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Procédure pénale
La présence d’un journaliste lors d’une perquisition doit entraîner son annulation
La présence au cours de l’exécution d’une perquisition d’un tiers étranger à la procédure, ayant obtenu d’une autorité publique une autorisation à cette fin, fût-ce pour en relater le déroulement dans le but d’une information du public, constitue une violation du secret de l’enquête ou de l’instruction concomitante à l’accomplissement d’une perquisition, portant nécessairement atteinte aux intérêts de la personne qu’elle concerne.
Le 24 avril 2012, la SNCF porta plainte contre l’auteur d’une série de dégradations volontaires par graffitis et gravures portant la signature « OREAK » sur de nombreux équipements, commises entre le 18 mai 2011 et le 13 avril 2012. M. X. ayant reconnu la plupart des faits, il fut renvoyé devant le tribunal correctionnel pour dégradation de monument destiné à l’utilité ou à la décoration publique en récidive et pénétration, circulation ou stationnement dans une partie de la voie ferrée ou de ses dépendances non affectées à la circulation publique. Le tribunal correctionnel, par jugement du 15 octobre 2014, rejeta ses demandes en nullité d’actes de la procédure et ordonna un supplément d’information. Par jugement au fond en date du 16 juin 2016, le prévenu fut déclaré coupable pour les faits commis entre le 18 mai 2011 et le 27 mars 2012 et relaxé pour les autres. La cour d’appel de Paris confirma ce jugement et refusa de prononcer l’annulation, demandée par le prévenu, des opérations de perquisition et de saisie menées à son domicile en la présence de journalistes qui en avaient filmé le déroulement. Pour cela elle retint que la présence de journalistes, à elle seule, ne pouvait constituer un motif d’annulation sauf à démontrer qu’elle avait conduit les enquêteurs à ne pas respecter certaines règles définies par le code de procédure pénale.
Statuant sur le pourvoi formé par le prévenu, qui invoquait une violation des articles 6 (droit à un procès équitable) et 8 (droit au respect de la vie privée) de la Convention européenne des droits de l’homme, et 11 du Code de procédure pénale (secret de l’enquête et de l’instruction), la chambre criminelle casse et annule cette décision, renvoyant la cause et les parties devant la cour de Paris autrement composée. La Haute cour énonce, au visa des articles 11, 56, 76, 593 du Code de procédure pénale, que « constitue une violation du secret de l’enquête ou de l’instruction concomitante à l’accomplissement d’une perquisition, portant nécessairement atteinte aux intérêts de la personne qu’elle concerne, la présence au cours de l’exécution de cet acte, d’un tiers étranger à la procédure, ayant obtenu d’une autorité publique une autorisation à cette fin, fût-ce pour en relater le déroulement dans le but d’une information du public ». Et elle rappelle que « selon les articles 56 et 76 du code de procédure pénale, (…) à peine de nullité de la procédure, l'officier de police judiciaire a seul le droit, lors d'une perquisition, de prendre connaissance des papiers, documents ou données trouvés sur place, avant de procéder à leur saisie ». Constatant alors que « des journalistes ont assisté, avec l’autorisation des enquêteurs, à une perquisition au domicile du prévenu, et pris connaissance de documents utiles à la manifestation de la vérité, qui ont été immédiatement saisis et placés sous scellés », elle estime que la cour d’appel, qui en outre n’a pas correctement répondu aux conclusions présentées par la défense, a méconnu les textes et les principes par elle énoncés.
Par cet arrêt « PBI » promis à une large diffusion, la chambre criminelle entérine et amplifie une solution adoptée il y a deux ans presque jour pour jour, dans un arrêt du 10 janvier 2017 par lequel elle avait fait de l’irrégularité procédurale tirée de la captation par un journaliste du déroulement d’une perquisition une nouvelle cause de nullité d’intérêt privé assimilée à une nullité d’ordre public, dispensant alors la personne concernée de la preuve d’un grief (n° 16-84.740). Dans le présent arrêt, la Haute cour précise que le secret de l’enquête et de l’instruction posé à l’article 11 du Code de procédure pénale, comme les dispositions des articles 56 et 76 qui concernent le déroulement des visites domiciliaires, perquisitions et saisies (en enquête de flagrance et en enquête préliminaire) et garantissent notamment que seul un officier de police judiciaire est compétent pour prendre connaissance des éléments de preuve découverts et les saisir, prohibent la seule présence de journalistes, même autorisée, et même, précise la Chambre criminelle dans cet arrêt, lorsqu’il s’agit pour eux d’ « en relater le déroulement dans le but d’une information du public ».
On peut voir dans cette formule une référence à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme qui garantit le droit à la liberté d’expression, qui inclut la liberté de la presse, « chien de garde de la démocratie » (CEDH, gr. ch., 26 nov. 1991, Observer and Guardian c/ Royaume-Uni, n° 13585/88, § 59), d’informer le public sur des questions d’intérêt général. La Cour de Strasbourg, en particulier, a déjà souligné l’importance du rôle des médias dans le domaine de la justice pénale (par ex. CEDH 7 janv. 2007, Dupuis c/ France, n° 1914/02, § 42), en se fondant notamment sur la Recommandation Rec(2003)13 du Comité des ministres du Conseil de l’Europe qui consacre le droit du public de recevoir des informations sur les activités des autorités judiciaires et des services de police à travers les médias, ce qui implique de pouvoir rendre compte du fonctionnement du système de justice pénale (CEDH 28 juin 2012, Ressiot et a. c/ France, n° 15054/07 et 15066/07, § 102).
La chambre criminelle ne semble pas prête à sacrifier les intérêts de la justice (avec eux, ceux des justiciables) sur l’autel de la liberté d’information. Pas plus, d’ailleurs, que le Conseil constitutionnel qui, saisi sur QPC, a récemment estimé que l’article 11, alinéa 1er, du Code de procédure pénale qui pose le principe du secret de l’enquête et de l’instruction et empêche les journalistes de capter le déroulement d’une perquisition, ne méconnaissait pas l’article 11 de la Déclaration de 1789 qui garantit la liberté d’expression et de communication (Cons. const. 2 mars 2018, n° 2017-693 QPC).
Crim. 9 janv. 2019, n° 17-84.026
Références
■ Fiches d'orientation : Perquisitions, saisies, visites domiciliaires
■ Crim. 10 janv. 2017, n° 16-84.740 P : Dalloz Actu Étudiant, 9 févr. 2017 ; Dalloz actualité, 30 janv. 2017, obs. S. Fucini ; D. 2017. 1676, obs. J. Pradel ; AJ pénal 2017. 140, obs. J.-B. Thierry ; RSC 2017. 337, obs. F. Cordier
■ Cons. const. 2 mars 2018, n° 2017-693 QPC : Dalloz actualité 12 mars 2018, obs. S. Lavric; D. 2018. 462
■ CEDH, gr. ch., 26 nov. 1991, Observer and Guardian c/ Royaume-Uni, n° 13585/88: AJDA 1992. 15, chron. J.-F. Flauss ; RFDA 1992. 510, chron. V. Berger, C. Giakoumopoulos, H. Labayle et F. Sudre ; RSC 1992. 370, obs. L.-E. Pettiti
■ CEDH 28 juin 2012, Ressiot et a. c/ France, n° 15054/07 et 15066/07 : D. 2012. 2282, note E. Dreyer ; AJDA 2012. 1726, obs. L. Burgorgue-Larsen ; Constitutions 2012. 645, obs. D. de Bellescize ; RSC 2012. 603, obs. J. Francillon
■ CEDH 7 janv. 2007, Dupuis c/ France, n° 1914/02 : D. 2007. 2506, obs. J.-P. Marguénaud ; RSC 2007. 563, obs. J. Francillon
■ Déclaration de 1789
Article 11
« La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. »
■ Convention européenne des droits de l’homme
Article 6
« Droit à un procès équitable. 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès de la salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.
2. Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.
3. Tout accusé a droit notamment à:
a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu'il comprend et d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui;
b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense;
c) se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent;
d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge;
e) se faire assister gratuitement d'un interprète, s'il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l'audience. »
Article 8
« Droit au respect de la vie privée et familiale. 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
Article 10
« Liberté d'expression. 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations.
2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. »
■ Sur la liberté d’information, V. J.-F. Renucci, Droit européen des droits de l’homme, Lextenso, n° 184 s.
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