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Le Président de la République et l’humour satirique : injure neutralisée !
Les affiches comparant le Président de la République aux plus hauts dignitaires du régime nazi et du régime de Vichy à propos de sa gestion du pass vaccinal, pour outrageantes qu’elles soient, ne dépassent pas les limites admissibles de la liberté d’expression dès lors qu’elles participent à un débat d’intérêt général et présentent un caractère humoristique.
Crim 13 déc. 2022, n° 22-82.189
Les tensions générées pendant la période covid ont conduit à des discussions enflammées et des propos véhéments. Dans cette affaire, deux affiches avaient été exposées sur la voie publique. La première consistait en un photomontage présentant le Président de la République Emmanuel Macron sous les traits d’Adolf Hitler, le logo du parti LREM sous forme de croix gammée et le texte suivant : « Obéis ; fais-toi vacciner ». Sur le bord du cadre de l’affiche se trouvait également la mention « affichage satirique et parodique ». Une seconde affiche était en cause. Cette dernière présentait cette fois en miroir Philippe Pétain et le Président de la République affublé de la même tenue avec la mention « il n'y a qu'un pass à franchir ». Il est à noter que l’auteur des affiches, loin de se cacher, avait indiqué son nom sur les deux.
Cette double comparaison a conduit le Président de la République à déposer une plainte pour injure publique envers sa propre personne (L. du 29 juill. 1881, art. 29, 31 et 32 al. 1). Le tribunal correctionnel puis la cour d’appel lui donnent raison et condamnent l’auteur des affiches. L’affaire est alors soumise à la Cour de cassation qui casse et annule l’arrêt rendu par la cour d’appel sans renvoyer l’affaire, neutralisant la répression de l’injure et mettant ainsi fin à la procédure.
Dans cet arrêt, la qualification des faits n’était pas en cause, la chambre criminelle de la Cour de cassation constatant, ce qui ne faisait pas de doute, que les affiches présentaient un caractère outrageant. L’absence d’imputation d’un fait précis permettait d’écarter la diffamation au profit de l’injure. En outre, il est admis depuis longtemps qu’un rapprochement avec l’Allemagne nazie peut être injurieux (Crim. 21 juin 2005, no 04-85.778). L’outrage fait au Président de la République a constitué pendant longtemps une offense, mais que tel n’est plus le cas depuis la loi du 5 août 2013 (n° 2013-711) qui a fait disparaître cette qualification tout en créant celle d’injure publique faite au Président de la République à l’article 31 de la loi du 29 juillet 1881. Ce changement, faut-il le rappeler, résultait de l’affaire dite « Casse toi pauv’con » qui visait un autre Président et qui avait donné lieu à une condamnation de la France dans l’affaire Eon c/ France (CEDH 14 mars 2013, no 26118/10).
La présente affaire permet de rappeler que le propos outrageant, portant atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne, peut non seulement prendre la forme d’un texte, mais aussi d’une image (v. l’affaire « Shoah où t’es ? » à propos d’une injure présentant un caractère discriminatoire : Crim., 22 janv. 2019, n° 18-81.779). D’un point de vue procédural, une telle infraction doit faire l’objet d’une plainte par le Président de la République (L. du 29 juill. 1881, art. 48 3°) ce qui avait été réalisé en l’espèce. Dès lors chacune des affiches constituait une injure publique faite au Président de la République poursuivable.
L’enjeu de l’arrêt était toutefois ailleurs. L’argument essentiel soulevé dans le pourvoi étant celui de la liberté d’expression, protégée par l’article 10 de la Conv. EDH. L’auteur du pourvoi cherchait à montrer que ce dernier principe devait ici neutraliser la répression, ce que la Cour admet. Ce mécanisme ne saurait être analysé en une cause d’irresponsabilité, mais bien comme une exception d’inconventionnalité permettant de résoudre un conflit entre deux valeurs, liberté d’expression d’un côté, honneur et considération de la personne, de l’autre (v. E. Dreyer, « La Convention européenne des droits de l'homme comme cause d'irresponsabilité pénale ? », D. 2023. 124).
Pour la mettre en œuvre, la chambre criminelle se place, comme elle le fait de manière constante, dans les pas de la CEDH, en vérifiant si la condamnation constitue une atteinte nécessaire à la liberté d’expression.
Sur le fond d’abord, la Cour constate que l’affiche s’inscrit dans le contexte d’un débat d’intérêt général, en l’occurrence, celui du pass vaccinal. La notion de débat d’intérêt général, bien connue, a pour vocation de renforcer la liberté d’expression. Au-delà de la seule question de l’injure, la CEDH dispose d’une conception fort large de la notion, incluant à la fois les questions inscrites par nature dans l’espace public, ce qui était le cas pour le pass vaccinal, mais aussi les questions qui apparaissent de nature privée, mais qui peuvent ponctuellement présenter un intérêt pour la société. Il en est ainsi des questions parfois très intimes comme celles de l’orientation sexuelle si elles sont utiles au débat public (Civ. 1re, 9 avr. 2015, no 14-14.146). Le débat paraissait alors doublement général, faisant référence à la gestion de la crise du covid par les pouvoirs publics et visant la personne du Président de la République.
Pourtant, la double comparaison opérée dans les affiches pouvait encore relever, faute de mesure, de l’injure même en présence d’un débat d’intérêt général. La chambre criminelle met en évidence le fait que le propos présentait un caractère ouvertement satirique et humoristique. La CEDH et la Cour de cassation offrent là encore, une plus grande latitude à l’auteur du propos humoristique comme elles le font pour le propos tenu dans un contexte politique.
En l’espèce, la Cour procède de deux manières différentes pour reconnaître le caractère satirique. Pour la première affiche, elle s’appuie sur la mention explicite figurant en bas de l’affiche, cette dernière paraissant constituer une information nécessaire et suffisante pour déduire la volonté satirique de l’auteur. Pour la seconde, la Cour se réfère davantage à la teneur du propos, le constat de l’existence d’un jeu de mots (« il n'y a qu'un pass à franchir ») suffisant à considérer que le propos est humoristique sans se prononcer, ce qui aurait été une appréciation bien plus morale, sur la qualité de cet humour. L’humour permet alors de disposer d’une dose d’exagération supplémentaire. L’injure a ainsi pu faire l’objet d’une neutralisation à propos de l’arbre généalogique d’une présidente de parti politique présenté sous forme de croix gammée (Crim. 20 sept. 2016, n° 15-82.944) ou la comparaison de cette même femme politique à un étron fumant (Crim. 25 oct. 2019, n° 17-86.605). En revanche, l’humour ou la satire ne permettent pas de tout dire. La CEDH et la Cour de cassation sanctionnent l’humour ou la satire quand celle-ci a pour effet de cacher des propos particulièrement haineux tels que les propos négationnistes (CEDH 20 oct. 2015, M’bala M’bala c/ France (déc.), n° 25239/13) ou ceux mettant en cause la dignité de la personne dont les propos homophobes (Crim. 19 févr. 2019, n° 18-82.745, D. 2020, p. 247, obs. E. Dreyer). La frontière entre l’injure neutralisée et celle qui ne l’est pas est parfois ténue, mais ce double argument conduit ici la chambre criminelle de la Cour de cassation à renverser l’analyse faite par les juridictions du fond et à juger l’atteinte faite à la liberté d’expression du fait de la condamnation disproportionnée.
Les personnalités politiques, Président de la République y compris, s’exposent à des propos particulièrement vifs et provocateurs et la comparaison avec Hitler ou Pétain, bien qu’outrageante, n’implique pas nécessairement une répression. La solution n’est pas nouvelle mais elle montre une nouvelle fois toute l’importance de la nécessité d’apprécier les atteintes à l’honneur et la considération au regard du droit européen et la difficulté à faire la part entre l’injure répréhensible et l’injure neutralisée.
Références :
■ Crim. 21 juin 2005, no 04-85.778 P
■ CEDH 14 mars 2013, Eon c/ France, no 26118/10 : AJDA 2013. 1794, chron. L. Burgorgue-Larsen ; ibid. 1794, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2013. 968, obs. S. Lavric, note O. Beaud ; ibid. 2713, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et T. Potaszkin ; AJ pénal 2013. 477, obs. C. Porteron ; Légipresse 2013. 204 et les obs. ; ibid. 287, Étude E. Dreyer ; RFDA 2013. 576, chron. H. Labayle, F. Sudre, X. Dupré de Boulois et L. Milano ; ibid. 594, chron. N. Droin ; Constitutions 2013. 257, obs. D. de Bellescize ; RSC 2013. 670, obs. D. Roets.
■ Crim., 22 janv. 2019, n° 18-81.779 : DAE, 15 mai 2020, note C. Lacroix ; Légipresse 2019. 72 et les obs. ; ibid. 2020. 322, étude N. Mallet-Poujol ; RSC 2019. 639, obs. E. Dreyer.
■ Civ. 1re, 9 avr. 2015, no 14-14.146 P : D. 2015. 864 ; ibid. 2016. 277, obs. E. Dreyer ; Légipresse 2015. 276 et les obs. ; RTD civ. 2015. 583, obs. J. Hauser.
■ Crim. 20 sept. 2016, n° 15-82.944 : Légipresse 2016. 515 et les obs. ; ibid. 667, comm. V. Tesnière.
■ Crim. 25 oct. 2019, n° 17-86.605 P
■ CEDH 20 oct. 2015, M’bala M’bala c/ France, n° 25239/13 : AJDA 2016. 143, chron. L. Burgorgue-Larsen ; RSC 2016. 140, obs. J.-P. Marguénaud.
■ Crim. 19 févr. 2019, n° 18-82.745 : D. 2020. 237, obs. E. Dreyer ; Légipresse 2019. 129 et les obs. ; ibid. 2020. 127, chron. E. Tordjman, G. Rialan et T. Beau de Loménie.
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