vérifiant in concreto si ces garanties sont présentes, la Cour européenne des droits de l’homme conclut en l’espèce, à la non-violation de l’article 6 § 1er de la Conv. EDH dans la première affaire et à la violation de l’article 6 § 1er dans la seconde.
Si l'accent est essentiellement mis sur la pratique et l'exigence de précision des questions posées aux jurés, la Cour relève, d’abord, qu’en France tous les accusés bénéficient durant la procédure d’un certain nombre d’informations et de garanties : l’ordonnance de mise en accusation ou l’arrêt de la chambre de l’instruction en cas d’appel sont lus dans leur intégralité au cours des audiences d’assises, exposé oral et discussion contradictoire des charges en présence de l’avocat de l’accusé, magistrats et jurés ne se prononçant que sur les éléments contradictoirement examinés au cours des débats et possibilité d’un réexamen par une cour d’assises statuant en appel.
La Cour analyse, ensuite, dans les deux affaires « l’apport combiné de l’acte de mise en accusation et des questions posées au jury » lesquelles devant être « précises et individualisées » (Taxquet préc., : § 98).
S’agissant du premier requérant, la Cour estime que ce dernier a disposé de garanties suffisantes lui permettant de comprendre le verdict de condamnation qui a été prononcé à son encontre : l’acte de mise en accusation était particulièrement circonstancié, les charges ont été débattues pendant 3 jours et 12 questions, composant un ensemble précis et exempt d’ambiguïté sur ce qui était reproché au requérant, ont été posées.
À l’inverse, le second requérant n’a pas, selon la Cour, disposé de garanties suffisantes. La Cour relève que le requérant était le seul accusé et que l’affaire était très complexe. Il ressortait de l’arrêt de mise en accusation que le meurtre n’était pas formellement établi et que le moment et les modalités du crime supposé restaient inconnus. Quant aux questions posées au jury, l’enjeu était considérable, le requérant ayant été condamné à une peine de 20 ans de réclusion criminelle, après avoir bénéficié d’un non-lieu puis d’un acquittement. Or seulement 2 questions, non circonstanciées et laconiques ont été posées au jury.
Enfin, la Cour prend acte de la réforme introduite par la loi n° 2011-939 du 10 août 2011 sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs : depuis le 1er janvier 2012, les arrêts d'assises doivent être motivés (C. pr. pén., art. 365-1). Désormais, une « feuille de motivation » annexée à la feuille des questions, énonce les « principales raisons, qui pour chacun des faits reprochés à l'accusé, ont convaincu la cour d'assises ». Selon la juridiction européenne, « une telle réforme, semble donc a priori susceptible de renforcer significativement les garanties contre l’arbitraire et de favoriser la compréhension de la condamnation par l’accusé, conformément aux exigences de l’article 6 § 1er de la Convention ». Si la Cour relève la pertinence d’un tel progrès elle ne délivre pas pour autant un blanc-seing de conventionnalité.
CEDH 10 janv. 2013, Agnelet c/ France, n° 61198/08.
CEDH 10 janv. 2013, Legillon c/ France, n° 53406/10.
Références
■ Cons. conts. 1er avr. 2011, n° 2011-113/115-QPC, Dalloz Actu Étudiant 14 avr. 2011.
■ M. Huyette, « Quelles réformes pour la Cour d'assises ? », D. 2009. Chron. 2437.
■ Crim. 20 janv. 2010, n° 08-88.301.
■ CEDH, gr. ch., 16 nov. 2010, Taxquet c. Belgique, req. n° 926/05, Dalloz Actu Étudiant 26 nov. 2010 ; D. 2011. 47, obs. O. Bachelet.
■ Article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme - Droit à un procès équitable
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.
2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.
3. Tout accusé a droit notamment à :
a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ;
b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;
c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;
d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;
e) se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience. »
■ Article 365-1 du Code de procédure pénale
« Le président ou l'un des magistrats assesseurs par lui désigné rédige la motivation de l'arrêt.
En cas de condamnation, la motivation consiste dans l'énoncé des principaux éléments à charge qui, pour chacun des faits reprochés à l'accusé, ont convaincu la cour d'assises. Ces éléments sont ceux qui ont été exposés au cours des délibérations menées par la cour et le jury en application de l'article 356, préalablement aux votes sur les questions.
La motivation figure sur un document annexé à la feuille des questions appelé feuille de motivation, qui est signée conformément à l'article 364.
Lorsqu'en raison de la particulière complexité de l'affaire, liée au nombre des accusés ou des crimes qui leur sont reprochés, il n'est pas possible de rédiger immédiatement la feuille de motivation, celle-ci doit alors être rédigée, versée au dossier et déposée au greffe de la cour d'assises au plus tard dans un délai de trois jours à compter du prononcé de la décision. »
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