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[ 6 décembre 2013 ] Imprimer

Droit de la famille

Le droit au respect de la vie privée et familiale justifie la validité d’un mariage entre alliés en ligne directe

Mots-clefs : Mariage, Alliés, Empêchement, Opposition (non), Durée, Droit au respect de la vie privée et familiale

Est cassé au visa de l’article 8 Conv. EDH l’arrêt d’appel qui a prononcé la nullité d’un mariage entre un ex-beau-père et son ex-belle-fille au motif que cette annulation revêt, à l’égard de l’épouse, le caractère d’une ingérence injustifiée dans l’exercice de son droit au respect de sa vie privée et familiale dès lors que cette union, célébrée sans opposition, a duré plus de vingt ans.

L’article 161 du Code civil prohibe le mariage entre alliés en ligne directe. Cependant, le président de la République a la possibilité de lever cette prohibition, pour une cause grave, lorsque la personne qui créait l’alliance est décédée (C. civ. art. 164). Si un mariage est célébré malgré tout, la sanction est la nullité absolue. Le mariage peut alors être contesté durant 30 ans à compter de sa célébration par les époux, le ministère public ou toute personne qui y a un intérêt (C. civ. art. 184).

En l’espèce, une femme et un homme ont divorcé après 11 ans de mariage. À la suite de ce divorce, l’ex-épouse s’est remariée avec le père de son ex-mari. Lors de ce mariage, aucune opposition n’a été formée. L’époux est décédé 22 ans après le mariage en instituant son épouse légataire universelle. Le fils de l’époux décédé (également ex-mari) a alors introduit une action en nullité du mariage de son père.

La cour d’appel saisie du litige a prononcé l’annulation du mariage en se fondant sur l’article 161 du Code civil, qui interdit expressément cette union afin de sauvegarder  l’homogénéité de la famille. L’épouse arguait, quant à elle, d’une atteinte à la substance du mariage au visa de l’article 12 de la Conv. EDH (droit au mariage) et se fondait sur un arrêt de la CEDH qui avait condamné le Royaume-Uni pour avoir refusé de célébrer un mariage dans un cas similaire (CEDH 13 sept. 2005, B. et L. c/ Royaume-Uni).

Le recours à l’article 12 de la Conv. EDH peut paraître surprenant car il confère le droit de se marier « selon les lois nationales régissant l’exercice de ce droit », ce qui semble autoriser qu’une législation interne ait recours à des empêchements à mariage. C’est pourtant sur ce fondement qu’effectivement la CEDH avait condamné le Royaume-Uni, qui refusait de célébrer le mariage entre un ex-beau-père et son ex-bru, en affirmant que les limitations internes ne doivent pas être d’une sévérité telle que le droit au mariage se trouve atteint dans sa substance (CEDH 13 sept. 2005, B. et L. c/ Royaume-Uni, préc.).

En l’espèce, l’épouse a formé un pourvoi en cassation.

La Haute cour relève d’office le moyen tiré de la violation par la cour d’appel de l’article 8 de la Conv. EDH au motif qu’il y a eu violation du droit au respect de la vie privée et familiale de la demanderesse, et casse l’arrêt.

Sanctionnant ainsi l’officier d’état civil, elle rappelle que l’union était formée depuis 22 ans et qu’aucune opposition n’était intervenue, alors même que les pièces d’état civil fournies lors de la célébration du mariage révélaient l’empêchement. Pour la Cour de cassation, il n’y a donc pas lieu d’apporter une atteinte injustifiée au droit au respect de la vie privée et familiale dès lors que l’union en cause a duré plus de vingt ans.

Cette solution inédite n’est pas conforme à la lettre de la loi, la Cour de cassation faisant prévaloir l’interprétation de la Convention européenne des droits de l’homme à l’article 161 du Code civil. Ainsi, le principe de l’article 12 Conv. EDH demeure applicable : chaque État peut prévoir dans sa législation des empêchements à mariage, tant que cela n’atteint pas la substance même du droit au mariage. Cependant, cette possibilité réservée aux États doit être interprétée à la lumière des autres droits que la Convention protège, il en va ainsi du droit au respect de la vie privée et familiale (Conv. EDH, art. 8).

Le droit au respect de la vie privée imposerait donc qu’un mariage qui a duré 22 ans ne puisse pas être remis en cause. Cette solution a le mérite de prendre en considération une situation acquise de longue date. Cependant, même si la Cour de cassation prend soin de préciser que cette décision est limitée au cas particulier de l’espèce et ne remet pas en cause le principe de la prohibition du mariage entre alliés (C. civ. art. 161), il convient de se demander dans quelle mesure la Cour de cassation considérera que le droit au respect de la vie privée et familiale prévaut sur la lettre du Code civil : combien de temps faudra-t-il être resté marié, sans aucune contestation de toute part, pour que l’écoulement du temps justifie que la loi soit écartée ?

Si le délai de prescription de 30 ans a été maintenu par la loi n°2008-561 du 17 juin 2008 en matière d’action en nullité absolue du mariage (C. civ. art. 184 et Civ. 1re, 29 mai 2013), les 20 ans de durée du mariage semblent constituer un véritable droit à l’oubli produisant les mêmes effets qu’un véritable délai de prescription.

Civ. 1re, 4 déc. 2013, n°12-26.066 

Références

 CEDH 13 sept. 2005, B. et L. c/ Royaume-Uni, n°36536/02, RTD civ. 2005. 758, obs. J. Hauser ; ibid. 735, obs. MarguénaudDr. fam. 2005, n° 234, note A. Gouttenoire et M. Lamarche.

 Civ. 1re, 29 mai 2013, n°12-15.001, Dalloz Actu Étudiants 17 juin 2013.

■ Code civil

Article 161

« En ligne directe, le mariage est prohibé entre tous les ascendants et descendants et les alliés dans la même ligne. »

Article 164

« Néanmoins, il est loisible au Président de la République de lever, pour des causes graves, les prohibitions portées : 

1° par l'article 161 aux mariages entre alliés en ligne directe lorsque la personne qui a créé l'alliance est décédée ; 

2° (abrogé) ; 

3° Par l'article 163. »

Article 184

« Tout mariage contracté en contravention aux dispositions contenues aux articles 144146, 146-1147161162 et 163 peut être attaqué, dans un délai de trente ans à compter de sa célébration, soit par les époux eux-mêmes, soit par tous ceux qui y ont intérêt, soit par le ministère public. »

■ Convention européenne des droits de l’homme

Article 8 - Droit au respect de la vie privée et familiale 

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. » 

Article 12 - Droit au mariage 

« À partir de l’âge nubile, l’homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l’exercice de ce droit. » 

 

Auteur :C. D.

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