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[ 20 juin 2025 ] Imprimer

Droit des obligations

L’action paulienne n’est pas exclue par l’homologation judiciaire

L’homologation judiciaire d’une transaction ne fait pas obstacle à une action en contestation de la transaction sur le fondement de l’action paulienne, qui ne constitue pas un recours contre la décision d’homologation. En effet, le juge de l’homologation saisi d’une demande tendant à conférer force exécutoire à une transaction ne contrôle que la nature de la convention qui lui est soumise et sa conformité à l’ordre public et aux bonnes mœurs. Ce seul contrôle n’exclut pas celui opéré par le juge du fond saisi d’une contestation de la validité de la convention ou d’une demande d’inopposabilité de celle-ci aux tiers. Dès lors, les créanciers peuvent, en leur nom personnel, former une action paulienne pour attaquer les actes faits par leur débiteur en fraude de leurs droits, y compris les actes homologués judiciairement.

Com. 4 juin 2025, n° 23-12.614

Au croisement du droit des obligations et du droit judiciaire privé, l’arrêt sélectionné témoigne de la vitalité de l’action paulienne dont la finalité protectrice des droits du créancier se trouve, à propos des transactions homologuées, de nouveau renforcée par la chambre commerciale, qui confirme ainsi l’orientation de sa jurisprudence récente (v. Com. 29 janv. 2025, n° 23-20.836). 

Au cas d’espèce, des photographes professionnels avaient confié la gestion et l'exploitation de leurs clichés à une société de presse, appartenant à un groupe éditorial ayant par la suite été cédé à un fonds d’investissement. Entre temps, la société exploitant les photographies fut placée en liquidation judiciaire. Après avoir constaté la perte de plusieurs clichés qu’ils avaient confiés à cette société, les photographes concernés ont déclaré leur créance au passif de la procédure collective. Ils ont, en outre, formé une action paulienne à l’encontre des deux sociétés parties à la cession du groupe d’édition aux fins de se voir déclarer inopposables plusieurs actes ayant eu pour effet prétendu d’appauvrir la société débitrice, dont un protocole transactionnel judiciairement homologué. 

En cause d’appel, leur demande d'inopposabilité de la transaction homologuée est rejetée au motif que le jugement d’homologation ne peut être attaqué que par les voies de recours ouvertes par la loi, au nombre desquelles ne figure pas l'action paulienne. 

Pour censurer cette décision, la Cour de cassation distingue deux contrôles : le premier, opéré par le juge de l’homologation, vise à contrôler la nature de la convention à homologuer et sa conformité à l’ordre public et aux bonnes mœurs ; le second, opéré par le juge du fond, a pour finalité distincte de trancher une contestation relative à la validité de la transaction (v. déjà, Civ. 1re, 14 sept. 2022, n° 17-15.388) ou, et la précision est nouvelle, de la déclarer inopposable aux tiers, notamment aux créanciers lésés par cette transaction lorsque la conclusion de celle-ci est intervenue en fraude de leurs droits (pt n°6). C’est précisément parce que seule la transaction homologuée est attaquée, et non la décision d’homologation elle-même, que la Cour de cassation admet ici la compatibilité de ces deux contrôles et juge qu'en l’espèce, l’action paulienne des photographes n'est pas rendue irrecevable par l'homologation du protocole attaqué. 

Ce faisant, elle dégage le principe nouveau, fondé sur les articles 2052 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à la réforme de 2016, et 1441-4 du Code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 98-1231 du 28 décembre 1998, selon lequel l'action paulienne peut être exercée contre une transaction homologuée judiciairement. Rappelant le mécanisme de l’action paulienne, qui permet aux créanciers d’attaquer, en leur nom personnel, les actes accomplis par leur débiteur en fraude de leurs droits, la chambre commerciale en étend le champ d’application aux actes ayant fait l’objet d’une homologation judiciaire leur conférant force exécutoire. De cette façon, l’homologation se présente comme un vecteur de la force exécutoire de l’acte, et non comme un obstacle à sa contestation ultérieure. Cette approche se comprend à l’aune de l’autorité de la chose jugée : opérant un contrôle léger, le juge de l’homologation, qui n’est pas saisi de la validité de l’acte, ne juge de rien à cet égard, en sorte qu’aucune fin de non-recevoir ne peut à ce titre être soulevée. Se voit ainsi désavouée la cour d’appel qui, par assimilation de la transaction attaquée au jugement l’ayant homologuée, a rendu la convention homologuée inattaquable, alors qu’elle reste un acte conventionnel susceptible d’être contesté, autant dans sa validité que dans ses effets. Soulignons que c’est ce dernier pan de la motivation qui rend l’arrêt novateur : si la possibilité de remettre en cause la validité de la transaction homologuée avait déjà été reconnue (Civ. 1re, 14 sept. 2022, préc.), celle de voir déclarer son inopposabilité est pour la première fois explicitement admise, sur le fondement de l’action paulienne. Logique, cette extension doit être approuvée : on ne comprendrait pas en quoi l’action paulienne, conduisant à l’inopposabilité de l’acte attaqué, devrait suivre un sort différent de la contestation de la validité de l’acte, susceptible d’aboutir à sa nullité. À plus forte raison, la sanction moins drastique de l’inopposabilité, qui ne réduit pas à néant l’acte attaqué, doit également pouvoir frapper le contrat, même homologué. 

Dont acte : l’homologation ne peut faire obstacle à des contestations sur la validité de l’acte, pas plus qu’à une action paulienne diligentée par un créancier. Fermée contre les jugements, l’action paulienne reste ouverte aux créanciers désireux d’attaquer les actes, nonobstant leur homologation judiciaire, qui les ont appauvris. 

Références :

■ Com. 29 janv.2025, n° 23-20.836 : DAE 4 mars 2025, note Merryl Hervieu ; D. 2025. 619, note C. Revet ; RCJPP 2025, n° 02, p. 32, obs. N. Bargue ; RTD civ. 2025. 91, obs. H. Barbier

■ Civ. 1re, 14 sept. 2022, n° 17-15.388 : D. 2022. 1597 ; Rev. prat. rec. 2022. 7, chron. D. Cholet, R. Laher, O. Salati et A. Yatera ; ibid. 2023. 34, chron. B. Gorchs-Gelzer ; RTD civ. 2022. 964, obs. P. Théry

 

Auteur :Merryl Hervieu


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