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[ 5 octobre 2022 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

La statue de l’archange Saint-Michel des Sables d’Olonne a-t-elle un caractère religieux ?

La cour administrative d’appel confirme que la statue de l’archange Saint-Michel doit être retirée du domaine public communal.

CAA Nantes, 16 septembre 2022, n° 22NT00333

Une statue représentant l’archange Saint-Michel auparavant placée dans l’école Saint-Michel (désormais détruite), a été érigée en 2018 sur domaine public de la commune des Sables d’Olonne sur la place Saint-Michel, devant l’église Saint-Michel, dans le quartier Saint-Michel. 

Au nom du principe de laïcité, la fédération de Vendée de la libre pensée a alors demandé au maire de procéder au retrait de cette statue. Le maire ayant refusé, cette fédération a saisi le tribunal administratif qui a fait droit à sa demande, la cour administrative d’appel a confirmé le jugement en demandant au maire de retirer la statue litigieuse du domaine public communal.

À la suite de la décision du tribunal administratif, le maire des Sables d'Olonne avait organisé en mars 2022 une consultation citoyenne locale (CGCT, art. L. 1112-15 s.) afin de savoir si les sablais souhaitaient que la statue Saint-Michel reste devant l’église Saint-Michel. 94,5 % des 4593 votants avaient répondu par l’affirmative (il s’agit simplement d’un avis donné par la population).

■ Rappel du principe de la laïcité

Le principe de laïcité est un principe constitutionnel :  « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi » (DDH, art. 10) ; « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances » » (Const. 58, art. 1er, al. 1er). Il s’ensuit que le principe de laïcité figure au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit. L’État doit être neutre ; la République ne reconnaît aucun culte. Ce principe impose notamment le respect de toutes les croyances, l'égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion. La République doit garantir le libre exercice des cultes et n’en salarie aucun (V. par Cons. const. 21 févr. 2013, n° 2012-297 QPC § 5). La loi du 9 décembre 1905 sur la séparation des Églises et de l’Etat traduit ces exigences constitutionnelles.

Les dispositions de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 «  définissent …, sous réserve des exceptions expressément prévues au même article, une interdiction ayant pour objet d’assurer la neutralité des personnes publiques à l’égard des cultes. Elles s’opposent à toute installation, dans un emplacement public, d’un signe ou emblème manifestant la reconnaissance d’un culte ou marquant une préférence religieuse ».

■ Quelle signification pour la statue de l’archange Saint-Michel ?

La commune présente la statue « … comme une œuvre d’art ancrée dans le patrimoine local et la mémoire des anciens élèves de l’école Saint-Michel… » et estime qu’elle ne présente pas le caractère d’un « signe ou emblème religieux » au sens de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905. Elle soutient également que la représentation de l’archange Saint-Michel peut revêtir une pluralité de significations. La statue litigieuse, est installée sur la place Saint-Michel, appartenant à son domaine public et présente un caractère culturel, historique, traditionnel, artistique et festif (CE, ass., 9 nov. 2016, Féd. de la libre pensée de Vendée, n° 395223). Elle est ainsi dénuée de tout signe expressément religieux tel qu’une croix, un poisson ou des crosses épiscopales. Saint-Michel est un emblème du quartier du même nom ainsi que le saint patron des parachutistes. 

Selon le juge administratif, la statue litigieuse présente un caractère religieux. Saint-Michel est le chef de la milice céleste des anges du Bien selon la religion abrahamique (judaïsme, christianisme et islam). Il est souvent « représenté au moment de la fin des temps, l’Apocalypse et la fondation du Royaume de Dieu, en chevalier terrassant le diable, il est désigné comme saint par l’Église orthodoxe et par l’Église catholique et, depuis avril 2017, il est également le saint patron de la Cité du Vatican en raison de la consécration du pape François et selon le vœu du pape émérite Benoît XVI ». Le juge en déduit que la statue de Saint-Michel appartient à l’iconographie chrétienne. Saint-Michel est également le « saint-patron » des parachutistes, prouvant un aspect de la dimension religieuse de la statue. Le fait que « l’utilisation du terme de saint patron ne soit pas propre à la religion catholique mais se trouve également chez les orthodoxes et les protestants, n’enlève pas à la statue son caractère religieux mais au contraire y participe ». Enfin, cette statue a été bénie par un prêtre catholique lors d’une cérémonie en 2018. Cette bénédiction « a le sens spirituel d’une invocation de Dieu par un représentant du clergé ». Même si celle-ci avait été demandée l’association des parachutistes et non par la commune. Cette statue exprime en l’espèce « la reconnaissance d'un culte ou la marque d’une préférence religieuse ».

■ La place Saint-Michel où se situe la statue de Saint-Michel est-elle une « dépendance de l’édifice du culte » ?

Pour qu’un emplacement soit qualifié de dépendance d’un édifice du culte ou plus exactement de dépendance immobilière nécessaire de l'église (V. L. 1905, art. 12 et 13 et L. du 2 janv. 1907 concernant l'exercice public des cultes, art. 5), il doit exister un lien fonctionnel entre la dépendance et l’église, « une soumission de cet emplacement au même régime juridique que l’église elle-même », c’est-à-dire que l’emplacement doit être affecté et associé à l’exercice du culte (CE, ass., 1er avr. 1938, Sieurs Laplanche-Coudert et autres, n° 53490). 

E l’espèce, cette place est utilisée comme parvis de l’église Saint-Michel mais elle constitue également une dépendance du domaine public communal empruntée par de nombreux piétons n’ayant pas pour objet une pratique religieuse. Elle ne peut donc être regardée comme constituant par elle-même un édifice servant au culte.

Il est par ailleurs constant que cette place ne constitue ni un terrain de sépulture, ni un monument funéraire, ni un lieu d’exposition (V. CE 11 mars 2022, n° 454076). Il n’apparaît donc pas qu’en lui-même cet emplacement public relèverait de l’une des exceptions limitativement énumérées par l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 au principe général d’interdiction d’élever ou d’apposer un signe ou un emblème religieux sur quelque emplacement public que ce soit.

La statue de l’archange Saint-Michel doit être retirée du domaine public de la commune ; le maire des Sables d’Olonne a formé un pourvoi devant le Conseil d’État pour contester cette décision. À suivre …

Références

■ Cons. const. 21 févr. 2013, n° 2012-297 QPC : AJDA 2013. 440 ; ibid. 1108, note E. Forey ; D. 2013. 510 ; ibid. 2014. 1516, obs. N. Jacquinot et A. Mangiavillano ; RFDA 2013. 663, chron. A. Roblot-Troizier et G. Tusseau

■ CE, ass., 9 nov. 2016, Féd. de la libre pensée de Vendée, n° 395223 A : DAE 14 nov. 2016 AJDA 2016. 2135 ; ibid. 2375, chron. L. Dutheillet de Lamothe et G. Odinet ; D. 2016. 2456, entretien D. Maus ; ibid. 2017. 345, édito. N. Dissaux ; AJCT 2017. 90, obs. F. De la Morena et M. Yazi-Roman ; ibid. 2018. 613, Pratique M. Bahouala ; JT 2016, n° 192, p. 13, obs. E. Royer ; RFDA 2017. 127, note J. Morange

■ CE, ass., 1er avr. 1938, Sieurs Laplanche-Coudert et autres, n° 53490 

■ CE 11 mars 2022, n° 454076 A : DAE 30 mars 2022, note Christelle de Gaudemont ; AJDA 2022. 551 ; ibid. 970, chron. D. Pradines et T. Janicot ; RDI 2022. 347, obs. J.-F. Giacuzzo ; AJCT 2022. 404, obs. G. Durand ; RFDA 2022. 523, note M. Le Roux

 

Auteur :Christelle de Gaudemont


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