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Procédure pénale

Le droit de se taire devant les juridictions de l'application des peines

La notification du droit de se taire devant les juridictions pénales, telle que prévue par l’article 406 du code de procédure pénale, n’est pas applicable devant les juridictions de l’application des peines. 

Crim. 14 sept. 2022, n° 21-86.796

Dans cette affaire, le demandeur avait été condamné à une peine de cinq ans d’emprisonnement, dont trois avec sursis et mise à l’épreuve, par la cour d’appel de Grenoble. Par la suite, il a été jugé par la Chambre de l’application des peines de Gap, qui a révoqué son sursis avec mise à l’épreuve à hauteur de dix-huit mois, par arrêt du 2 février 2021. 

À l’appui de son pourvoi, le demandeur invoque l’absence de notification de son droit de se taire lors de son audience devant la chambre de l’application des peines, violant ainsi l’article 406 du code de procédure pénale, ainsi que l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme.

La Cour de cassation rejette son pourvoi. Pour cela, elle note que les dispositions régissant les débats devant les juridictions de l’application des peines ne prévoient pas de notification du droit de se taire (C. pr. pén., art. 712-6712-13 et D. 49-42). Et elle retient que « Les dispositions relatives au droit de se taire devant les juridictions pénales, qui ont pour objet d'empêcher qu'une personne prévenue d'une infraction ne contribue à sa propre incrimination, ne sont pas applicables devant les juridictions de l'application des peines, qui se prononcent seulement sur les modalités d'exécution d'une sanction décidée par la juridiction de jugement » (§ 9).

■ Droit de se taire

En droit interne, le droit de se taire est consacré à l’article préliminaire du code de procédure pénale, parmi les principes directeurs de la procédure pénale. Plus précisément, il est pensé comme un corollaire du droit à la présomption d’innocence puisqu’il est consacré à l’alinéa 7, du paragraphe III, prévoyant ce droit.  

Le Conseil constitutionnel a consacré la valeur constitutionnelle du droit de se taire, par référence à l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui garantit la présomption d’innocence (Cons. constit, 4 mars 2021, n° 2020-886 QPC ; déclarant inconstitutionnel l’article 395 du code de procédure pénale en ce qu’il ne prévoyait pas de notification du droit de se taire pour le prévenu traduit devant le juge des libertés et de la détention lors d’une procédure de comparution immédiate).

En droit européen des droits de l’homme, l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme consacre le droit à un procès équitable, duquel découle les droits de la défense (art. 6§3) ainsi que le droit à la présomption d’innocence (art. 6§2). Bien que cet article ne mentionne pas expressément l’existence d’un droit de se taire, la Cour européenne des droits de l’Homme a consacré le droit de se taire et de ne pas s’auto-incriminer dans sa jurisprudence (CEDH, 25 févr. 1993, Funke c. France, n° 10828/84, §44 – CEDH, 29 juin 2007, O’Halloran et Francis c. Royaume-Uni, n° 15809/02, §45).

■ Portée du droit de se taire

Le droit de se taire, bien que consacré, n’est pas un droit « absolu » au sens de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH, 8 févr. 1996, John Murray c. Royaume-Uni, n° 18731/91, §47 – CEDH, 13 sept. 2016, Ibrahim et autres c. Royaume-Uni, nos 50541/08, 50571/08, 50573/08 et 40351/09, §269). Partant, ce droit souffre nécessairement de restrictions. 

L’une des restrictions tient au champ d’application de ce droit, réservé aux « accusés ». L’« accusation en matière pénale » est une notion autonome de la CEDH qui couvre les personnes ayant reçu « la notification officielle, émanant de l’autorité compétente, du reproche d’avoir accompli une infraction pénale » et vise ainsi les seuls suspects (CEDH, 27 févr. 1980, Deweer c. Belgique, n° 6903/75, §§42 et 46 – CEDH, 15 juill. 1982, Eckle c. Allemagne, n° 8130/78, §73. – CEDH, 12 mai 2017, Simeonovi c. Bulgarie, n° 21980/04, §110). D’ailleurs, la Cour a explicitement exclu du champ de l’article 6 les questions relatives aux modalités d’exécution des peines privatives de liberté pour les détenus déjà condamnés (CEDH, 3 avr. 2012, Boulois c. Luxembourg, n° 37575/04)

Le droit français rejoint ainsi la jurisprudence européenne sur le bénéfice de ce droit aux seuls « accusés » puisqu’il est prévu au stade de la garde à vue (C. pr. pén., art. 63-1, 3°, al. 8), lorsque la personne suspectée ou poursuivie est soumise à une mesure privative de liberté (C. pr. pén., art 803-6, 2°) et au stade du jugement (C. pr. pén., art. 328 et 406), c’est-à-dire, avant toute condamnation.

■ Garanties procédurales devant les juridictions de l’application des peines

Pour rappel, il existe deux juridictions de l’application des peines du premier degré : le juge de l’application des peines et le tribunal de l’application des peines. Elles sont chargées de connaître des modalités de l’exécution des peines privatives ou restrictives de liberté (C. pr. pén., art. 712-1, al. 1er). Le juge de l’application des peines est juge de droit commun en la matière, le tribunal de l’application des peines bénéficiant, quant à lui, d’une compétence d’attribution, notamment pour le relèvement des périodes de sûreté (C. pr. pén., art. 720-4), pour les réductions de peine exceptionnelles (C. pr. pén., art. 721-3) ou encore les suspensions médicales de peine (C. pr. pén., art. 720-1-1).

Si la personne condamnée, libre ou détenue, comparaissant devant une juridiction de l’application des peines ne bénéficie pas des garanties relatives à la présomption d’innocence, la procédure applicable est tout de même entourée de garanties. 

Tout d’abord, les détenus ont droit à un recours effectif, sur le fondement de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme, ce qui a conduit à la mise en place d’un référé conditions indignes (C. pénit., art. L 315-9 ; C. pr. pén., art. 803-8). Un droit d’appel est ouvert devant la chambre de l’application des peines (C. pr. pén., art. 712-11 s. ; D. 49-39 s.) et les décisions rendues doivent être motivées (C. pr. pén., art. 712-8). 

En outre, les procédures devant les juridictions d’application des peines obéissent au principe du contradictoire et le condamné bénéficie du droit à l’assistance d’un avocat (C. pr. pén., art. 712-6). 

Références :

■ Cons. constit, 4 mars 2021, n° 2020-886 QPC : D. 2021. 473, et les obs. ; ibid. 2022. 1228, obs. E. Debaets et N. Jacquinot

■ CEDH, 25 févr. 1993, Funke c. France, n° 10828/84 : AJDA 1993. 483, chron. J.-F. Flauss ; D. 1993. 457, note J. Pannier ; ibid. 387, obs. J.-F. Renucci ; RFDA 1994. 1182, chron. C. Giakoumopoulos, M. Keller, H. Labayle et F. Sudre ; RSC 1993. 581, obs. L.-E. Pettiti ; ibid. 1994. 362, obs. R. Koering-Joulin ; ibid. 537, obs. D. Viriot-Barrial

■ CEDH, 29 juin 2007, O’Halloran et Francis c. Royaume-Uni, n° 15809/02 Rev. UE 2015. 353, étude M. Mezaguer

■ CEDH, 8 févr. 1996, John Murray c. Royaume-Uni, n° 18731/91 : AJDA 1996. 1005, chron. J.-F. Flauss ; ibid. 1997. 977, chron. J.-F. Flauss ; RSC 1997. 476, obs. R. Koering-Joulin ; ibid. 481, obs. R. Koering-Joulin

■ CEDH, 13 sept. 2016, Ibrahim et autres c. Royaume-Uni, nos 50541/08, 50571/08, 50573/08 et 40351/09 D. 2016. 1862, obs. C. de presse ; RSC 2017. 130, obs. J.-P. Marguénaud

■ CEDH, 27 févr. 1980, Deweer c. Belgique, n° 6903/75 Rev. UE 2015. 353, étude M. Mezaguer

■ CEDH, 15 juill. 1982, Eckle c. Allemagne, n° 8130/78 

■ CEDH, 12 mai 2017, Simeonovi c. Bulgarie, n° 21980/04

■ CEDH, 3 avr. 2012, Boulois c. Luxembourg, n° 37575/04 AJ pénal 2012. 352, obs. M. Herzog-Evans Focus

■ Focus sur : Le droit de se taire en droit pénal

 

Auteur :Ophélia Yove


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